Imaginez être piégé par ceux en qui vous aviez confiance, filmé à votre insu dans une situation intime, puis menacé pendant des années de voir ces images diffusées. C’est exactement ce qu’a vécu Gilles Artigues, ancien premier adjoint au maire de Saint-Étienne. Et l’homme soupçonné d’avoir tiré les ficelles ? Son propre maire, Gaël Perdriau. Ce lundi, le tribunal de Lyon rend son verdict.
Un procès sous haute tension
Deux mois après des audiences particulièrement lourdes, le délibéré tombe enfin. Gaël Perdriau, 53 ans, risque gros : le parquet a requis contre lui cinq ans de prison, dont trois ferme, et une inéligibilité immédiate. Des sanctions qui, si elles sont prononcées, mettraient brutalement fin à sa carrière politique.
À l’origine de cette affaire, une opération savamment orchestrée entre 2014 et 2015 pour neutraliser un rival jugé trop ambitieux ou pas assez loyal. L’idée ? Piéger Gilles Artigues, fervent catholique opposé au mariage pour tous, avec un escort-boy, le filmer à son insu, puis utiliser la vidéo comme moyen de pression.
Les faits reprochés : chantage, association de malfaiteurs et détournement de fonds publics
Le scénario est digne d’un thriller politique. Un escort-boy est rémunéré plusieurs milliers d’euros, une caméra cachée est installée dans une chambre d’hôtel à Paris, et Gilles Artigues, croyant passer un moment avec une personne de confiance, se retrouve piégé. La vidéo existe. Elle a circé. Et pendant des années, l’adjoint a vécu sous la menace.
« J’étais paralysé », a-t-il confié à la barre, la voix brisée. « Je ne faisais plus rien à la mairie. J’étais comme une marionnette, on me posait là et je souriais. » Des mots qui ont marqué les débats.
« C’est lui qui avait les mains sur la manette nucléaire »
La procureure, lors de son réquisitoire
Gaël Perdriau nie tout en bloc
Face aux juges, le maire a campé sur sa ligne de défense : il n’a jamais vu la vidéo, n’a jamais donné son accord, n’a jamais financé l’opération. « Aucun écrit ne prouve qu’il a validé cette odieuse opération », a plaidé son avocat, réclamant un acquittement au bénéfice du doute.
Mais les témoignages de ses anciens proches collaborateurs ont lourdement pesé. Pierre Gauttieri, ex-directeur de cabinet et pendant dix ans l’homme de confiance du maire, a été clair : dès 2014, Gaël Perdriau lui aurait demandé de « trouver une solution pour tenir Gilles Artigues ». L’idée du piège avec un escort-boy aurait ensuite été validée oralement par le maire lui-même.
Des aveux qui accablent
Plusieurs protagonistes ont reconnu leur rôle. L’adjoint à l’Éducation de l’époque et son conjoint, qui ont participé à l’organisation du rendez-vous, ont avoué. Pierre Gauttieri également. Tous pointent la responsabilité ultime vers le maire, même en l’absence d’ordre écrit.
Un enregistrement clandestin, révélé pendant l’instruction, a particulièrement marqué les esprits. On y entend des échanges qui laissent peu de place au doute sur l’implication directe du maire dans la gestion de cette « bombe ».
Les principaux chefs d’accusation contre Gaël Perdriau :
- Chantage en réunion
- Association de malfaiteurs
- Détournement de fonds publics (financement du piège avec de l’argent public)
- Atteinte à l’intimité de la vie privée
Une ville sous le choc depuis 2022
L’affaire a explosé en 2022 avec les révélations d’un média d’investigation. Depuis, Saint-Étienne vit au rythme des rebondissements. Gaël Perdriau a été exclu des Républicains, mais refuse toujours de démissionner. Il continue d’exercer ses fonctions, malgré la pression populaire et politique.
Dans les rues, les habitants oscillent entre colère et lassitude. Beaucoup estiment que l’image de la ville est ternie durablement par ce scandale. D’autres attendent simplement que la justice tranche.
Que risque concrètement le maire ce lundi ?
Le tribunal peut suivre le parquet et prononcer une lourde peine avec exécution immédiate de l’inéligibilité. Dans ce cas, Gaël Perdriau devrait quitter la mairie dans les heures suivant le verdict. Il pourrait aussi faire appel, ce qui suspendrait l’inéligibilité, mais pas forcément l’image désastreuse.
À l’inverse, une relaxe serait un coup de tonnerre. Elle redonnerait une légitimité contestée à un maire déjà très affaibli politiquement.
« J’étais comme une marionnette, on me posait là et je souriais »
Gilles Artigues, victime présumée, à la barre
Un précédent rare en France
Si les faits sont avérés, cette affaire marquerait une des plus graves dérives jamais jugées dans une mairie française. Utiliser de l’argent public pour financer un piège sexuel contre un adjoint politique dépasse largement les habituels scandales de favoritisme ou de corruption.
Elle pose aussi la question de la moralisation de la vie politique et des moyens utilisés pour éliminer des concurrents internes. Le « kompromat » à la française existe-t-il vraiment ? Cette affaire pourrait le démontrer.
Les scénarios possibles ce lundi matin
| Scénario | Conséquences immédiates |
|---|---|
| Condamnation lourde + inéligibilité immédiate | Démission forcée, élection municipale partielle |
| Condamnation avec sursis ou peine légère | Maintien en poste, mais légitimité très fragilisée |
| Relaxe totale | Retour en grâce (très relatif) mais image durablement abîmée |
Peu importe l’issue, cette affaire laissera des traces profondes dans la vie politique stéphanoise. Elle rappelle aussi que derrière les dorures des mairies, les luttes de pouvoir peuvent parfois prendre des formes particulièrement sordides.
Ce lundi matin, tous les regards seront tournés vers le palais de justice de Lyon. Un maire va-t-il tomber ? Ou va-t-il s’en sortir contre toute attente ? La réponse, dans quelques heures seulement.
(Article mis à jour après le verdict quand celui-ci sera connu)









