Imaginez un ado de 17 ans, seul dans sa chambre, qui fait défiler TikTok jusqu’à 3 heures du matin. Il tombe sur des vidéos musclées, des phrases choc, des « vérités que personne n’ose dire ». Il sourit, il like, il se sent enfin compris. Le lendemain, il pense que porter un préservatif, c’est « se soumettre ». Et un jour, il retire celui-ci sans prévenir sa partenaire. Ce scénario n’est pas une fiction : il devient réalité pour des milliers de jeunes Français.
Sidaction sonne l’alerte rouge sur la montée des discours masculinistes
À quelques heures de la Journée mondiale de lutte contre le sida, l’association présidée par Françoise Barré-Sinoussi (codécouvreuse du VIH et prix Nobel) a publié un communiqué particulièrement alarmant. Selon elle, les réseaux sociaux propagent à une vitesse folle des idées de domination masculine qui mettent directement en danger la santé sexuelle des nouvelles générations.
Le chiffre qui glace le sang : 37 % des hommes français de 16 à 34 ans consomment régulièrement des contenus masculinistes. Et parmi les 25-34 ans qui connaissent ces influenceurs, plus d’un sur deux (51 %) estime qu’ils « disent enfin la vérité ».
Quand les algorithmes deviennent complices
Le problème ne vient pas seulement des créateurs de contenu. Les plateformes elles-mêmes amplifient le phénomène. Leurs algorithmes adorent les formats courts, sensationnels, clivants. Résultat : une vidéo où un coach en « virilité » explique que « les femmes préfèrent les vrais mâles » peut atteindre des millions de vues en quelques heures, pendant qu’une campagne de prévention classique peine à dépasser les 10 000.
Consciente de cette mécanique, Sidaction a décidé de jouer sur le même terrain. L’association a diffusé discrètement une série de vidéos qui imitent parfaitement les codes des influenceurs « alpha » : même montage nerveux, même ton sûr de soi, mêmes slogans choc… mais pour délivrer des messages de respect, de consentement et de protection.
« Quand la masculinité toxique devient virale, rétablir les faits devient vital »
Campagne Alpha Safe – Sidaction 2025
Les chiffres qui font mal
Le sondage OpinionWay réalisé pour l’occasion est sans appel. Voici les données les plus marquantes :
- 53 % des hommes interrogés pensent que les hommes sont trop souvent accusés de violences sexuelles « exagérées ou mensongères »
- 51 % jugent important d’être « viril »
- 18 % des 25-34 ans (et 34 % de ceux qui adhèrent aux idées masculinistes) disent « comprendre » le stealthing (retrait non consenti du préservatif)
- Sur dix ans, les découvertes de séropositivité ont bondi chez les 15-24 ans
Ces croyances ne restent pas théoriques. Elles se traduisent par des comportements à risque concrets et par un recul de la culture du consentement.
Le stealthing : une pratique banalisée dans certains cercles
Le « retrait furtif du préservatif » pendant l’acte, appelé stealthing en anglais, est considéré comme un viol dans plusieurs pays. En France, un amendement visant à le pénaliser spécifiquement a été rejeté à l’Assemblée nationale fin octobre. Pour une partie des jeunes exposés aux discours masculinistes, cette pratique est même valorisée comme une preuve de « domination ».
Florence Thune, directrice générale de Sidaction, le dit sans détour : ces idées « augmentent les prises de risques et déstabilisent profondément la culture du consentement, centrale dans la lutte contre le VIH ».
L’éducation sexuelle à la traîne
Face à cette offensive idéologique 2.0, l’école reste dramatiquement en retard. La loi de 2001 prévoit pourtant trois séances annuelles d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle de l’école primaire au lycée. Dans les faits, la majorité des établissements n’en organise… rien du tout.
Sidaction, accompagné du Planning familial et de SOS homophobie, a donc saisi le tribunal administratif de Paris pour faire respecter cette obligation légale. Le délibéré est attendu ce mardi.
Une contre-offensive créative sur TikTok
Plutôt que de déplorer le problème, l’association a choisi d’agir directement là où ça se passe. La campagne « Alpha Safe » utilise les codes mêmes des influenceurs qu’elle combat :
- Vidéos ultra-courtes (15-20 secondes)
- Montage saccadé et musique trap
- Textes en majuscules qui claquent
- Apparence d’un coach en séduction… qui parle soudain de respect et de capote
L’effet surprise est total. Des milliers de jeunes hommes ont liké et partagé sans se rendre compte immédiatement qu’il s’agissait d’une campagne de prévention. Une fois le message assimilé, beaucoup ont commenté positivement, preuve que le ton « entre pairs » fonctionne.
Vers une prise de conscience collective ?
Cette initiative montre qu’il est possible de reprendre la main sur les réseaux sociaux. Mais elle révèle aussi l’ampleur du travail à accomplir. Quand plus d’un jeune homme sur trois est exposé à des discours qui valorisent la domination et minimisent les violences, c’est toute la société qui doit se mobiliser.
L’éducation, les familles, les créateurs de contenu responsables, les pouvoirs publics et les plateformes elles-mêmes ont tous un rôle à jouer. Car derrière les « likes » et les « vues », il y a des vies, des santés, des relations abîmées.
Le message de Sidaction est clair : on ne combattra pas le sida sans combattre en parallèle les idées qui fragilisent la prévention. Et aujourd’hui, ces idées ont le visage de jeunes influenceurs en hoodie qui parlent de « high value man » devant des millions d’adolescents.
La bataille est loin d’être gagnée. Mais elle est lancée.









