Imaginez une salle remplie de plusieurs centaines de scientifiques parmi les plus respectés de la planète, tous venus défendre des faits établis depuis des décennies. Et pourtant, à l’extérieur, une partie du monde semble prête à tout remettre en cause. C’est exactement ce qui se passe cette semaine en France.
Le GIEC ouvre un nouveau cycle sous haute tension
À partir de ce lundi, près de 600 experts du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) se retrouvent à la Tour Pleyel de Saint-Denis, juste aux portes de Paris. Leur mission ? Lancer officiellement les travaux du septième cycle d’évaluation, celui dont le rapport principal est attendu pour 2028 ou 2029.
Ce qui rend cette réunion historique, c’est son format inédit : pour la première fois, les auteurs principaux des différents volets du futur rapport sont rassemblés physiquement au même endroit pendant cinq jours. Un choix délibéré pour tenter de préserver un minimum de cohésion face aux vents contraires qui soufflent sur la scène internationale.
Un consensus mondial qui vacille dangereusement
Le fonctionnement même du GIEC repose sur une règle implacable : chaque ligne du résumé pour décideurs doit être approuvée à l’unanimité par les représentants de tous les États membres. Autrement dit, n’importe quel pays dispose d’un véritable droit de veto.
Or, les déclarations récentes venues des États-Unis font frémir l’ensemble de la communauté scientifique. Le président américain a qualifié publiquement la lutte contre le changement climatique de « plus grande arnaque jamais menée contre le monde » et d’« supercherie inventée par des gens aux intentions malveillantes ».
« Le GIEC fonctionne par consensus. Et si un pays, quel qu’il soit, s’oppose au compte rendu, eh bien le compte rendu ne peut pas être approuvé. »
Robert Vautard, climatologue français membre du GIEC
Cette position, exprimée à la tribune des Nations unies, marque un retour en force du climatoscepticisme au plus haut niveau de l’État le plus puissant du monde. Un responsable français confiait récemment son étonnement face à ces propos, rappelant que les experts du GIEC sont « des professeurs d’université, les meilleurs scientifiques de leur pays, tous titulaires de doctorats et reconnus internationalement ».
La France veut sauver l’Accord de Paris
Face à cette offensive, la France a choisi de placer cette réunion sous le signe de la résistance diplomatique. La ministre de la Transition écologique doit ouvrir les travaux lundi matin, affichant clairement la volonté de Paris de maintenir vivant l’esprit de l’Accord de Paris signé en 2015.
L’objectif reste inchangé : contenir le réchauffement bien en dessous de 2 °C, et si possible à 1,5 °C par rapport à l’ère pré-industrielle. Mais le dernier rapport du GIEC, publié en mars 2023, était déjà très clair : sans inflexion immédiate et massive, la planète franchira ce seuil symbolique du 1,5 °C dès le début des années 2030.
Depuis, certains scientifiques estiment même que ce plafond pourrait être dépassé avant 2030. Une perspective qui rend d’autant plus cruciale la crédibilité des prochains travaux du GIEC.
Le premier bras de fer porte sur le calendrier
Dès cette semaine, les délégations vont s’affronter sur un point apparemment technique mais lourd de conséquences : la date de publication des rapports du septième cycle.
La « Coalition pour la haute ambition », qui regroupe l’Union européenne et de nombreux pays vulnérables du Sud, pousse pour un calendrier accéléré. L’idée ? Que les conclusions scientifiques soient disponibles dès 2028, afin d’alimenter le grand bilan mondial prévu la même année par l’Accord de Paris.
En face, plusieurs pays émergents et grands producteurs d’énergies fossiles estiment cette échéance trop rapprochée et plaident pour un report à 2029. Les réunions préparatoires de cette année, notamment celle de Lima en octobre, se sont soldées par une impasse sur cette question.
À retenir sur le calendrier :
- Coalition haute ambition → publication en 2028 pour influencer le bilan mondial
- Pays émergents et pétroliers → report à 2029 jugé plus réaliste
- Précédentes réunions 2024 → aucune avancée, blocage total
Un écho direct de la COP30
Cette fracture sur le calendrier rappelle étrangement les débats houleux de la dernière conférence climat de l’ONU, la COP30 qui s’est achevée le 22 novembre à Belem, au Brésil.
Là aussi, le texte final avait buté sur la mention explicite de la sortie des combustibles fossiles. Certains États avaient tout fait pour édulcorer voire supprimer cette formulation pourtant centrale pour respecter les objectifs de Paris.
Le parallèle est frappant : ce qui se joue dans les négociations diplomatiques se retrouve désormais au cœur même du processus scientifique du GIEC.
Le GIEC est-il vraiment « en crise » ?
En mars dernier, le président du GIEC, le Britannique Jim Skea, affirmait pourtant à l’AFP : « Non, je ne pense pas que le GIEC soit en crise. »
La réunion de Saint-Denis représente donc un test grandeur nature. Parviendra-t-on à préserver l’intégrité scientifique du rapport face aux pressions politiques ? Les experts réussiront-ils à maintenir un front uni alors que certains gouvernements remettent en cause jusqu’à l’existence du problème ?
Une chose est sûre : jamais depuis sa création en 1988 le GIEC n’aura évolué dans un contexte international aussi polarisé. Et les décisions prises cette semaine dans cette banlieue parisienne pourraient influencer la lutte climatique pour les décennies à venir.
Parce qu’au-delà des querelles de calendrier ou des déclarations choc, ce sont bien les générations futures qui attendent des réponses claires et incontestables. Réponses que seuls ces 600 scientifiques, réunis sous les néons de la Tour Pleyel, sont aujourd’hui en mesure d’apporter. À condition qu’on les laisse travailler.









