Imaginez un pays au bord du gouffre, où chaque famille a déjà un pied dans l’avion. Et soudain, sous une pluie torrentielle, un homme en blanc descend de l’avion et dit simplement : « Restez. » C’est exactement ce qui s’est passé dimanche à Beyrouth avec l’arrivée du pape Léon XIV.
Un voyage sous haute tension symbolique
Le Liban n’avait pas connu une telle effervescence depuis des années. Jours fériés décrétés, panneaux géants sur les routes, mesures de sécurité renforcées : tout un peuple retient son souffle pendant ces quarante-huit heures de visite papale. Et pour cause : le message porté par Léon XIV touche au cœur même de la survie du pays.
Dès son premier discours, le ton est donné. Devant les autorités réunies, le souverain pontife n’hésite pas à pointer la responsabilité de la classe politique, accusée de clientélisme et de corruption depuis des décennies. Mais surtout, il s’adresse directement à cette jeunesse qui fuit en masse.
« Il arrive parfois qu’il soit plus facile de fuir ou, tout simplement, plus pratique d’aller ailleurs. Il faut vraiment du courage et de la clairvoyance pour rester ou revenir dans son pays. »
Ces mots résonnent particulièrement quand on sait qu’entre 2012 et 2024, près de 800 000 Libanais ont quitté le pays selon des estimations indépendantes. Parmi eux, une proportion importante de chrétiens, communauté historiquement influente mais dont le poids démographique fond comme neige au soleil.
Lundi : une journée placée sous le signe de l’unité
Le programme du deuxième jour est chargé de symboles. Dès le matin, le pape se rend à Annaya, dans la montagne libanaise, pour se recueillir sur la tombe de Saint Charbel Makhlouf. Ce moine-ermite maronite du XIXe siècle, canonisé en 1977, est devenu une figure vénérée bien au-delà des seuls catholiques. Musulmans, druzes, orthodoxes : tout le monde vient prier devant sa dépouille réputée incorrompue.
Puis direction Harissa. Perché sur la colline qui domine la baie de Jounieh, le sanctuaire de Notre-Dame du Liban offre une vue imprenable sur la Méditerranée. C’est là, au pied de l’immense statue de la Vierge aux bras ouverts, que Léon XIV s’adresse aux évêques, prêtres et religieux du pays. Un discours attendu comme un moment de vérité pour l’Église locale en pleine tourmente.
L’après-midi réserve deux temps forts. D’abord une prière interreligieuse place des Martyrs, à Beyrouth. Cet espace immense, théâtre de tant de manifestations et de souvenirs douloureux de la guerre civile, devient pour quelques heures un lieu d’espérance commune. Chrétiens, musulmans sunnites et chiites, druzes : tous sont invités à prier ensemble pour la paix.
Enfin, rencontre avec les jeunes au siège du patriarcat maronite de Bkerké. Dans ce bastion historique de la chrétienté libanaise, le pape doit répondre à la question qui brûle toutes les lèvres : comment avoir encore envie de croire en l’avenir ici ?
Un passage remarqué dans la banlieue sud
Le détail n’est pas passé inaperçu. Pour rejoindre le palais présidentiel, le convoi papal a traversé la banlieue sud de Beyrouth, fief du Hezbollah. Des milliers de scouts du mouvement chiite étaient alignés le long de la route, agitant des drapeaux jaunes et saluant le passage du cortège.
Une image forte, seulement une semaine après une frappe israélienne qui a décimé l’état-major du parti pro-iranien dans ce même quartier. Malgré le cessez-le-feu en vigueur depuis un an, les tensions restent vives et les bombardements israéliens se sont intensifiés ces dernières semaines.
Le Hezbollah avait d’ailleurs publié un communiqué la veille, appelant le pape à dénoncer « l’agression » israélienne. Léon XIV, fidèle à sa ligne prudente observée quelques jours plus tôt en Turquie, devrait maintenir un équilibre délicat : condamner la violence sans prendre parti dans le conflit régional.
Troisième pape à fouler le sol libanais
Léon XIV est le troisième souverain pontife à effectuer une visite officielle au Liban après Jean-Paul II en 1997 et Benoît XVI en 2012. À chaque fois, le contexte était dramatique. À chaque fois, le message fut le même : le Liban, ce petit pays mosaïque, a une vocation unique au monde, celle d’être un modèle de coexistence.
Mais jamais la situation n’a semblé aussi critique. Explosion du port de Beyrouth en 2020, effondrement de la livre libanaise, paralysie politique totale : le pays cumule les catastrophes. Et pourtant, malgré la pluie diluvienne qui s’est abattue sur l’aéroport dimanche, des milliers de personnes étaient là pour accueillir le pape.
Preuve que, même dans les moments les plus sombres, l’espoir refuse de mourir complètement.
Un message universel qui dépasse les frontières
Ce qui frappe dans cette visite, c’est son universalité. Quand Léon XIV parle de courage pour rester, il s’adresse à tous les Libanais, pas seulement aux chrétiens. Quand il appelle à la réconciliation, il vise l’ensemble de la société fracturée par des années de guerre civile et de divisions communautaires.
Et quand il prie place des Martyrs entouré de représentants de toutes les confessions, il rappelle que le Liban a encore une carte à jouer : celle de l’exemple. Dans un Moyen-Orient déchiré par les conflits religieux, ce petit pays de moins de six millions d’habitants (sans compter le million et demi de réfugiés syriens) reste une exception.
Fragile, certes. Menacée, évidemment. Mais toujours debout.
La question désormais est de savoir si ce souffle d’espérance porté par Léon XIV parviendra à ralentir l’hémorragie humaine qui vide le pays de sa substance. Les jours à venir nous le diront. Mais une chose est sûre : pendant quarante-huit heures, le Liban a retrouvé un peu de sa fierté. Et ça, ça n’a pas de prix.
Dans un pays où tout semble perdu, un homme en blanc est venu rappeler qu’il reste toujours une raison d’espérer. Parfois, il suffit d’une voix pour faire vaciller le désespoir.
La visite prend fin ce lundi soir. Mais les images de ces deux journées sous la pluie, de ces foules mélangées, de ces scouts chiites saluant un pape catholique resteront gravées longtemps dans la mémoire collective. Peut-être le début d’un sursaut. Peut-être juste un répit. L’avenir le dira.
En attendant, un mot résonne encore dans les rues trempées de Beyrouth : courage.









