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Niger Nationalise son Uranium et Défie Orano

Le Niger annonce qu’il vend désormais lui-même son uranium, après avoir repris la main sur la mine géante de la Somaïr. Orano conteste, des tonnes de concentré auraient déjà quitté le pays… Vers qui se tourne Niamey ? La réponse risque de faire trembler l’équilibre énergétique mondial.

Imaginez un pays parmi les plus pauvres du monde qui possède pourtant l’une des clés de l’énergie du XXIe siècle. Un pays qui, du jour au lendemain, décide de reprendre la main sur cette richesse enfouie sous son sable. C’est exactement ce qui se passe au Niger depuis quelques mois avec l’uranium, ce métal stratégique qui alimente les centrales nucléaires du monde entier.

Un bras de fer qui change la donne énergétique

Dimanche soir, la télévision d’État nigérienne a annoncé une nouvelle qui a fait l’effet d’une petite bombe dans les cercles énergétiques : le Niger met désormais sur le marché international l’uranium produit par la Somaïr, la grande mine du nord du pays jusqu’ici contrôlée majoritairement par le groupe français Orano.

Derrière cette phrase apparemment technique se cache une rupture majeure. Le général Abdourahamane Tiani, chef de la junte au pouvoir depuis le coup d’État de juillet 2023, revendique haut et fort le droit de son pays à disposer librement de ses ressources. « Le Niger, digne, met sur le marché international sa propre production », a-t-il déclaré.

La Somaïr, joyau convoité devenu symbole de souveraineté

La Société des mines de l’Aïr (Somaïr) n’est pas n’importe quelle mine. Créée dans les années 1970, elle a longtemps été le fleuron de la coopération franco-nigérienne dans l’uranium. Orano y détenait 63,4 % des parts, l’État nigérien 36,6 %. Ce schéma classique de l’après-indépendance vient de voler en éclats.

En juin dernier, Niamey a purement et simplement nationalisé l’entreprise. Depuis, les équipes françaises ont perdu tout contrôle opérationnel. Les derniers cadres expatriés ont quitté le site d’Arlit, cette ville-champignon du désert née autour de l’extraction de l’uranium.

Ce n’est pas un cas isolé. Trois sites sont concernés : la Somaïr toujours en activité, la Cominak fermée en 2021, et surtout le gigantesque gisement d’Imouraren, considéré comme l’un des plus importants du monde avec ses 200 000 tonnes de réserves prouvées. Le permis d’exploitation de ce dernier avait déjà été retiré à Orano.

Orano conteste, mais les stocks bougent déjà

Du côté français, on ne l’entend pas de cette oreille. Orano, dont l’État français détient plus de 90 % du capital, a multiplié les procédures d’arbitrage international. Fin septembre, un tribunal a même donné raison au groupe pour la Somaïr, interdisant au Niger de commercialiser environ 1 300 tonnes de concentré d’uranium stockées sur place, soit une valeur estimée à 250 millions d’euros.

Mais les décisions de justice internationales semblent avoir peu de poids dans le désert de l’Aïr. Des informations récentes, relayées par des médias spécialisés sur le Sahel, font état d’un convoi de près de 1 000 tonnes d’uranium qui aurait récemment quitté Arlit en direction du port de Lomé, au Togo, en passant par le Burkina Faso.

Ces tonnes de « yellow cake » voyagent donc déjà, loin des circuits habituels qui passaient par le port de Cotonou au Bénin, aujourd’hui fermé aux marchandises nigériennes à cause des sanctions de la CEDEAO.

Le Niger représente 4,7 % de l’uranium mondial

Pour comprendre l’enjeu, il faut revenir aux chiffres. En 2021, le Niger assurait encore 4,7 % de la production mondiale d’uranium naturel selon l’agence d’approvisionnement d’Euratom. C’est peu comparé au Kazakhstan ou à l’Australie, mais chaque pourcentage compte dans un marché tendu.

La France, qui produit très peu d’uranium sur son sol, dépend encore à hauteur d’environ 15-20 % de ses approvisionnements du Niger, selon les années. La diversification entamée par Orano ces dernières années (Canada, Kazakhstan…) n’a pas encore complètement compensé cette perte potentielle.

« Le droit légitime du Niger de disposer de ses richesses naturelles, de les vendre à qui souhaite acheter, dans les règles du marché, en toute indépendance »

Général Abdourahamane Tiani, chef de la junte

Vers de nouveaux partenaires stratégiques ?

La question que tout le monde se pose maintenant : à qui le Niger va-t-il vendre son uranium ? La junte ne cache pas sa volonté de diversification. La Russie a déjà manifest способенé son intérêt, tout comme l’Iran – deux pays sous sanctions occidentales et particulièrement intéressés par des sources alternatives.

Ce n’est pas un hasard si, quelques mois plus tôt, Moscou annonçait vouloir développer l’exploitation de l’uranium nigérien. Dans le nouveau contexte géopolitique du Sahel, marqué par le départ des troupes françaises et l’arrivée de partenaires russes (Wagner puis Africa Corps), l’hypothèse d’un basculement prend de la consistance.

L’Iran, de son côté, bien que moins visible sur le terrain, suit de très près tout ce qui touche à l’uranium africain. Le Niger avait d’ailleurs été approché par Téhéran dès les années 2000, avant que la coopération ne soit bloquée sous pression internationale.

Un précédent qui pourrait faire école en Afrique

Ce qui se passe au Niger n’est pas isolé. Le Mali a renégocié tous ses contrats miniers aurifères. Le Burkina Faso a lancé sa propre raffinerie d’or. La Guinée a repris le gigantesque projet Simandou à Rio Tinto et Vale. Partout sur le continent, la question de la souveraineté sur les ressources resurgit avec force.

Le cas de l’uranium nigérien a une portée particulière : il touche directement une ancienne puissance coloniale et concerne une matière première hautement stratégique. Il illustre parfaitement le divorce en cours entre une partie de l’Afrique francophone et la France.

Le sentiment anti-français, alimenté par des décennies de contrats jugés déséquilibrés, trouve dans ces nationalisations un exutoire concret. Le drapeau français qui flottait autrefois sur les bâtiments d’Arlit a laissé place au drapeau nigérien. Symbole fort.

Quelles conséquences pour le marché mondial ?

À court terme, les 1 300 tonnes bloquées (ou en cours d’acheminement) ne bouleverseront pas le marché. Mais si le Niger parvient à écouler régulièrement sa production hors des circuits contrôlés par Orano, cela pourrait créer une nouvelle offre indépendante.

Dans un contexte où les prix de l’uranium ont plus que doublé depuis 2020, chaque tonne compte. Les acheteurs traditionnels (Chine, États-Unis, Europe, Corée du Sud) pourraient être tentés par une source moins soumise aux contraintes géopolitiques occidentales.

Pour la France, c’est un coup dur supplémentaire après la perte de contrats militaires et la fermeture de bases au Sahel. Le nucléaire représentant 70 % de sa production électrique, toute incertitude sur l’approvisionnement en uranium est scrutée de près.

Un tournant historique pour le Niger

Pour le Niger lui-même, l’enjeu est colossal. L’uranium représente une part non négligeable des recettes d’exportation. Contrôler directement la commercialisation, c’est potentiellement capter une valeur ajoutée bien supérieure à ce que rapportaient les anciens accords.

Reste à savoir si le pays dispose des compétences techniques et commerciales pour gérer seul ces opérations complexes. La Somaïr continue de produire, mais à quel rythme ? Avec quel niveau de sécurité ? Les installations vieillissantes nécessitent des investissements que l’État nigérien aura du mal à assumer seul.

Le général Tiani mise visiblement sur de nouveaux partenaires prêts à investir sans poser les questions habituelles sur la gouvernance ou les droits humains. Un pari risqué, mais qui correspond à la ligne souverainiste affichée depuis le coup d’État.

Une chose est sûre : le temps où le Niger était considéré comme un fournisseur docile et prévisible semble révolu. Le pays entre dans une ère nouvelle, où ses ressources ne seront plus seulement extraites, mais négociées d’égal à égal. Et le monde de l’énergie, qu’il le veuille ou non, va devoir s’y habituer.

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