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Coup d’État en Guinée-Bissau : La Junte Verrouille le Pouvoir

Mercredi 27 novembre 2025, l’armée renverse le président Embalo à la veille des résultats électoraux. En 48 heures, un général devient président, un ex-ministre Premier ministre et l’Union africaine suspend le pays. Mais derrière ce énième coup, beaucoup voient une manœuvre pour bloquer la victoire de l’opposition. Qui tire vraiment les ficelles à Bissau ?

Imaginez un petit pays d’à peine deux millions d’habitants où, depuis l’indépendance, les coups d’État se succèdent comme les saisons des pluies. Mercredi 27 novembre 2025, la Guinée-Bissau vient d’en vivre un de plus. Et cette fois, il tombe pile au moment où les résultats de la présidentielle et des législatives du 23 novembre étaient sur le point d’être proclamés.

Un coup d’État express et parfaitement orchestré

En moins de quarante-huit heures, tout bascule. Le président Umaro Sissoco Embalo est arrêté puis exfiltré vers le Sénégal. Un Haut commandement militaire pour la restauration de l’ordre (HCM) est créé. Le général Horta N’TAM, ancien chef d’état-major de l’armée de terre, prête serment comme président de transition pour un an. Le lendemain, il nomme Ilidio Vieira Té, dernier ministre des Finances du régime renversé, au poste de Premier ministre.

Cette rapidité laisse peu de place au hasard. Beaucoup y voient la preuve d’une opération longuement préparée, déclenchée au pire moment pour le camp présidentiel sortant.

Le calendrier qui fait jaser

Les élections du 23 novembre opposaient essentiellement deux camps : celui du président Embalo et celui soutenu par l’opposition historique, le PAIGC. Domingos Simões Pereira, figure emblématique du parti et ancien Premier ministre, avait été écarté de la course pour un dépôt de dossier jugé tardif par la justice. Il avait alors appelé à voter pour Fernando Dias.

Jeudi 28 novembre, au lendemain du putsch, Fernando Dias affirme à la presse avoir remporté le scrutin et accuse directement le président déchu d’avoir « organisé » le coup d’État pour empêcher sa victoire. Un scénario que beaucoup, au Sénégal voisin, partagent sans détour.

« Ce qui s’est passé en Guinée-Bissau, tout le monde sait que c’est une combine. Qu’on continue le processus électoral et que la commission dise qui a gagné. »

Ousmane Sonko, Premier ministre du Sénégal – 29 novembre 2025

La vie reprend à Bissau… en apparence

Dès le jeudi, le HCM lève le couvre-feu nocturne imposé la veille. Les frontières, fermées quelques heures après le coup, rouvrent. Écoles, marchés et administrations privées retrouvent leur activité. Vendredi matin, les barrages militaires s’allègent dans la capitale.

Pourtant, derrière cette normalisation de façade, la tension reste palpable. Boubacar Embalo, 25 ans, vendeur ambulant, confie : il a repris la route parce qu’il faut bien manger, mais la journée est calme, trop calme. Les clients se font rares, l’incertitude pèse sur les transactions.

L’Union africaine tape du poing sur la table

Vendredi 29 novembre, la décision tombe : l’Union africaine suspend « avec effet immédiat » la Guinée-Bissau de toutes ses instances. Une sanction classique en cas de rupture de l’ordre constitutionnel, mais qui isole un peu plus le pays sur la scène continentale.

Dans le même temps, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme alerte : au moins dix-huit personnes sont détenues arbitrairement depuis le putsch – ministres, magistrats, leaders de l’opposition. Volker Türk parle d’« violations alarmantes » des droits humains.

Un choix surprenant pour Matignon bissau-guinéen

La nomination d’Ilidio Vieira Té intrigue. C’est l’ancien ministre des Finances d’Embalo, un technocrate respecté. Lors de la brève cérémonie d’investiture, le général N’TAM le présente comme un « bon travailleur » avec qui il veut « continuer à ramer dans le même bateau ».

Ce choix peut s’interpréter de deux façons : soit la junte cherche à rassurer les partenaires techniques et financiers en gardant une figure connue des bailleurs, soit elle maintient une partie de l’ancienne équipe pour mieux contrôler les rouages de l’État.

Le Sénégal en première ligne

Dakar joue un rôle central. C’est un avion sénégalais qui exfiltre le président Embalo jeudi soir. Le Sénégal fait partie du comité de médiation restreint mis en place par la CEDEAO. Et Ousmane Sonko, proche de Domingos Simões Pereira, ne mâche pas ses mots devant l’Assemblée nationale sénégalaise.

Il exige la reprise du processus électoral et la libération immédiate des détenus, citant nommément l’opposant historique du PAIGC. Une prise de position qui place Dakar en porte-voix de l’opposition bissau-guinéenne.

Une instabilité chronique aux racines profondes

Depuis l’indépendance du Portugal en 1974, la Guinée-Bissau a connu quatre coups d’État réussis et une multitude de tentatives. Aucun président n’a terminé son mandat de façon régulière depuis 1994. Cette fragilité institutionnelle n’est pas un hasard.

La pauvreté extrême – plus de 70 % de la population sous le seuil de pauvreté – et l’absence d’État fort ont fait du pays une plaque tournante du trafic de cocaïne entre l’Amérique latine et l’Europe. Des officiers supérieurs et des responsables politiques ont été régulièrement cités dans ces réseaux ces vingt dernières années.

L’argent de la drogue irrigue une partie de la vie politique et militaire. Certains observateurs estiment que le timing du coup – juste avant la proclamation des résultats – pourrait aussi être lié à la volonté de certains barons de préserver leurs intérêts face à une possible alternance.

Et maintenant ?

La junte promet une transition d’un an. Mais l’histoire bissau-guinéenne enseigne la prudence : les transitions annoncées courtes ont souvent duré beaucoup plus longtemps. La CEDEAO, l’Union africaine et les partenaires internationaux vont exercer une pression forte pour un retour rapide à l’ordre constitutionnel.

En attendant, la population retient son souffle. Les Bissau-Guinéens savent mieux que quiconque que dans leur pays, la paix est toujours provisoire et que le prochain coup peut survenir à tout moment.

Une chose est sûre : ce putsch de novembre 2025 ne ressemble pas aux précédents. Il intervient au cœur d’un processus électoral, avec des soupçons de manipulation massive, et place la Guinée-Bissau au centre d’une crise régionale où le Sénégal, la CEDEAO et l’Union africaine ont déjà pris position.

Le compte à rebours est lancé. Soit la junte accepte de reprendre le chemin des urnes et de publier les résultats, soit elle s’installe durablement. Dans les deux cas, l’Afrique de l’Ouest retient son souffle face à ce nouvel épisode d’une saga politique qui semble ne jamais vouloir se terminer.

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