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Colombie-USA : La Coopération Secrète Résiste à la Tempête Diplomatique

Le président colombien avait juré de couper le partage de renseignements avec Washington. Pourtant, le patron des services secrets affirme que tout continue « exactement comme avant » avec la CIA. Comment expliquer ce décalage explosif entre discours politique et réalité opérationnelle ?

Imaginez la scène : d’un côté, un président de gauche, ancien guérillero, qui clame haut et fort qu’il ne partagera plus aucune information avec les États-Unis. De l’autre, le plus haut responsable du renseignement de son propre pays qui déclare calmement que tout fonctionne « exactement comme avant » avec la CIA. Cette contradiction, presque surréaliste, résume à elle seule la complexité des relations entre Bogotá et Washington en cette fin d’année.

Une coopération qui défie la crise politique

Jorge Lemus, directeur de la Direction nationale du renseignement colombienne, a choisi de parler. Dans une interview rare accordée à l’AFP, il a balayé d’un revers de main les rumeurs de rupture. « Le partage d’informations reste complètement fluide », a-t-il assuré, précisant que cette collaboration ne se limite pas à la CIA mais englobe toutes les agences américaines concernées.

Ses mots tombent comme une petite bombe dans un contexte déjà électrique. Le mois dernier, Washington imposait des sanctions personnelles contre le président Gustavo Petro, l’accusant de protéger les trafiquants de drogue. En retour, celui-ci dénonçait des « exécutions extrajudiciaires » ordonnées par Donald Trump contre des bateaux suspects en mer des Caraïbes et dans le Pacifique.

Quand la parole présidentielle ne fait pas le poids face à la réalité du terrain

Le chef de l’État colombien avait été clair : plus aucun renseignement ne serait transmis aux États-Unis. Une menace qui, sur le papier, semblait lourde de conséquences. Pourtant, très vite, ses propres conseillers avaient nuancé, puis atténué la portée de cette déclaration. Aujourd’hui, c’est le patron du renseignement lui-même qui enterre définitivement la polémique.

Plusieurs anciens hauts gradés des forces armées et des services secrets colombiens avaient déjà qualifié cette menace de « absurde ». Ils estimaient qu’elle n’avait « aucun sens » sur le plan opérationnel. Les faits leur donnent raison. La machine du renseignement, elle, n’a jamais ralenti.

« Nous continuons exactement comme avant »

Jorge Lemus, directeur du renseignement colombien

Des décennies de liens trop profonds pour être rompus sur un coup de tête

Il faut comprendre l’histoire pour mesurer l’ampleur du fossé entre le discours politique et la pratique quotidienne. Depuis les années 1990 et le Plan Colombie, Bogotá et Washington ont bâti une relation sécuritaire unique en Amérique latine. Des milliards de dollars d’aide militaire, des formations, des équipements, des opérations conjointes : tout repose sur un échange constant d’informations.

Cette coopération a permis de démanteler les grands cartels des années 80 et 90, de réduire la surface cultivée de coca de manière spectaculaire à certains moments, et de capturer ou neutraliser des centaines de chefs narco. Couper le robinet du renseignement, même partiellement, reviendrait à offrir un boulevard aux organisations criminelles encore actives.

Les experts l’avaient d’ailleurs martelé : une rupture, même temporaire, ferait bondir les exportations de cocaïne vers les États-Unis et renforcerait la main des cartels. Un scénario que personne, ni à Bogotá ni à Langley, ne souhaite voir se réaliser.

Pourquoi cette coopération survit-elle à tout ?

La réponse tient en trois lettres : pragmatisme. Sur le terrain, les officiers de renseignement colombiens et américains poursuivent le même objectif : démanteler les routes de la drogue avant qu’elles n’atteignent le consommateur nord-américain. Les ego politiques passent, les flux de cocaïne, eux, ne prennent jamais de pause.

Jorge Lemus l’a dit sans détour : « Au final, nous luttons tous les deux contre le trafic de drogue ». Cette phrase résume tout. Elle rappelle que, derrière les déclarations tonitruantes, les professionnels du renseignement savent que leur efficacité dépend de cette collaboration quotidienne.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : la Colombie reste le premier producteur mondial de cocaïne. Plus de 90 % de la poudre qui arrive sur le sol américain transite par des routes que seuls les services de renseignement conjoints parviennent à surveiller efficacement. Sans cette coopération, les saisies chuteraient mécaniquement.

Un précédent qui en dit long sur la résilience de ces liens

Cette situation n’est pas totalement inédite. En 2018 déjà, Iván Duque et Donald Trump traversaient des périodes de tension. Les déclarations publiques étaient parfois cinglantes. Pourtant, jamais la coopération opérationnelle n’a vacillé. Les analystes de la DEA continuaient de travailler côte à côte avec leurs homologues colombiens, jour après jour.

Aujourd’hui, le schéma se répète. Gustavo Petro, premier président de gauche de l’histoire récente du pays, porte une parole de rupture. Mais les institutions sécuritaires, elles, restent ancrées dans une logique de continuité. Elles savent que leur survie, et surtout l’efficacité de leur mission, dépend de ce partenariat historique.

Et demain ?

La question reste ouverte. Tant que les intérêts opérationnels convergeront, cette coopération devrait tenir. Mais si les tensions diplomatiques venaient à s’aggraver durablement – par exemple avec de nouvelles sanctions ou des mesures de rétorsion concrètes –, la situation pourrait évoluer.

Pour l’instant, le message est clair : les services de renseignement ne suivent pas les humeurs du palais présidentiel. Ils obéissent à une logique plus froide, plus pragmatique. Et c’est probablement cette dissonance qui permet, paradoxalement, de maintenir un minimum de stabilité dans un contexte pourtant explosif.

En définitive, cette affaire illustre une vérité rarement dite : dans le monde du renseignement, les alliances de fond survivent souvent aux tempêtes politiques de surface. Et tant que la cocaïne continuera de couler vers le nord, il y a fort à parier que Colombiens et Américains continueront de travailler main dans la main… même quand leurs dirigeants respectifs se regardent en chiens de faïence.

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