Imaginez un silence lourd qui règne sur Beyrouth depuis exactement un an. Un cessez-le-feu fragile, obtenu au prix de milliers de vies, tient encore. Et puis, en quelques secondes, une frappe chirurgicale israélienne pulvérise ce calme précaire en éliminant l’un des plus hauts responsables militaires du Hezbollah. Cette scène n’est pas un scénario de film : elle s’est produite dimanche dernier dans la banlieue sud de la capitale libanaise.
Haitham Ali Tabatabai n’était pas n’importe qui. Il était en réunion avec quatre de ses adjoints pour préparer « une action à venir » lorsqu’un missile a mis fin à sa vie. Ce vendredi, le numéro deux du mouvement chiite, cheikh Naïm Qassem, a pris la parole avec une fermeté qui ne laisse guère place au doute : le Hezbollah se réserve le droit de répondre. Et il le fera, au moment qu’il jugera opportun.
Un assassinat qui change la donne au Liban
Depuis la fin officielle de la guerre le 27 novembre 2024, aucun responsable du Hezbollah d’un tel rang n’avait été tué. L’élimination de Haitham Ali Tabatabai marque donc un tournant. Elle intervient dans un contexte où Israël multiplie les frappes sur le sol libanais, justifiant chacune d’elles par la nécessité d’empêcher le mouvement pro-iranien de se réarmer. Des accusations que le Hezbollah rejette avec véhémence.
Pour beaucoup d’observateurs, cet assassinat ciblé ressemble à une provocation délibérée. Comme un test. Jusqu’où le Hezbollah peut-il encaisser sans répliquer massivement ? La réponse de Naïm Qassem est claire : la patience a des limites.
Les mots exacts qui font trembler la région
« Que l’ennemi israélien et ceux qui sont avec lui le comprennent comme ils veulent… Il est de notre droit de répondre, et nous déciderons du moment. »
Cheikh Naïm Qassem, dirigeant du Hezbollah
Ces phrases, prononcées lors d’un discours diffusé sur la chaîne du mouvement, résonnent comme un ultimatum à peine voilé. Elles rappellent la doctrine historique du Hezbollah : jamais une agression ne reste sans réponse. Même si cette réponse peut être différée, calculée, et d’une ampleur inattendue.
Le cessez-le-feu respecté… jusqu’à quand ?
Naïm Qassem a tenu à le souligner : depuis un an, son mouvement a scrupuleusement respecté les termes de l’accord qui a mis fin à la guerre de 2024. Pas de tirs de roquettes massifs, pas d’offensives terrestres. Une retenue qui contrastait avec les craintes d’une explosion immédiate après la mort d’Hassan Nasrallah et de nombreux cadres importants.
Mais aujourd’hui, la donne a changé. Les frappes israéliennes se multiplient, parfois sur des cibles civiles par erreur ou par excès. Le dernier assassinat est perçu comme une ligne rouge franchie. Le Hezbollah se sent légitime à sortir de sa réserve.
Une guerre possible ? « Oui, cette possibilité existe »
Le dirigeant chiite n’a pas mâché ses mots. Interrogé sur le risque d’un nouveau conflit ouvert, il a répondu sans détour : « Pensez-vous qu’une guerre éclatera prochainement ? C’est possible à un moment donné, oui, cette possibilité existe. »
Cette phrase a glacé le Liban. Car tout le monde se souvient encore des images de destruction massive, des villages rasés, des centaines de milliers de déplacés. Personne ne veut revivre cela. Pourtant, les ingrédients d’une nouvelle explosion sont là.
- Frappes israéliennes quasi quotidiennes sur le sol libanais
- Assassinats ciblés de hauts responsables
- Menaces explicites de riposte
- Appel iranien à la vengeance
- Population épuisée mais toujours polarisée
L’Iran dans l’équation : les Gardiens de la Révolution entrent en scène
Dès le lundi suivant l’assassinat, les Gardiens de la Révolution iraniens ont publié un communiqué appelant à « venger » Haitham Ali Tabatabai. Un message qui pèse lourd. Car Téhéran reste le principal bailleur de fonds et fournisseur d’armes du Hezbollah.
Cette prise de position publique rappelle que toute escalade au Liban ne restera pas locale. Elle risque d’entraîner l’Iran plus directement, voire d’ouvrir un front régional plus large impliquant le Yemen, l’Irak ou la Syrie.
Pourquoi Israël prend-il ce risque maintenant ?
Du côté israélien, on justifie ces opérations par la nécessité de maintenir la pression. L’État hébreu affirme avoir des preuves que le Hezbollah reconstitue ses stocks de missiles de précision malgré le cessez-le-feu. Des installations souterraines seraient toujours en construction dans la plaine de la Bekaa et dans la banlieue sud de Beyrouth.
Pour les stratèges israéliens, laisser le Hezbollah se renforcer reviendrait à accepter une menace existentielle à moyen terme. Mieux vaut frapper maintenant, même au risque d’une guerre, que d’attendre une attaque surprise plus dévastatrice.
Les scénarios possibles dans les prochains jours
Plusieurs hypothèses circulent parmi les analystes :
- Riposte limitée du Hezbollah (tir de roquettes sur des positions militaires israéliennes) pour sauver la face sans déclencher une guerre totale
- Attente stratégique de plusieurs semaines ou mois, le temps de préparer une opération d’envergure
- Intervention de médiateurs (États-Unis, France, Qatar) pour obtenir de nouvelles garanties et éviter l’embrasement
- Escalade incontrôlée si une nouvelle frappe tue des civils ou un autre haut responsable
Rien n’est écrit. Naïm Qassem l’a d’ailleurs reconnu : une guerre peut encore être évitée. Car « Israël pèse ses options, et les États-Unis pèsent aussi leurs options ».
Le Liban, otage malgré lui
Au milieu de ce bras de fer, la population libanaise retient son souffle. Le pays est déjà exsangue : crise économique historique, effondrement de la livre, pénurie d’électricité, de médicaments, exode massif des jeunes. Une nouvelle guerre serait la catastrophe de trop.
Beaucoup reprochent au Hezbollah d’avoir entraîné le pays dans le conflit de 2024. D’autres estiment que sans la « résistance », Israël aurait déjà annexé le sud du pays. Les divisions sont toujours aussi vives.
Ce que nous apprend cette séquence
Cette crise révèle plusieurs vérités brutales sur le Proche-Orient en 2025 :
- Les cessez-le-feu ne sont que des pauses tactiques, jamais des paix durables
- Les assassinats ciblés restent l’arme privilégiée d’Israël contre les mouvements armés
- Le Hezbollah, malgré ses pertes colossales, conserve une capacité de nuisance intacte
- L’Iran n’abandonnera jamais son allié libanais
- Les grandes puissances (USA, France) ont perdu une grande partie de leur influence sur les acteurs locaux
En résumé, un an après la fin officielle de la guerre, la région est revenue à son point de départ. Avec une différence de taille : la patience des deux camps semble arrivée à épuisement.
Le prochain missile, le prochain discours, le prochain communiqué pourrait tout faire basculer. Et quand Naïm Qassem dit « nous répondrons », il ne s’agit pas de rhétorique. C’est une promesse. Reste à savoir quand, comment, et à quel prix pour des millions de civils pris entre deux feux.
Le compte à rebours a commencé.









