Dans la nuit du 1er juin 2009, le vol AF447 reliant Rio de Janeiro à Paris disparaissait des radars au-dessus de l’Atlantique. Aucune détresse, aucun message clair. Juste le silence. 228 personnes, passagers et membres d’équipage, perdaient la vie dans ce qui reste la catastrophe la plus meurtrière de l’histoire de l’aviation française. Seize ans plus tard, la justice s’apprête à rendre son verdict en appel. Et cette fois, le ton a radicalement changé.
Un revirement historique du parquet
Après avoir obtenu la relaxe d’Air France et d’Airbus en première instance, le parquet général a complètement renversé sa position lors du procès en appel qui vient de s’achever. Pour la première fois, les avocats généraux ont requis la condamnation des deux entreprises pour homicides involontaires. Un séisme.
Le délibéré est fixé au 21 mai 2026. D’ici là, les familles des victimes retiennent leur souffle. Elles qui, pendant plus de quinze ans, ont entendu les mêmes discours de défense, les mêmes arguments techniques, les mêmes dénégations, pourraient enfin voir reconnaître la responsabilité des deux géants de l’aéronautique.
Les mots très durs du parquet général
Mercredi, lors de leur réquisitoire, les avocats généraux n’ont pas mâché leurs mots. Ils ont dénoncé une « défense en granit », une absence totale d’empathie et qualifié l’attitude des deux entreprises d’indécente. « Seize années pour venir raconter n’importe quoi », ont-ils lancé, visiblement révoltés par certains arguments présentés pendant l’audience.
« Rien n’est venu, aucune parole de réconfort sincère. Un seul mot résume tout ce cirque : l’indécence. »
Les avocats généraux, réquisitoire du procès en appel
Ces phrases, prononcées devant la cour d’appel de Paris, ont marqué les esprits. Elles traduisent une colère longtemps contenue et une volonté farouche de ne plus laisser passer ce que le parquet considère comme des fautes graves.
Les fautes reprochées à Airbus
Pour le constructeur européen, les griefs sont précis et lourds :
- Une sous-estimation de la gravité des incidents répétés de givrage des sondes Pitot Thales équipant les A330
- Un défaut d’information transmis aux compagnies aériennes exploitant ces appareils
- Ce manque d’alerte claire aurait empêché les pilotes de comprendre la situation et de réagir correctement
Le parquet estime que ces manquements ont directement contribué à créer les conditions de l’accident. Sans une information complète et urgente sur le risque de givrage à haute altitude, les équipages se sont retrouvés désarmés face à un scénario qu’ils n’avaient jamais vraiment anticipé.
Air France pointée du doigt pour sa formation
La compagnie nationale n’est pas épargnée. Le parquet lui reproche deux fautes majeures :
- Un défaut de formation des pilotes à la procédure à appliquer en cas de givrage des sondes Pitot et de perte des indications de vitesse
- Un manque d’information diffusée aux équipages sur les incidents de givrage déjà survenus sur d’autres vols
Ces lacunes, selon l’accusation, ont empêché l’équipage du vol AF447 de reprendre le contrôle de l’appareil alors qu’il était encore temps. Le scénario du décrochage prolongé, qui a duré plus de quatre minutes, aurait pu être évité avec une meilleure préparation.
Une défense inflexible face aux familles
De leur côté, Airbus et Air France ont maintenu leur ligne de défense habituelle : aucune faute pénale caractérisée. Les deux entreprises continuent de mettre en avant la complexité de l’enchaînement d’événements et refusent de porter la responsabilité exclusive du drame.
Mais ce discours, répété depuis 2009, commence à montrer ses limites. Les familles, soutenues par leurs avocats, dénoncent depuis des années cette posture. Elles estiment que les deux groupes se sont protégés mutuellement au détriment de la vérité et de la sécurité future.
Un verdict avant tout symbolique… mais lourd de conséquences
En cas de condamnation, la peine maximale pour une personne morale est de 225 000 euros d’amende. Une somme ridicule au regard des chiffres d’affaires des deux entreprises. Mais l’enjeu n’est pas financier.
Une condamnation pénale serait une tache indélébile sur l’image d’Airbus et d’Air France. Elle validerait officiellement l’existence de fautes ayant conduit à la mort de 228 personnes. Ce serait une première dans l’histoire judiciaire aéronautique française.
Pour les familles, ce serait enfin la reconnaissance tant attendue. Pour les deux entreprises, un précédent dangereux qui pourrait ouvrir la porte à d’autres procédures dans le monde entier.
Que va décider la cour d’appel le 21 mai 2026 ?
La cour dispose désormais de plusieurs mois pour délibérer. Elle peut confirmer la relaxe, prononcer une condamnation avec ou sans peine, ou encore renvoyer l’affaire. Chaque scénario est possible.
Mais une chose est sûre : le ton employé par le parquet général lors de ce procès en appel marque une rupture. Pour la première fois, l’accusation publique prend clairement parti contre les deux géants et refuse de considérer cet accident comme une simple fatalité.
Le 21 mai 2026, la justice française aura l’occasion d’écrire une page décisive de son histoire aéronautique. Et peut-être, enfin, de rendre un peu de dignité aux 228 victimes du vol Rio-Paris.
En attendant, les familles continuent de vivre avec cette absence. Seize ans après, la douleur est intacte. Elles espèrent simplement que la vérité, toute la vérité, sera enfin reconnue.









