Imaginez : un contrat de plus de deux milliards de francs suisses, des milliers d’emplois en jeu, des menaces de mort et une bataille judiciaire qui secoue tout un pays. C’est exactement ce qui se passe en ce moment autour des chemins de fer suisses.
Un contrat géant qui met le feu aux poudres
Début novembre, les Chemins de fer fédéraux (CFF) annonçaient une nouvelle qui a fait l’effet d’une bombe : l’attribution d’un méga-contrat de 2,1 milliards de francs suisses à l’allemand Siemens Mobility plutôt qu’au suisse Stadler Rail. Ce marché concerne 116 trains à deux étages destinés au réseau régional zurichois et à plusieurs lignes de Suisse romande.
Pour beaucoup, le choix semblait presque naturel : privilégier l’entreprise locale qui emploie 6 000 personnes sur le territoire helvétique. Pourtant, les CFF ont tranché autrement. Et c’est là que tout a basculé.
Stadler Rail passe à l’attaque judiciaire
Le constructeur thurgovien n’a pas digéré la décision. Après un examen minutieux des documents, il a déposé un recours devant le Tribunal administratif fédéral. Son argument principal ? L’écart de prix entre les deux offres n’était que de 0,6 %.
Pour Stadler, cette différence infime ne justifie pas de confier un contrat aussi stratégique à un concurrent étranger. L’entreprise insiste : elle ne réclame aucun protectionnisme, seulement une décision cohérente.
« Nous ne demandons pas de protectionnisme »
Communiqué officiel Stadler Rail
Le groupe met en avant la fiabilité éprouvée de ses trains à deux étages et sa capacité à respecter les délais. Des arguments qui pèsent lourd quand on connaît les retards parfois catastrophiques de certains projets ferroviaires européens.
Une polémique qui transcende les clivages politiques
Ce qui frappe dans cette affaire, c’est l’unanimité des critiques. Droite, gauche, syndicats : tout le monde ou presque s’indigne. On parle de perte potentielle pour plus de 170 sous-traitants suisses qui auraient pu bénéficier du carnet de commandes.
Le syndicat Unia a qualifié la décision d’« incompréhensible ». Des élus de tous bords ont enchaîné les communiqués rageurs. Même dans un pays habitué au consensus, le ton est monté très vite.
Pourquoi tant d’émotion ? Parce que derrière les chiffres, il y a des femmes et des hommes. Des ateliers qui risquent de tourner au ralenti. Des familles qui vivent de cette industrie ferroviaire suisse reconnue mondialement.
Les CFF se défendent pied à pied
Face à la tempête, les CFF restent droits dans leurs bottes. Leur réponse est claire : l’offre de Siemens était « clairement la plus avantageuse ». Point crucial : ils ne regardent pas seulement le prix d’achat.
Quand on intègre les coûts d’exploitation sur 25 ans – énergie, maintenance, pièces détachées – l’écart se creuse. Les CFF parlent de « centaines de millions de francs » d’économies potentielles. Un argument difficile à contrer quand on gère l’argent public.
Ils rappellent aussi leur historique : sur les 14 milliards investis ces 25 dernières années en matériel roulant, 72 % sont allés à Stadler Rail. Difficile de les accuser de systématiquement favoriser l’étranger.
Quand la tension devient menace physique
Le plus inquiétant dans cette affaire ? Le directeur général des CFF a reçu des menaces de mort après l’annonce. Une violence verbale et physique qui dépasse de très loin le cadre d’un simple différend commercial.
Cette dérive montre à quel point le sujet touche une corde sensible. Dans un pays où la neutralité est presque une religion, voir des menaces contre un haut dirigeant pour une décision d’achat public laisse songeur.
Les vrais enjeux derrière les chiffres
Au-delà du cas particulier, cette bataille judiciaire pose des questions de fond. Comment concilier concurrence européenne et préservation d’un tissu industriel national ? Jusqu’où peut-on privilégier le prix le plus bas quand des milliers d’emplois sont en jeu ?
Les règles européennes sur les marchés publics sont strictes : pas de discrimination en fonction de la nationalité. Mais dans les faits, de nombreux pays trouvent des moyens détournés de favoriser leurs champions nationaux. La Suisse, avec son attachement à la neutralité commerciale, se retrouve coincée.
Que va décider la justice ?
Le Tribunal administratif fédéral va maintenant examiner le dossier. Va-t-il donner raison à Stadler et annuler l’attribution ? Ou valider la procédure des CFF ? Les enjeux sont colossaux.
En cas de victoire de Stadler, ce serait un précédent majeur. En cas de défaite, l’entreprise suisse pourrait accuser un coup dur, tant sur le plan financier que symbolique.
Une chose est sûre : cette affaire n’a pas fini de faire parler. Elle cristallise tous les débats actuels sur la mondialisation, la concurrence et la défense des intérêts nationaux dans un cadre européen.
| Critère | Stadler Rail | Siemens Mobility |
|---|---|---|
| Prix d’investissement | Référence | +0,6 % selon Stadler |
| Coûts sur 25 ans (CFF) | Plus élevés | Des centaines de millions d’économies |
| Emplois en Suisse | 6 000 directs + 170 sous-traitants | Principalement en Allemagne |
Cette affaire illustre parfaitement la complexité des choix publics dans un monde globalisé. Entre impératifs budgétaires, règles européennes et réalité industrielle locale, la Suisse cherche encore le bon équilibre.
Et pendant ce temps, les voyageurs attendent toujours leurs nouveaux trains à deux étages. Quelle que soit l’issue judiciaire, une chose est certaine : le débat est loin d’être clos.









