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Mort Suspecte d’un Prisonnier Politique aux Émirats

Ali al-Khaja, 59 ans, est mort en cellule après 13 années de détention. Torturé, privé de soins, isolé : une ONG dénonce des pratiques systématiques aux Émirats et réclame la vérité. Mais les autorités restent silencieuses… Que cachent-elles vraiment ?

Le 19 novembre dernier, un homme de 59 ans a été retrouvé sans vie dans sa cellule aux Émirats arabes unis. Treize années derrière les barreaux, deux condamnations successives, des accusations de torture : le décès d’Ali al-Khaja soulève une vague d’indignation et de questions difficiles pour un pays souvent présenté comme un modèle de modernité dans le Golfe.

Un décès qui met en lumière une détention controversée

Ali al-Khaja n’était pas un criminel de droit commun. Condamné une première fois en 2013 pour ses liens supposés avec les Frères musulmans – une organisation interdite dans le pays –, il faisait partie des dizaines de personnes arrêtées lors d’une vaste opération de répression. Dix ans plus tard, une nouvelle procédure judiciaire s’était ajoutée à son calvaire.

Selon l’Emirates Detainees Advocacy Center, une organisation basée à Londres qui suit le sort des prisonniers politiques émiratis, cet homme a subi pendant des années des conditions de détention particulièrement dures. Coups, privation de soins médicaux, isolement prolongé, éclairage intense vingt-quatre heures sur vingt-quatre : les témoignages recueillis dressent un tableau alarmant.

Son décès, survenu dans des circonstances non élucidées, a immédiatement déclenché l’appel à une enquête indépendante et transparente. Un appel resté, pour l’instant, sans réponse officielle.

Des conditions de détention dénoncées depuis des années

Les organisations de défense des droits humains n’ont cessé de pointer du doigt les pratiques dans les prisons émiraties. L’affaire Ali al-Khaja ne serait qu’un exemple parmi d’autres. L’isolement prolongé, la privation de sommeil par un éclairage permanent, le refus de soins adaptés sont régulièrement mentionnés dans les rapports.

Ces méthodes, lorsqu’elles sont utilisées de façon systématique, peuvent avoir des conséquences irréversibles sur la santé physique et mentale des détenus. Plusieurs anciens prisonniers ont décrit des troubles graves apparus après des mois, voire des années, passés dans ces conditions.

« Les violations graves subies par Ali al-Khaja pendant sa détention ont directement contribué à son décès », a déclaré le directeur exécutif de l’EDAC.

Des documents officiels et des témoignages de codétenus viendraient appuyer ces accusations. Pourtant, les autorités émiraties n’ont pas encore réagi publiquement à ces allégations précises.

Un procès de masse très critiqué

Retour en 2013. Dans le sillage du Printemps arabe, les Émirats arabes unis lancent une vague d’arrestations sans précédent. Des intellectuels, des avocats, des professeurs, des étudiants : près d’une centaine de personnes sont arrêtées pour avoir réclamé des réformes politiques ou simplement pour leurs idées.

Ali al-Khaja fait partie de ce qu’on appellera le « procès des 94 ». Un procès collectif dénoncé à l’époque comme inéquitable par de nombreuses organisations internationales. Des aveux arrachés sous la contrainte, des audiences à huis clos, des avocats empêchés de défendre correctement leurs clients : les critiques ont été nombreuses.

Dix ans plus tard, plusieurs de ces condamnés étaient toujours derrière les barreaux. Certains ont vu leur peine prolongée par de nouvelles accusations, souvent liées à des écrits ou des déclarations faites depuis leur cellule.

La répression de toute voix dissidente

Aux Émirats arabes unis, critiquer les dirigeants ou les institutions est strictement interdit. La législation punit sévèrement la diffamation, même prononcée en privé. Des peines de prison et des amendes très lourdes peuvent être prononcées pour un simple message sur les réseaux sociaux.

Cette politique de tolérance zéro s’est accentuée après 2011. Le pays, qui avait échappé aux soulèvements massifs du Printemps arabe, a choisi de couper court à toute velléité de contestation. Associations indépendantes, partis politiques, syndicats : tout ce qui pourrait ressembler à une opposition structurée a été étouffé.

Dans ce contexte, les défenseurs des droits humains sont particulièrement surveillés. Beaucoup ont préféré l’exil. Ceux qui restent risquent à tout moment l’arrestation et la disparition dans le système carcéral.

Un cas qui n’est malheureusement pas isolé

L’Emirates Detainees Advocacy Center insiste : le parcours d’Ali al-Khaja reflète une tendance plus large. De nombreux prisonniers d’opinion subiraient le même sort. Certains sont malades, d’autres vieillissants, et tous vivent dans la peur que leur état de santé ne soit délibérément négligé.

Plusieurs noms reviennent régulièrement dans les campagnes internationales : Ahmed Mansoor, condamné à dix ans de prison pour ses écrits sur les réseaux sociaux, ou encore le professeur Nasser bin Ghaith, en détention depuis 2015. Leurs familles alertent depuis des années sur la dégradation de leur santé.

Derrière ces cas individuels se dessine une politique plus globale de contrôle de la parole et de l’espace public. Une politique qui, selon les observateurs, contredit l’image de tolérance et d’ouverture que le pays cherche à projeter à l’international.

Vers une enquête indépendante ?

L’appel lancé par l’EDAC et soutenu par d’autres organisations est clair : il faut une enquête extérieure, menée par des experts indépendants. Seule une telle démarche pourrait établir les causes exactes du décès et, le cas échéant, identifier les responsabilités.

Mais dans un pays où le pouvoir judiciaire est étroitement contrôlé par l’exécutif, une telle enquête semble difficile à imaginer. Les précédentes demandes du même type sont restées lettre morte.

Le silence des autorités, plusieurs jours après les premières révélations, alimente les spéculations. Va-t-on assister à une communication minimale, comme cela a souvent été le cas par le passé ? Ou le décès d’Ali al-Khaja va-t-il provoquer une réaction différente ?

L’image internationale en question

Les Émirats arabes unis ont investi des sommes colossales pour polir leur image à l’étranger. Expo universelle, Grand Prix de Formule 1, alliances stratégiques : tout est fait pour présenter un pays moderne, sûr et accueillant.

Mais derrière la façade, les rapports sur les droits humains continuent de s’accumuler. Chaque nouveau cas, comme celui d’Ali al-Khaja, rappelle que la réalité peut être bien différente de l’image projetée.

La communauté internationale, souvent discrète sur ces sujets en raison des intérêts économiques et stratégiques, se trouve face à un dilemme. Jusqu’à quand fermer les yeux sur des pratiques qui, ailleurs, seraient qualifiées d’inacceptables ?

Que retenir de cette affaire ?

Le décès d’Ali al-Khaja n’est pas seulement l’histoire d’un homme. C’est le révélateur d’un système où la contestation, même pacifique, peut conduire à des années de souffrance et, parfois, à la mort.

En attendant une réaction officielle qui tarde à venir, les organisations continuent leur travail de documentation et d’alerte. Car tant que des hommes et des femmes croupissent en prison pour leurs idées, la question des droits humains aux Émirats arabes unis restera cruellement d’actualité.

Au-delà du Golfe, cette affaire nous renvoie à une interrogation plus large : jusqu’où un État peut-il aller dans la répression au nom de la stabilité ? Et à quel prix, humainement parlant ?

À retenir : Treize ans de détention, des accusations de torture, un décès inexpliqué. L’histoire d’Ali al-Khaja résume à elle seule les zones d’ombre d’un système qui ne tolère aucune voix discordante.

Des questions qui, aujourd’hui plus que jamais, méritent des réponses claires et honnêtes.

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