Imaginez la scène : le 5 décembre prochain, dans un auditorium flambant neuf de Washington, les caméras du monde entier braquées sur l’estrade où Gianni Infantino s’apprête à dévoiler les groupes du Mondial 2026. Et soudain, un siège reste désespérément vide. Celui de la délégation iranienne. Ce n’est pas une absence anodine. C’est un boycott officiel, annoncé avec fracas, qui vient rappeler que le football, même élargi à 48 équipes, n’échappe jamais complètement à la géopolitique.
Un refus de visa qui met le feu aux poudres
Tout part d’une banalité administrative qui, dans le contexte iraniano-américain, devient explosif : les États-Unis ont refusé de délivrer des visas à plusieurs membres clés de la fédération iranienne, dont son président Mehdi Taj. Quatre personnes seulement, dont le sélectionneur Amir Ghalenoei, ont obtenu le précieux sésame. Insuffisant pour Téhéran, qui y voit une humiliation délibérée.
La réponse ne s’est pas fait attendre. La fédération iranienne a officiellement informé la FIFA que sa délégation ne foulera pas le sol américain pour la cérémonie. « Ces décisions n’ont rien à voir avec le sport », a martelé le porte-parole à la télévision d’État. Le ton est sec, sans appel.
Quarante-cinq ans de rupture diplomatique
Pour comprendre l’ampleur du choc, il faut remonter à 1979. Depuis la révolution islamique et la crise des otages, Washington et Téhéran n’entretiennent plus de relations diplomatiques. Les déplacements, même sportifs, passent par des tiers pays et des procédures lourdes. Les États-Unis, co-organisateurs du Mondial avec le Canada et le Mexique, savaient pourtant que l’Iran serait qualifié dès mars 2025 et placé dans le chapeau 2.
Le précédent existe : en 2014, déjà, plusieurs officiels iraniens avaient vu leurs demandes de visa refusées pour la Coupe du monde au Brésil… mais c’était pour des raisons différentes. Cette fois, le timing est pire : le conflit de juin 2025, où les États-Unis ont frappé trois sites nucléaires iraniens après l’attaque israélienne, a gelé les timides négociations qui avaient repris sous médiation omanaise.
« Nous avons dit à M. Infantino qu’il s’agit d’une position purement politique et nous lui avons demandé de faire cesser ce comportement. »
Mehdi Taj, président de la fédération iranienne
La FIFA dans une position intenable
La Fédération internationale se retrouve coincée entre ses principes et la réalité politique. Son règlement est clair : les pays hôtes doivent garantir l’accès à toutes les nations qualifiées, joueurs comme dirigeants. C’était déjà la condition sine qua non posée au trio USA-Canada-Mexique en 2018 lors de l’attribution.
Mais que peut faire Infantino ? Forcer Washington à délivrer les visas sous 10 jours paraît irréaliste. Déplacer la cérémonie ? Impensable à ce stade, alors que les invitations sont lancées et les billets d’avion réservés. Annuler purement et simplement la présence physique des délégations et passer à un tirage 100 % virtuel ? Ce serait un aveu d’échec retentissant pour un Mondial censé être « le plus grand de l’histoire ».
Du côté iranien, on joue la carte de la dignité. Refuser de venir, c’est refuser l’humiliation. C’est aussi rappeler que le football iranien n’est pas un invité de seconde zone : quatrième de la dernière Coupe d’Asie, invaincu lors des qualifications, l’équipe nationale est une habituée des phases finales (six participations depuis 1978).
Les précédents historiques parlent d’eux-mêmes
Ce n’est pas la première fois que le football sert de théâtre aux tensions internationales. Souvenez-vous :
- 1998 : l’Iran bat les États-Unis 2-1 à Lyon dans un match surnommé « la mère de toutes les batailles politiques ».
- 2018 : la sélection iranienne avait pu se rendre en Russie malgré les sanctions, grâce à une dérogation spéciale.
- 2022 au Qatar : aucun problème de visa, les deux pays s’étaient même croisés en phase de groupes (victoire américaine 1-0).
Cette fois, c’est différent. Le refus concerne les dirigeants, pas les joueurs… pour l’instant. Car la grande peur, désormais, c’est que le problème s’étende aux joueurs eux-mêmes en juin 2026. Plusieurs d’entre eux évoluent en Europe et possèdent des passeports qui facilitent les démarches, mais d’autres, basés en Iran, pourraient se voir refuser l’entrée sur le sol américain.
Et maintenant ? Trois scénarios possibles
Scénario 1 – La désescalade express
Washington, sous pression de la FIFA et conscient du scandale mondial, délivre les visas manquants dans les prochains jours. L’Iran accepte de venir « pour le bien du football ». Peu probable, mais pas totalement exclu.
Scénario 2 – Le boycott symbolique
La délégation iranienne brille par son absence le 5 décembre, mais l’équipe participera bien à la compétition en 2026. Le message politique est passé, le sport reprend ses droits.
Scénario 3 – L’escalade
L’Iran maintient sa ligne dure et menace, à terme, de ne pas participer au tournoi si les garanties ne sont pas totales pour l’ensemble de sa délégation et de ses supporters. Un cauchemar pour la FIFA qui verrait une nation qualifiée faire défaut.
Le football, otage éternel de la politique ?
Ce qui frappe, c’est la rapidité avec laquelle le sport redevient un outil diplomatique. À peine le temps de savourer la qualification iranienne que l’on replonge dans les vieilles rancœurs. Et pourtant, sur le terrain, les joueurs iraniens rêvent seulement de fouler les pelouses de Los Angeles, Miami ou New York.
Les supporters, eux, oscillent entre colère et fatalisme. Sur les réseaux persans, les messages pleuvent : « On préfère boycotter que supplier » ; « Le football doit rester du football » ; « On jouera au Canada et au Mexique, pas besoin des États-Unis ».
Une chose est sûre : le 5 décembre 2025, quand les boules tourneront dans l’urne, tous les regards se porteront aussi sur ce siège vide. Un siège qui en dira plus long sur l’état du monde que n’importe quel discours officiel.
Le football, miroir grossissant des nations, n’a pas fini de nous rappeler que même un ballon rond ne roule jamais en ligne droite quand la politique s’en mêle.









