Imaginez un seul instant que vous soyez un fonds de pension avec plusieurs milliards à placer sur Bitcoin. Vous voulez vous couvrir, limiter les risques, mais… vous butez sur une limite ridicule : 250 000 contrats d’options. Cela représente à peine quelques centaines de millions de dollars d’exposition. Frustrant, non ? C’est exactement le mur contre lequel se cognent aujourd’hui les géants de la finance traditionnelle.
Le 26 novembre 2025, Nasdaq a décidé de faire sauter ce verrou.
Une proposition qui change la donne pour les institutionnels
Dans un document déposé auprès de la Securities and Exchange Commission (SEC), la bourse Nasdaq, via son marché International Securities Exchange (ISE), demande purement et simplement de quadrupler les limites de position sur les options de l’iShares Bitcoin Trust (IBIT), l’ETF Bitcoin de BlackRock. Passer de 250 000 à 1 million de contrats. Rien que ça.
Pour bien comprendre l’ampleur, un million de contrats entièrement exercés représenteraient environ 7,5 % du float de l’ETF et surtout… seulement 0,284 % de l’offre totale de Bitcoin. Autrement dit, même avec cette nouvelle limite, on reste très loin d’une menace sur le marché sous-jacent.
Mais pourquoi maintenant ? Parce que IBIT est devenu en quelques mois le plus gros ETF Bitcoin au monde et, surtout, la plateforme détenant le plus gros open interest sur options Bitcoin, dépassant même le géant crypto Deribit. Le centre de gravité de la découverte des prix se déplace clairement vers les marchés réglementés américains.
Pourquoi les limites actuelles freinent tout le monde
Les limites de position ont été pensées à l’origine pour éviter qu’un acteur unique ne prenne le contrôle d’un marché. Logique pour une small-cap ou un produit peu liquide. Absurde quand on parle d’un ETF qui pèse plusieurs dizaines de milliards et qui trade des volumes quotidiens colossaux.
Concrètement, un market maker qui veut accompagner un ordre de plusieurs centaines de milliers de contrats d’un fonds de pension se retrouve coincé. Il doit fragmenter, jongler, prendre des risques inutiles. Résultat : des spreads plus larges, moins de liquidité pour tout le monde, et des institutionnels qui hésitent à augmenter leur allocation Bitcoin.
« Les limites actuelles restreignent les stratégies de trading et de couverture », explique sobrement le dossier déposé par Nasdaq.
Traduction : on bride artificiellement un marché qui n’a plus rien d’émergent.
Dans la même catégorie qu’Apple, Nvidia ou le Nasdaq-100
La demande est claire : replacer IBIT dans la catégorie supérieure des produits dérivés, celle réservée aux géants : Apple, Nvidia, Tesla, SPY, QQQ… Des actifs pour lesquels la limite est justement fixée à 1 million de contrats.
Et les chiffres parlent d’eux-mêmes :
- Capitalisation boursière : parmi les plus élevées de tous les ETF listés aux États-Unis
- Volume quotidien moyen : rivalise avec les plus gros ETF actions
- Open interest options : déjà le plus important sur Bitcoin, toutes plateformes confondues
Refuser cette reclassification reviendrait à traiter Bitcoin comme un actif de seconde zone alors que les flux institutionnels disent exactement le contraire.
Ce que cela change concrètement pour les gros acteurs
Avec 1 million de contrats autorisés, un market maker pourra enfin :
- Accompagner sans crainte les ordres massifs des fonds de pension et hedge funds
- Gérer proprement le delta, le gamma et la vega sur des positions de plusieurs milliards
- Proposer des prix plus serrés grâce à une meilleure gestion du risque
- Développer des produits structurés sophistiqués (capital garanti, yield boosting, etc.)
En clair, on passe d’un marché encore un peu « artisanal » à une infrastructure véritablement institutionnelle.
FLEX options : la deuxième bombe de la proposition
Nasdaq ne s’arrête pas là. Le dossier demande aussi la suppression totale des limites sur les FLEX options à livraison physique. Ces contrats sur mesure, négociés de gré à gré mais clearingés en bourse, permettent de structurer des opérations très spécifiques (dates, strikes, tailles hors standard).
Aujourd’hui, une grande banque qui veut vendre 500 millions de protection à un family office doit souvent passer par des swaps OTC opaques. Demain, elle pourra le faire en pleine lumière, sur une infrastructure régulée. Transparence, collateralisation, réduction du risque de contrepartie : tous les voyants passent au vert.
Et la volatilité dans tout ça ?
Oui, il y a un revers. Des limites plus élevées = plus de gamma dans le marché. Quand les dealers doivent ré-équilibrer rapidement des positions massives, les mouvements de Bitcoin peuvent s’amplifier, surtout près des gros niveaux de strike (les « pinning » bien connus sur Deribit).
Mais les experts sont plutôt confiants : une meilleure profondeur de marché et des spreads plus serrés compensent largement cet effet. Et puis, rappelons-le, Bitcoin a déjà survécu à des open interest bien plus élevés sur les plateformes crypto non régulées.
Le vrai risque serait plutôt de maintenir des limites artificiellement basses : cela pousserait les gros flux à rester dans l’ombre des marchés OTC ou offshore.
Un calendrier encore incertain
La SEC n’a pas communiqué de calendrier. Comme pour toute modification de règle boursière, une période de consultation publique va s’ouvrir. Les acteurs du secteur sont invités à commenter. Vu l’ampleur des intérêts en jeu, attendez-vous à une bataille acharnée dans les commentaires déposés.
Mais une chose est sûre : ce dépôt marque un tournant. Bitcoin n’est plus un jouet spéculatif. Il devient, lentement mais sûrement, un actif financier comme les autres. Avec les mêmes outils de couverture, la même profondeur, les mêmes infrastructures.
Et quand les fonds de pension américains pourront enfin allouer 1 %, 2 %, 5 % de leurs encours sans se prendre les pieds dans le tapis réglementaire… le prix du Bitcoin risque de ne plus tout à fait ressembler à ce que nous connaissons aujourd’hui.
La demande de Nasdaq n’est pas qu’un détail technique. C’est peut-être le signal que le prochain cycle haussier ne sera plus seulement porté par les retail et les whales crypto, mais par les plus gros porteurs d’argent de la planète.
À suivre, de très près.









