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Kais Saïed Fustige l’Ingérence Européenne en Tunisie

Le président tunisien Kais Saïed vient de qualifier d’« ingérence flagrante » la résolution du Parlement européen qui exige la libération immédiate de prisonniers politiques. Coïncidence ou réponse directe : Sonia Dahmani sort de prison le jour même du vote… Que cache ce nouveau bras de fer entre Tunis et Bruxelles ?

Imaginez la scène : un président reçoit son ministre des Affaires étrangères et, devant les caméras, qualifie publiquement une résolution du Parlement européen d’« ingérence flagrante ». C’est exactement ce qui s’est passé vendredi à Carthage. Kais Saïed n’a pas mâché ses mots et a demandé des protestations officielles. L’affaire est grave, les enjeux immenses.

Un bras de fer diplomatique qui monte d’un cran

Jeudi, le Parlement européen adoptait une résolution très ferme : 464 voix pour, seulement 58 contre. Le texte exige la libération immédiate de toutes les personnes détenues pour avoir simplement exercé leur liberté d’expression. Parmi elles, des journalistes, des avocats, des militants des droits humains… et une figure particulièrement médiatisée : Sonia Dahmani.

Moins de vingt-quatre heures après ce vote, l’avocate et chroniqueuse sortait de prison après dix-huit mois de détention, bénéficiant d’une libération conditionnelle. Simple coïncidence de calendrier ? Beaucoup en doutent.

Que reproche exactement le Parlement européen à la Tunisie ?

Le texte adopté à Strasbourg est sans concession. Les députés dénoncent une « escalade des détentions arbitraires » et des « persécutions à motif politique ». Ils pointent du doigt le très controversé décret-loi 54 sur les fausses informations, utilisé selon eux pour museler toute voix critique.

Ils exigent également :

  • La libération immédiate et inconditionnelle de tous les prisonniers d’opinion
  • L’abrogation pure et simple du décret 54
  • Le respect de l’indépendance de la justice
  • La garantie effective des libertés d’expression et de réunion

Autant de demandes perçues à Tunis comme une ingérence inacceptable dans les affaires intérieures du pays.

La réponse cinglante de Kais Saïed

Devant le ministre Mohamed Ali Nafti, le chef de l’État a été clair : les Européens « peuvent apprendre des leçons de notre part dans le domaine des droits et libertés ». Une phrase qui a fait bondir plus d’un observateur.

« Quiconque manque de respect à notre pays ou ignore les règles de conduite internationale doit comprendre que nous n’accepterons pas cela. »

Kais Saïed, président de la République tunisienne

Le président a également révélé avoir déjà convoqué mardi l’ambassadeur de l’Union européenne, Giuseppe Perrone, pour « non-respect des règles du travail diplomatique ». Motif ? Une rencontre entre le diplomate et le secrétaire général de l’UGTT, le puissant syndicat tunisien. À Tunis, on considère cela comme une tentative d’influence directe sur la scène intérieure.

Sonia Dahmani, symbole malgré elle

À 60 ans, cette avocate et chroniqueuse connue est devenue l’un des visages de la répression présumée. Arrêtée en mai 2024 après des propos tenus à la télévision, elle était poursuivie dans cinq affaires différentes, toutes fondées sur le décret 54.

Jeudi après-midi, elle franchissait enfin les portes de la prison. Interrogée par l’AFP à sa sortie, elle a immédiatement réclamé la révision de ce texte qu’elle qualifie d’arme contre la liberté d’expression. Ce vendredi même, elle doit comparaître en appel dans l’une de ses affaires.

Sa libération le jour du vote européen a tout d’un message. Certains y voient une réponse directe de Tunis à la pression internationale. D’autres estiment que la justice a simplement suivi son cours.

Le décret 54, au cœur de toutes les polémiques

Adopté en septembre 2022, ce texte punit de peines pouvant aller jusqu’à cinq ans de prison (dix ans en cas de récidive) la diffusion de « fausses nouvelles » susceptibles de porter atteinte à la sécurité publique ou à l’ordre public.

Pour ses défenseurs, il s’agit d’un outil nécessaire contre la désinformation. Pour ses très nombreux détracteurs – ONG, syndicats, partis d’opposition, organisations internationales – c’est une arme juridique massive utilisée pour faire taire toute critique du pouvoir.

Des dizaines de journalistes, blogueurs et citoyens ordinaires ont déjà été poursuivis sur son fondement. Le Parlement européen demande aujourd’hui son abrogation pure et simple.

Un méga-procès toujours en suspens

Parallèlement, la Tunisie retient son souffle dans l’attente du verdict en appel d’un procès hors norme. Une quarantaine de figures de l’opposition – politiciens, avocats, hommes d’affaires – sont jugées pour « complot contre la sûreté de l’État ».

Le président Saïed les avait lui-même qualifiés de « terroristes » lors de la vague d’arrestations du printemps 2023. L’un des principaux chefs d’accusation ? Avoir rencontré des diplomates étrangers. Exactement le reproche fait aujourd’hui à l’ambassadeur européen.

Le verdict, initialement attendu jeudi, a été reporté. L’attente est lourde de sens.

Quatre ans après le coup de force du 25 juillet 2021

Il est impossible de comprendre la violence de la réaction actuelle sans remonter à l’été 2021. Le 25 juillet, Kais Saïed invoquait l’article 80 de la Constitution pour geler le Parlement, limoger le gouvernement et s’octroyer les pleins pouvoirs.

Ce que certains ont salué comme un « correctif révolutionnaire », d’autres l’ont immédiatement qualifié de coup d’État. Depuis, une nouvelle Constitution a été adoptée par référendum en 2022, concentrant encore davantage les pouvoirs entre les mains du président.

Organisations tunisiennes et internationales dénoncent depuis un recul continu des libertés : dissolution du Conseil supérieur de la magistrature, mise au pas des médias, arrestations en série d’opposants.

L’Europe entre realpolitik et principes

Bruxelles se trouve dans une position délicate. La Tunisie reste un partenaire stratégique sur les questions migratoires – un accord controversé a été signé en 2023 – et sur la stabilité régionale.

Mais le Parlement européen, souvent plus offensif que la Commission ou le Conseil, refuse de fermer les yeux sur ce qu’il considère comme une dérive autoritaire dans le berceau du Printemps arabe.

La résolution votée jeudi n’a pas de valeur contraignante, mais elle constitue un signal politique fort. Elle demande aux institutions européennes de transmettre « leurs préoccupations » et de poursuivre les efforts diplomatiques pour obtenir la libération des détenus.

Et maintenant ?

La balle est dans le camp tunisien. Va-t-on assister à une nouvelle vague de protestations diplomatiques ? À des mesures de rétorsion ? Ou, au contraire, à des gestes d’apaisement comme la libération conditionnelle de Sonia Dahmani pourrait le laisser présager ?

Une chose est sûre : le fossé entre Tunis et une partie de la communauté internationale ne cesse de se creuser. Et chaque résolution, chaque convocation d’ambassadeur, chaque sortie de prison très médiatisée, ne fait que rappeler que la Tunisie de 2025 est bien loin de celle qui faisait rêver le monde arabe en 2011.

Le bras de fer ne fait que commencer.

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