Imaginez des centaines de robots capables de marcher, parler, jouer au basket ou faire le ménage… et pourtant, presque aucun n’a encore de vrai travail. En Chine, ce rêve devient réalité à une vitesse folle, mais une voix officielle vient de briser l’enthousiasme général : attention, nous risquons la plus grosse bulle technologique depuis l’explosion de l’intelligence artificielle générative.
Pékin sonne l’alarme sur une possible surchauffe
Jeudi dernier, lors d’un point presse régulier, Li Chao, porte-parole de la puissante Commission nationale du développement et de la réforme, a pris tout le monde de court. Interrogée sur l’état du secteur des robots humanoïdes, elle a répondu sans détour : le rythme effréné actuel fait courir un risque sérieux de bulle spéculative.
Le message est clair : oui, la Chine domine largement la course mondiale, mais vitesse et équilibre restent les maîtres-mots pour éviter un crash douloureux.
Un écosystème qui grandit à toute allure
Plus de 150 entreprises se sont lancées dans la bataille. Parmi elles, une majorité de startups créées ces trois dernières années ou d’acteurs venus d’autres secteurs qui flairent le filon. Le soutien massif de l’État, combiné à des chaînes d’approvisionnement ultra-efficaces, permet à ces sociétés de progresser à une vitesse jamais vue.
Le résultat ? Des prototypes toujours plus impressionnants défilent dans les salons et sur les réseaux sociaux. Marche prolongée sur 100 kilomètres, parties de basketball, courses d’obstacles… les vidéos font le tour du monde et alimentent l’idée qu’une révolution est déjà là.
Des records… mais très peu de clients
Le contraste est saisissant. D’un côté, un robot made in Shanghai entre dans le Guinness Book en marchant trois jours sans s’arrêter. De l’autre, les usines, hôpitaux ou foyers qui pourraient les employer restent désespérément vides de ces nouvelles machines.
Les démonstrations spectaculaires masquent une réalité plus froide : la technologie n’est pas encore assez mature, les coûts restent prohibitifs et les cas d’usage concrets manquent cruellement.
« La vitesse et la bulle ont toujours été des questions nécessitant une maîtrise et un équilibre dans le développement des industries de pointe »
Li Chao, porte-parole de la Commission nationale du développement et de la réforme
Le spectre des surcapacités
Le souvenir des panneaux solaires ou des véhicules électriques hante encore les esprits. À l’époque déjà, la Chine avait inondé le marché mondial avant même que la demande ne suive. Résultat : chute des prix, faillites en cascade et milliards perdus.
Aujourd’hui, plusieurs analystes internationaux, dont la banque Goldman Sachs, alertent sur le même scénario. La production s’emballe alors que les carnets de commandes restent désespérément minces.
Conséquence possible : des usines qui tournent à plein régime pour remplir des entrepôts déjà pleins, des investisseurs qui misent des fortunes sur des promesses, et finalement un effondrement brutal quand la réalité rattrapera la fiction.
Un marché encore immature sur tous les plans
Technologiquement, les défis restent immenses. Fiabilité des articulations, autonomie des batteries, compréhension fine des environnements complexes… chaque avancée coûte des centaines de millions et demande des années de tests.
Sur le plan commercial, le problème est tout aussi criant. Qui est prêt à débourser plusieurs centaines de milliers d’euros pour un assistant domestique alors que les tâches les plus simples restent encore perfectibles ? Les entreprises, elles, attendent un retour sur investissement clair avant de signer le moindre contrat.
Enfin, l’acceptation sociale pose question. Voir un humanoïde évoluer dans un Ehpad ou une école suscite à la fois fascination et inquiétude. Les réglementations, elles aussi, avancent au ralenti.
Des chiffres qui donnent le vertige
Selon un rapport publié au printemps par le cabinet Leaderobot, le marché chinois des robots humanoïdes pourrait atteindre 82 milliards de yuans dès 2025, soit environ 11,6 milliards de dollars. Cela représenterait à lui seul la moitié du marché mondial prévu.
Ces projections impressionnantes expliquent l’emballement actuel. Mais elles reposent sur des hypothèses très optimistes : adoption massive dans l’industrie, explosion de la demande domestique, baisse rapide des coûts de production.
Or, pour l’instant, rien ne permet d’affirmer que ces conditions seront réunies dans les délais annoncés.
| Prévision 2025 (Leaderobot) | Marché chinois | Part mondiale |
| Valeur estimée | 82 milliards de yuans | 50 % |
| Équivalent dollars | 11,6 milliards $ | – |
Le piège de la répétition
Autre danger pointé par les autorités : la multiplication de produits très similaires. Quand plus de cent cinquante sociétés développent en parallèle des robots bipèdes capables de marcher et de saisir des objets, la redondance devient évidente.
Cette course au même prototype disperse les talents et les financements. Au lieu de concentrer les efforts sur des percées décisives – intelligence embarquée, interaction naturelle, spécialisation sectorielle –, on voit fleurir des modèles qui se copient les uns les autres.
À terme, cette saturation risque d’étouffer l’innovation véritable au profit d’une guerre des prix stérile.
Un équilibre délicat à trouver
Le message de Pékin n’est pas un stop brutal, mais un appel à la raison. Le gouvernement continue de soutenir massivement le secteur – subventions, zones franches, partenariats public-privé – tout en demandant aux acteurs de lever le pied sur la communication tapageuse et de se concentrer sur des applications réelles.
Certains y voient même une stratégie habile : calmer les ardeurs spéculatives tout en gardant la main sur un domaine considéré comme stratégique pour les décennies à venir.
Car personne n’a oublié que la Chine a déjà réussi ce tour de force dans les batteries, les panneaux solaires ou les véhicules électriques : dominer un marché d’abord en acceptant des pertes, puis en imposant ses standards quand la concurrence a disparu.
Et le reste du monde dans tout ça ?
Pendant que la Chine multiplie les prototypes, les concurrents occidentaux avancent plus lentement mais souvent avec des approches différentes. Boston Dynamics continue d’impressionner avec Atlas, Figure ou Tesla misent sur l’intégration verticale, et des startups européennes explorent des niches très spécialisées.
Mais aucun ne bénéficie du même volume de capitaux ni de la même rapidité d’exécution. L’avertissement chinois résonne donc aussi comme un signal envoyé à la concurrence : nous sommes prêts à tout pour gagner, même à freiner nous-mêmes si nécessaire.
La course aux robots humanoïdes ne fait que commencer. Entre rêve futuriste et réalité économique, la frontière est plus mince que jamais. Et comme souvent avec les grandes ruptures technologiques, ceux qui sauront transformer l’enthousiasme en usages concrets seront les vrais gagnants.
Pour l’instant, le monde retient son souffle. La bulle va-t-elle gonfler encore avant d’exploser, ou la Chine parviendra-t-elle à transformer cette frénésie en leadership durable ? Réponse dans les prochaines années.









