Imaginez vivre avec la peur au ventre que votre seul soutien financier soit renvoyé du jour au lendemain. Imaginez avoir été tueur à gages et tenter, des années plus tard, de racheter vos crimes en sauvant d’autres âmes perdues. Ce n’est pas un film. C’est le quotidien de millions de Honduriens à quelques jours d’une élection présidentielle qui pourrait tout changer… ou rien du tout.
Un scrutin sans favori clair et pourtant déjà bouleversé par Trump
Dimanche, le Honduras votera pour choisir son prochain président en un seul tour. Aucun candidat ne domine vraiment les sondages. Et pourtant, la campagne a pris un virage inattendu quand Donald Trump a apporté son soutien appuyé à Nasry Asfura, l’homme d’affaires de droite surnommé “Papi a la orden”.
Ce soutien a immédiatement divisé les Honduriens. Certains y voient la promesse d’une relation apaisée avec Washington et, peut-être, moins d’expulsions. D’autres dénoncent une ingérence flagrante dans les affaires d’un pays souverain.
Les deux visages de la peur quotidienne
Dans le quartier Cantarero, perché sur une colline de Tegucigalpa, Bertha Sierra, 57 ans, remue son riz sur un réchaud à gaz. Chaque mois, son petit-fils Joseph, 21 ans, lui envoie de l’argent depuis les États-Unis. Sans ces dollars, elle le dit elle-même : “On ne mange pas.”
Joseph possède un permis de travail, mais la menace d’expulsion plane toujours. Cette année, près de 30 000 Honduriens ont déjà été renvoyés et 51 000 autres ont perdu leur statut de protection temporaire. Bertha prie tous les jours pour que “Dieu fasse qu’ils ne me le renvoient pas”.
“S’il revient, comment va-t-il vivre ici ? Il n’y a pas de travail. On survit, c’est tout.”
Bertha Sierra, grand-mère dépendante des envois de son petit-fils
À quelques kilomètres, dans le quartier 14 de Enero où les ruelles sentent l’égout à ciel ouvert, Presentación Núñez, 70 ans et diabétique, construit lui-même sa petite maison au bord d’une falaise. Son fils David vit sans papiers en Californie depuis vingt ans. Les 100 dollars mensuels qu’il envoie permettent à peine d’acheter les médicaments et la nourriture.
Comme des centaines de milliers de familles, ils dépendent des remesas, ces envois de fonds qui représentent presque un tiers du PIB du pays. Un chiffre vertigineux qui dit tout de l’échec économique national.
Quand Trump divise jusqu’au cœur des quartiers
Dans les rues poussiéreuses de la capitale, le soutien de l’ex-président américain à Nasry Asfura fait débat.
Yuderlis Moreno, 31 ans, vend des chargeurs de téléphone au bord de la route. Pour lui, c’est une bénédiction : “Avec Trump derrière Asfura, les Honduriens pourront peut-être entrer plus facilement aux États-Unis et travailler.” Erick Baca, étudiant de 20 ans, partage cet espoir : “Avoir Trump de notre côté, c’est bénéfique pour obtenir des visas.”
Mais tout le monde n’est pas de cet avis. Liduvina Maldonado, retraitée de 61 ans, s’énerve : “Qu’est-ce qu’il vient faire ici, Trump ? Nous, on ne se mêle pas de leurs affaires. Moi je vote Rixi Moncada.”
Paradoxe cruel : beaucoup de ceux qui soutiennent le candidat adoubé par Trump ignorent que l’administration Trump a expulsé plus de Honduriens que n’importe quelle autre ces dernières années.
Des balles aux bibles : l’impossible rédemption
Le Honduras reste l’un des pays les plus violents hors zone de guerre. Les gangs Barrio 18 et Mara Salvatrucha règnent sur des quartiers entiers. L’administration Trump les avait d’ailleurs qualifiés d’organisations “terroristes”.
Eliseo Pineda, 29 ans, connaît cette vie par cœur. Son torse, ses bras et son dos sont couverts de tatouages du Barrio 18. Pendant des années, il a été sicario, tueur à gages. Aujourd’hui, il tient une Bible à la main dans le temple “Passion pour les âmes”, en périphérie de Tegucigalpa.
“Mon rôle était celui de tueur à gages. C’était ma vie. Aujourd’hui je veux sauver des âmes.”
Eliseo Pineda, ex-membre du Barrio 18
Le pasteur Carlos Cerrato, 58 ans, a lui aussi quitté le gang pour fonder cette église en 2007. Ici, anciens membres du Barrio 18 et de la Mara Salvatrucha, ennemis mortels dans la rue, prient côte à côte. Un miracle quotidien.
Erixon Lira, 36 ans, a passé deux fois par la prison. Il regrette amèrement qu’il n’existe aucun programme officiel de réinsertion : “On sort de prison et on n’a rien. Comment veux-tu qu’on redevienne utile à la société ?”
Ce que personne ne promet vraiment
Violences, pauvreté extrême qui touche 60 % de la population, dépendance aux envois de fonds, absence totale de réinsertion pour les ex-délinquants… Ces sujets brûlants sont à peine effleurés dans les programmes des candidats.
Nasry Asfura met en avant la sécurité et l’ordre. Rixi Moncada, candidate de la gauche, promet justice sociale et lutte contre la corruption. Salvador Nasralla, l’ex-présentateur télé, mise sur son franc-parler. Mais aucun ne propose de plan concret pour briser le cercle vicieux migration-pauvreté-violence.
Dans les quartiers populaires, on vote souvent par espoir plus que par conviction. Espoir qu’un visa sera plus facile à obtenir. Espoir qu’un fils ne sera pas tué pour un téléphone. Espoir, tout simplement, de pouvoir un jour vivre plutôt que survivre.
| Réalité hondurienne en chiffres | Chiffre |
|---|---|
| Population vivant sous le seuil de pauvreté | 60 % |
| Part des envois de fonds dans le PIB | Près de 33 % |
| Honduriens expulsés des États-Unis en 2024 | ~30 000 |
| Personnes ayant perdu leur TPS | 51 000 |
Dimanche soir, un nouveau président sera élu. Il héritera d’un pays fracturé, dépendant de l’extérieur, où l’on prie autant dans les églises que l’on tremble dans les ruelles.
Bertha continuera peut-être à recevoir l’argent de Joseph. Eliseo continuera peut-être à sauver des âmes une à une. Mais pour que le Honduras cesse enfin de survivre et commence à vivre, il faudra bien plus qu’un bulletin de vote.
Il faudra un miracle. Ou, à défaut, une volonté politique qui, pour l’instant, brille surtout par son absence.









