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Pape Léon XIV en Turquie : Vers l’Unité Chrétienne

Le pape Léon XIV prie aujourd’hui sur les rives du lac d’Iznik avec le patriarche Bartholomée pour les 1700 ans du Concile de Nicée. Un geste fort d’unité entre catholiques et orthodoxes… mais Moscou observe de loin et un vieil ennemi rôde encore. Que cache vraiment cette visite ?

Imaginez deux hommes, vêtus de blanc et de noir, debout côte à côte au bord d’un lac tranquille, là où, il y a dix-sept siècles, trois cents évêques ont écrit l’une des pages les plus décisives du christianisme. Vendredi, cette image est devenue réalité.

Un voyage sous le signe de l’unité

Le pape Léon XIV, premier souverain pontife américain de l’histoire, effectue actuellement sa toute première visite apostolique à l’étranger. Et il a choisi la Turquie, pays à 99 % musulman, pont millénaire entre Orient et Occident, pour lancer un message clair : l’heure n’est plus aux divisions entre chrétiens.

Arrivé jeudi à Ankara, il a été reçu par le président Recep Tayyip Erdogan dans un palais aux mille pièces. Devant les caméras, le ton était courtois, presque chaleureux. Dans son discours, Léon XIV a invité la Turquie à devenir un « stabilisateur » dans un monde « fortement conflictuel ». Des mots soigneusement pesés, alors que la région reste marquée par les tensions au Proche-Orient.

Iznik, berceau du premier concile œcuménique

Le cœur de cette visite se trouve à Iznik, l’antique Nicée. C’est ici qu’en l’an 325, l’empereur Constantin réunit le premier concile reconnu par toute la chrétienté chrétienne. Le symbole est immense : le Credo que des millions de chrétiens récitent encore chaque dimanche fut rédigé entre ces murs disparus.

Sur les rives du lac, sous un ciel d’automne doré, Léon XIV et le patriarche œcuménique Bartholomée Ier ont dirigé une prière commune. Des centaines de fidèles, clergé catholique et orthodoxe mélangés, ont communié dans un même élan. Initialement prévue avec le pape François avant son décès en avril, cette célébration prend aujourd’hui une dimension supplémentaire.

« Dans un monde troublé et divisé par les conflits et les antagonismes, cette visite est particulièrement importante et significative »

Patriarche Bartholomée Ier

Le patriarche de Constantinople, primus inter pares du monde orthodoxe, voit dans ce moment une force nouvelle pour le témoignage chrétien. Car, dit-il, « nous sommes plus crédibles lorsque nous sommes unis ».

Un dialogue ancien, des blessures toujours vives

Le grand schisme de 1054 a séparé l’Église d’Orient et l’Église d’Occident depuis près de mille ans. Depuis Paul VI et le patriarche Athénagoras en 1964, les gestes de rapprochement se sont multipliés, mais les obstacles demeurent.

Parmi les chantiers les plus concrets figure la recherche d’une date commune pour Pâques. Catholiques suivent le calendrier grégorien, orthodoxes le julien : treize jours d’écart qui empêchent encore une célébration universelle de la Résurrection.

Dans un document publié quelques jours avant son départ, Léon XIV a appelé à « laisser derrière soi les controverses théologiques » pour « marcher ensemble vers l’unité et la réconciliation ». Un appel qui résonne particulièrement alors que le 1700e anniversaire du Concile de Nicée coïncide avec le 60e anniversaire de la levée des anathèmes mutuels entre Rome et Constantinople.

L’ombre de Moscou sur l’œcuménisme

Tous les orthodoxes ne regardent pas cette rapprochement d’un bon œil. Le patriarche Kirill de Moscou, proche du Kremlin, n’a pas été invité à Iznik. La rupture entre Moscou et Constantinople, consommée en 2018 après la reconnaissance d’une Église autocéphale en Ukraine, reste vive.

Le Vatican marche sur des œufs. Renforcer les liens avec Bartholomée Ier pourrait être perçu comme un affront par le plus puissant patriarcat orthodoxe. Léon XIV devra trouver le juste : tendre la main sans provoquer.

Une visite discrète dans un pays musulman

En Turquie, la visite papale est passée presque inaperçue du grand public. Les rues d’Istanbul n’étaient pas noires de monde, les chaînes d’information continuaient leurs programmes habituels. Seuls les quartiers chrétiens historiques ont vu quelques drapeaux jaunes et blancs flotter.

Un impressionnant dispositif de sécurité entourait néanmoins le pape : tireurs d’élite sur les toits, hélicoptères, barrages filtrants. Preuve que, quarante-quatre ans après la tentative d’assassinat de Jean Paul II, la menace reste prise au sérieux.

D’ailleurs, un fantôme du passé a refait surface. Mehmet Ali Ağca, l’auteur de l’attentat de 1981, avait annoncé vouloir rencontrer Léon XIV à Iznik « deux ou trois minutes ». Les autorités turques l’ont poliment mais fermement raccompagné jusqu’à Istanbul avant l’arrivée du cortège papal.

Un agenda chargé à Istanbul

Avant de rejoindre Iznik, le pape a célébré la messe matinale à la cathédrale du Saint-Esprit, siège du vicariat apostolique d’Istanbul. Devant les évêques, prêtres et religieuses de la petite communauté catholique de Turquie – moins de 0,1 % de la population –, il a encouragé à « ne pas céder aux stratégies de pouvoir économique et militaire ».

L’après-midi a été consacré à la prière œcuménique, avant une rencontre privée avec les évêques orthodoxes et une veillée avec 4 000 fidèles dans un stade stambouliote – un record pour la minorité catholique turque.

Prochain arrêt : le Liban meurtri

Dimanche, Léon XIV s’envolera pour Beyrouth. Le Liban, jadis appelé « le message » par Jean Paul II, traverse l’une des pires crises de son histoire : effondrement économique, vide politique, bombardements répétés malgré le récent cessez-le-feu avec Israël.

Dans ce pays où chrétiens et musulmans vivent côte à côte depuis des siècles, le pape portera sans doute le même message : seule l’unité peut répondre aux défis du temps présent.

Sur les rives du lac d’Iznik, deux hommes en blanc et noir ont montré qu’un autre chemin est possible. Dans un monde qui semble s’entre-déchirer, leur prière commune résonne comme un appel universel à la réconciliation. Le christianisme, divisé depuis mille ans, saura-t-il enfin se souvenir qu’il est né uni ?

1700 ans après Nicée, le message reste le même : « Afin que tous soient un » (Jean 17,21).

La route est encore longue, mais le pas franchi ce vendredi en Turquie compte parmi les plus symboliques du XXIe siècle.

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