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Maiduguri Respire à Nouveau : Espoir Fragile au Cœur du Nord-Est

À Maiduguri, on joue au foot tard le soir, on mange du poisson grillé sans peur… La ville revit enfin. Mais à seulement 35 km, les jihadistes tuent encore. Ce calme est-il vraiment durable ou juste une parenthèse avant la prochaine tempête ?

Imaginez une ville où, pendant des années, chaque sortie au marché pouvait être la dernière. Où le simple bruit d’une moto faisait bondir le cœur. Aujourd’hui, à Maiduguri, on entend à nouveau les rires d’enfants qui jouent au football tard le soir. Ce n’est plus un rêve : c’est la réalité qui s’installe doucement, presque timidement, dans la capitale de l’État de Borno, au nord-est du Nigeria.

Maiduguri, une renaissance sous haute surveillance

La peur a changé de visage. Elle n’a pas totalement disparu, mais elle s’est éloignée des rues de Maiduguri. Depuis 2021, aucune attaque majeure n’a frappé la ville. Les habitants recommencent à vivre après 22 heures, les marchés restent animés jusqu’à minuit, et les jeunes osent à nouveau organiser des soirées. Un retour à la normale ? Pas tout à fait. Plutôt une bulle de calme protégée par une sécurité drastique et une présence militaire omniprésente.

Les souvenirs, eux, restent vifs. Chacun a sa période noire : 2010-2014 pour certains, 2015-2016 pour d’autres. Les attentats-suicides, les fusillades nocturnes, les mosquées fermées aux inconnus… Tout cela semble appartenir à une autre vie. Pourtant, il suffit de gratter un peu pour retrouver la cicatrice.

Une vie nocturne qui renaît

Le soir tombe sur Maiduguri et la ville s’illumine différemment. Là où le couvre-feu imposait le silence dès 22 heures, on voit désormais des groupes d’amis autour de tables de billard improvisées. Les odeurs de poisson grillé emplissent l’air. Les « keke », ces petits triporteurs colorés, slaloment entre les vélos et les piétons.

« Avant, jouer au foot à cette heure-là, c’était impensable », confie Umar Mohammad, 32 ans, en essuyant la sueur de son front après une partie acharnée entre amis. Autour de lui, tout le quartier est là. Femmes, enfants, vieux… Une scène banale ailleurs, mais qui représente ici une petite victoire sur la terreur.

« On avait toujours peur qu’il y ait une explosion »

Thomas Marama, pasteur protestant

Ce pasteur ne prie plus avec la même urgence qu’avant. Pas parce que sa foi a faibli, mais parce que le danger immédiat s’est éloigné des murs de la ville. Un soulagement palpable, presque coupable tant il contraste avec la situation à quelques dizaines de kilomètres.

Les raisons d’un calme reconquis

Comment expliquer cette accalmie ? Plusieurs facteurs se combinent. D’abord, une stratégie délibérée : toutes les institutions étatiques sont concentrées à Maiduguri. La capitale doit tenir, coûte que coûte. Points de contrôle, patrouilles, interdiction des motos – moyen de transport favori des jihadistes – forment un bouclier efficace.

Le renseignement a aussi progressé. Les forces de sécurité interceptent plus souvent les projets d’attentat avant qu’ils n’atteignent la ville. Les milices d’autodéfense locales, les célèbres « Civilian JTF », jouent également un rôle crucial en collaborant avec l’armée.

Mais ce calme a un prix. Des ONG dénoncent des arrestations massives, parfois arbitraires, et des exécutions extrajudiciaires durant les années les plus dures. Une paix bâtie en partie sur des méthodes brutales que beaucoup préfèrent taire aujourd’hui.

Une campagne toujours en feu

Quittez Maiduguri et le tableau change radicalement. À peine à 35 kilomètres, les combats font encore rage. Au premier semestre 2025, la faction État islamique en Afrique de l’Ouest (ISWAP) a pris le contrôle d’au moins 17 bases militaires dans la région, selon des chiffres recueillis par des centres de recherche spécialisés.

La semaine même où la ville semblait respirer, sept soldats ont été tués dans un village proche. Les attaques contre les convois, les villages, les positions militaires n’ont jamais vraiment cessé. Boko Haram et ISWAP, bien que rivaux, continuent de semer la mort dans les zones rurales.

Cette dualité est frappante : une capitale qui revit, protégée comme une forteresse, et une campagne abandonnée aux groupes armés. Les habitants de Maiduguri le savent. Leur calme est conditionnel, dépendant de la capacité de l’État à maintenir cette ligne de démarcation invisible.

Ceux que la paix n’atteint pas

Dans la périphérie, le camp de déplacés d’El Miskin raconte une autre histoire. Des milliers de personnes y survivent dans des conditions précaires. Pas d’activité économique, pas de terres à cultiver, des écoles inexistantes. « Nos enfants grandissent sans éducation », déplore Hashim El Miskin, président du camp.

Près de 700 000 enfants sont actuellement privés d’école dans l’État de Borno. Un chiffre qui donne le vertige. La violence a chassé des millions de personnes de leurs villages. Beaucoup espéraient rentrer chez eux avec le retour du calme. Mais tant que la campagne reste dangereuse, le retour reste un rêve.

À l’intérieur même de Maiduguri, les inégalités se creusent. Ceux qui ont un commerce, une famille en ville, reprennent goût à la vie. Les déplacés, eux, regardent cette renaissance de loin, derrière les grillages de leurs camps.

Une hospitalité retrouvée, lentement

Idris Suleiman Gimba, restaurateur de 54 ans, se souvient du temps où même les mosquées fermaient leurs portes aux inconnus. Paranoïa légitime : les kamikazes se faisaient parfois passer pour des fidèles. « On vous forçait à devenir quelqu’un d’autre », confie-t-il.

Aujourd’hui, l’hospitalité traditionnelle reprend ses droits. Les portes s’ouvrent à nouveau. Les invitations à partager un thé ou un repas redeviennent monnaie courante. Mais la méfiance reste tapie dans un coin de l’esprit. Un sac abandonné, un comportement suspect… et la peur resurgit instantanément.

« On voit les choses revenir à la normale, mais cela prendra du temps », résume Idris. Une phrase qui pourrait servir d’épitaphe à cette période de transition. Rien n’est acquis. Tout peut basculer.

Et demain ?

Maiduguri vit une parenthèse. Précieuse, fragile, peut-être temporaire. Les habitants le savent et en profitent avec une forme de gourmandise mêlée d’angoisse. Chaque soirée sans explosion, chaque match de foot improvisé, chaque marché animé tard le soir est une petite victoire.

Mais à l’ombre des nouvelles passerelles autoroutières et des stations de recharge électrique en construction, la guerre continue. Elle s’est juste déplacée. Elle attend, patiente, à la lisière de la ville. Et personne n’ose prédire quand – ou si – elle reviendra frapper au cœur de Maiduguri.

En attendant, la ville respire. Profondément. Comme quelqu’un qui sort la tête de l’eau après avoir cru se noyer. Et c’est déjà immense.

Dans une région marquée par plus de quinze ans de conflit, chaque jour sans attaque est un jour gagné. Maiduguri nous rappelle que la paix n’est jamais un acquis, mais parfois un lent et douloureux processus de reconstruction, rue par rue, sourire par sourire.

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