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Nationalisation d’ArcelorMittal : La France Veut Sauver sa Sidérurgie

L’Assemblée nationale vient d’adopter la nationalisation d’ArcelorMittal France, contre l’avis du gouvernement. 15 000 emplois et l’avenir de l’acier français sont en jeu. Mais ce texte a-t-il la moindre chance de passer au Sénat et de changer vraiment la donne face à la Chine ?

Imaginez un haut-fourneau qui s’éteint pour la dernière fois. Des milliers d’emplois qui s’envolent avec la fumée. C’est le cauchemar que certains veulent éviter à tout prix en France. Jeudi, les députés ont franchi un pas symbolique et explosif : ils ont voté la nationalisation d’ArcelorMittal France, le leader incontesté de la sidérurgie hexagonale.

Oui, vous avez bien lu. Nationaliser. Un mot qui résonne comme un retour dans les années 80, quand l’État prenait le contrôle d’entreprises stratégiques. Sauf qu’aujourd’hui, le contexte est radicalement différent : concurrence asiatique écrasante, urgence climatique, et 270 suppressions de postes déjà annoncées.

Une proposition de loi qui a secoué l’Hémicycle

Le texte, porté par La France insoumise, a été adopté en première lecture à l’Assemblée nationale. Il prévoit purement et simplement que « la société ArcelorMittal France est nationalisée » et fixe un mécanisme d’indemnisation autour de trois milliards d’euros. Un montant qui fait déjà tousser dans les couloirs du ministère de l’Économie.

Dans les travées, l’ambiance était électrique. Des salariés d’ArcelorMittal, venus spécialement, ont été longuement applaudis depuis les tribunes. Un moment rare où l’on sent que le débat dépasse largement les clivages partisans habituels.

Pourquoi vouloir nationaliser maintenant ?

Pour les défenseurs du texte, la réponse est limpide : c’est la seule solution pour sauver la filière. ArcelorMittal a annoncé cette année un vaste plan d’économies en Europe, avec à la clé plusieurs centaines de suppressions d’emplois en France. Les sites de Dunkerque, Florange ou Fos-sur-Mer tremblent.

Mais au-delà du court terme, c’est l’avenir même de l’acier français qui est en jeu. Les nouvelles normes européennes sur le carbone arrivent à grands pas. Sans investissements massifs dans la décarbonation des hauts-fourneaux, les usines françaises risquent purement et simplement de fermer d’ici quelques années.

« C’est l’unique solution pour sauver la filière et ses 15 000 emplois directs »

Aurélie Trouvé, rapporteure du texte

Le gouvernement vent debout

De l’autre côté, le ministre de l’Industrie, Sébastien Martin, a tiré à boulets rouges sur la proposition. Pour lui, nationaliser fragiliserait l’emploi au lieu de le protéger. Il pointe surtout du doigt la véritable menace : l’afflux massif d’acier asiatique à bas prix.

Et les chiffres donnent le vertige. En 2024, la Chine a produit à elle seule plus de 1 005 millions de tonnes d’acier. C’est plus de la moitié de la production mondiale. À titre de comparaison, la France peine à atteindre les 11 millions de tonnes. Un déséquilibre abyssal.

Production mondiale d’acier en 2024 (en millions de tonnes)

Chine : 1 005
Inde : 150
Japon : 84
États-Unis : 79
Allemagne : 37
Italie : 20
Espagne : 12
France : 11

Un vote très politique

Le texte a reçu le soutien de toute la gauche : socialistes, écologistes, communistes. Le Rassemblement national s’est abstenu, une position surprenante qui en dit long sur la sensibilité du sujet emploi/industrie. Le camp présidentiel, peu mobilisé ce jour-là, a voté contre.

Mais tout le monde sait que l’histoire est loin d’être terminée. Le Sénat, à majorité de droite et du centre, risque fort de rejeter le texte en deuxième lecture. Voire de ne même pas l’inscrire à l’ordre du jour.

La décarbonation, le vrai enjeu de fond

Au-delà du symbole, la nationalisation est présentée comme le seul moyen d’engager rapidement la transition écologique de la sidérurgie. Les hauts-fourneaux actuels, alimentés au charbon, émettent des quantités colossales de CO2. Les futurs mécanismes européens (taxe carbone aux frontières, normes plus strictes) pourraient rendre l’activité tout simplement non rentable.

Pour passer à l’acier vert (hydrogène, fours électriques, captation du carbone), il faut des investissements chiffrés en milliards d’euros. Des sommes qu’ArcelorMittal, groupe privé coté en bourse, hésite à engager seul sur le sol français.

L’État actionnaire majoritaire changerait la donne, estiment les partisans de la nationalisation. Il pourrait imposer une stratégie de long terme, là où l’actionnaire privé privilégie souvent le court terme.

Un précédent qui fait réfléchir

On se souvient tous du bras de fer de 2013 à Florange. À l’époque, le gouvernement avait menacé ArcelorMittal de nationalisation temporaire pour sauver les hauts-fourneaux. Finalement, un accord avait été trouvé sans passer par la case expropriation.

Dix ans plus tard, les mêmes sites sont à nouveau menacés. Sauf que cette fois, l’urgence climatique s’est ajoutée à l’équation. Le contexte n’est plus du tout le même.

Et les salariés dans tout ça ?

Ils étaient là, dans les tribunes de l’Assemblée. Casques sous le bras, regards fatigués mais déterminés. Leur présence a pesé dans le débat. Beaucoup espèrent que cette loi, même si elle a peu de chances d’aboutir, remettra leur avenir au centre des préoccupations.

Car au-delà des grands discours, ce sont des vies entières qui se jouent. Des familles entières dans des territoires déjà durement touchés par la désindustrialisation.

Un débat qui dépasse la sidérurgie

Cette proposition de loi pose des questions bien plus larges. Jusqu’où l’État doit-il intervenir dans l’économie ? La souveraineté industrielle justifie-t-elle de reprendre la main sur des secteurs stratégiques ? Et surtout : avons-nous encore les moyens de produire de l’acier décarboné en Europe ?

Autant de sujets qui risquent de resurgir dans les mois et années à venir. Car même si cette nationalisation ne voit jamais le jour, elle aura au moins eu le mérite de remettre la question industrielle au cœur du débat public.

En attendant, les hauts-fourneaux continuent de tourner. Pour combien de temps encore ? Personne ne le sait vraiment. Mais une chose est sûre : la France n’a pas fini de débattre de son avenir industriel.

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