Imaginez : vous venez d’organiser la plus grande conférence mondiale sur le climat dans votre pays, en pleine Amazonie, avec des dizaines de chefs d’État qui applaudissent vos efforts. Et moins d’une semaine après la photo de famille, votre propre Parlement vous assène un coup presque fatal sur le dossier que vous aviez fait votre marque de fabrique. C’est exactement ce qui vient d’arriver à Luiz Inacio Lula da Silva.
Un revers brutal juste après la COP30
Jeudi soir, lors d’une session conjointe exceptionnelle, les députés et sénateurs brésiliens ont décidé de passer en force. Sur les 63 articles que le président avait vetoés début août dans une loi très controversée, 52 ont été purement et simplement rétablis. Autrement dit : le texte initial, surnommé « loi de la dévastation » par ses opposants, ressort presque intact.
Le timing est cruel. La COP30 s’est achevée le week-end précédent à Belem, dans l’État du Pará, au cœur de l’Amazonie. Lula y avait multiplié les discours offensifs, promettant de faire du Brésil le leader mondial de la transition écologique. Le contraste est violent.
Que change concrètement cette loi ?
Le texte adopté assouplit de façon spectaculaire les procédures d’octroi de licences environnementales. Dans certains cas, une simple déclaration sur l’honneur de l’entreprise suffira pour lancer des projets d’infrastructure, agricoles ou industriels. Les études d’impact détaillées, les consultations publiques longues, les contrôles préalables : tout cela peut être réduit au strict minimum, voire contourné.
Pour les défenseurs du texte, c’est une mesure de « débureaucratisation » indispensable pour relancer l’économie. Pour les écologistes, c’est une autorisation à grande échelle de détruire la forêt et les écosystèmes fragiles.
« C’est une très mauvaise nouvelle qui va à l’encontre des efforts environnementaux et climatiques du gouvernement qui vient de réaliser la COP »
Gleisi Hoffmann, ministre des Relations institutionnelles
Un Parlement dominé par le « Centrão » et l’agrobusiness
Comment en est-on arrivé là ? Lula dirige le Brésil depuis janvier 2023, mais il n’a jamais eu de majorité claire au Congrès. Pour gouverner, il a dû composer avec le bloc dit du Centrão, ces partis pragmatiques qui monnayent leurs voix contre des postes et des avantages. Et ce bloc est très largement influencé par le lobby de l’agrobusiness et du secteur minier.
Lors du vote, l’opposition de droite, héritière de Jair Bolsonaro, a évidemment célébré la décision. Un député proche de l’ex-président a même déclaré sans détour que Lula « voulait mettre des bâtons dans les roues du secteur agricole, le seul qui fonctionne encore économiquement au Brésil ».
Le message est clair : pour une large partie du Parlement, la croissance économique prime sur tout, même quand elle menace directement la forêt qui régule le climat de la planète entière.
Les écologistes parlent du « pire recul de l’histoire »
Du côté des organisations environnementales, la colère est immense. Le collectif Observatoire du climat, qui regroupe les principales ONG brésiliennes, n’hésite pas à qualifier ce vote de « pire recul environnemental de l’histoire récente du pays ».
Et ils ne sont pas seuls. Des scientifiques, des peuples autochtones, des associations internationales : tous pointent le risque d’une accélération brutale de la déforestation, des incendies, de la perte de biodiversité.
Le gouvernement lui-même avait prévenu la veille du vote : rétablir ces articles aurait « des effets immédiats et difficiles à inverser », surtout dans le contexte actuel de catastrophes climatiques à répétition – sécheresses extrêmes, inondations historiques dans le Sud, incendies incontrôlables dans le Pantanal.
Le paradoxe Lula : des résultats… et des contradictions
Il faut le reconnaître : depuis son retour au pouvoir, Lula a obtenu des résultats concrets sur la déforestation. Les chiffres officiels montrent une baisse de près de 50 % en Amazonie entre 2023 et 2024 par rapport aux années Bolsonaro. Les opérations de police contre les orpailleurs illégaux et les grands propriétaires terriens ont repris. C’est indéniable.
Mais il existe aussi des zones d’ombre. Le président a donné son feu vert à l’exploration pétrolière près de l’embouchure de l’Amazone, un projet porté par Petrobras qui fait hurler les défenseurs de l’environnement. Les forages ont même commencé en octobre dernier, après des années de bataille juridique.
Ce double discours – d’un côté la lutte contre la déforestation, de l’autre l’ouverture de nouveaux fronts fossiles – fragilise sa crédibilité internationale au moment précis où il en avait le plus besoin.
Quelles marges de manœuvre reste-t-il au président ?
Techniquement, le veto présidentiel a été renversé par le Congrès, ce qui est définitif. Lula ne peut plus rien faire sur cette loi-là, sauf saisir la Cour suprême pour inconstitutionnalité – une procédure longue et incertaine.
Sur le terrain, le gouvernement peut encore durcir les contrôles, refuser certaines licences au cas par cas, renforcer les effectifs de l’Ibama (l’agence environnementale). Mais avec un texte qui facilite énormément la vie des entreprises, la tâche s’annonce titanesque.
Politiquement, ce vote fragilise encore plus la coalition déjà bancale de Lula à l’approche des municipales de 2026, puis de la présidentielle de 2028. Chaque défaite au Congrès renforce l’idée qu’il n’a plus les moyens de ses ambitions.
Un signal inquiétant pour la planète entière
L’Amazonie n’est pas seulement la forêt du Brésil. C’est un régulateur climatique mondial. Chaque hectare détruit libère du carbone et réduit la capacité de la planète à absorber le CO2. Les scientifiques parlent depuis longtemps d’un « point de bascule » au-delà duquel la forêt deviendrait savane. On ignore exactement où il se situe, mais chaque nouvelle loi de ce type nous en rapproche dangereusement.
Après la COP30, beaucoup d’observateurs espéraient que le Brésil allait enfin tenir toutes ses promesses. Ce vote montre que la réalité politique intérieure reste plus forte que les engagements internationaux. Et cela, c’est une très mauvaise nouvelle pour tout le monde.
La lutte pour l’Amazonie est loin d’être terminée. Elle vient même, paradoxalement, de reprendre de plus belle – mais cette fois contre une partie du propre camp politique de celui qui avait fait de sa sauvegarde une priorité absolue.
Le Brésil se retrouve à la croisée des chemins : d’un côté un président qui brandit le drapeau vert sur la scène mondiale, de l’autre un Parlement qui privilégie la croissance à court terme. L’Amazonie, elle, continue de brûler en silence.









