Imaginez un pays qui a perdu plus d’espèces de mammifères que n’importe quel autre continent depuis deux siècles. Un pays où la Grande Barrière de corail blanchit sous vos yeux et où les incendies géants de 2019-2020 restent gravés dans toutes les mémoires. Ce pays, c’est l’Australie. Et jeudi soir, son Parlement vient peut-être de tourner une page décisive.
Une loi qui veut changer la donne
Le Premier ministre Anthony Albanese n’a pas mâché ses mots devant les journalistes à Canberra : « Nous annonçons une nouvelle ère pour l’environnement et la productivité en Australie. » Derrière cette phrase se cache un texte adopté dans la nuit qui durcit nettement les règles environnementales.
Concrètement, les grands projets très émetteurs de carbone devront désormais publier leurs émissions de gaz à effet de serre et présenter un plan crédible de réduction. Finies les opacités qui permettaient à certains industriels de passer entre les gouttes.
Un régulateur indépendant voit le jour
L’une des mesures phares reste la création d’un organisme de contrôle totalement indépendant. Plus question pour le gouvernement de décider seul de l’avenir des forêts ou des zones humides. Ce nouveau gardien de la nature aura le pouvoir de dire stop aux projets trop destructeurs.
Cette indépendance était réclamée depuis des années par les associations. Beaucoup y voient le vrai progrès, même si certains estiment que ses moyens resteront limités face aux lobbies miniers.
« Cette loi protégera l’environnement pour cette génération et les générations futures »
Anthony Albanese, Premier ministre australien
Le défrichement dans le viseur
Autre chantier majeur : le contrôle accru du défrichement. En Australie, couper des arbres pour agrandir une exploitation agricole ou ouvrir une mine est devenu presque banal. Résultat ? Des centaines d’espèces locales se retrouvent au bord de l’extinction.
Le nouveau texte impose des règles beaucoup plus strictes. Chaque projet devra prouver qu’il n’aggrave pas la fragmentation des habitats. Un koala ou un wombat aura désormais plus de chances de conserver son eucalyptus.
Car le bilan est lourd : depuis la colonisation européenne, une centaine d’espèces endémiques ont déjà disparu. Aucune autre région du monde n’a connu un tel désastre pour les mammifères.
Un objectif 2035 sous tension
Le même jour, un rapport gouvernemental tombait comme un couperet : sans mesures supplémentaires, l’Australie manquera ses objectifs climatiques pour 2035. Le pays s’est pourtant engagé à réduire ses émissions de 62 à 70 % par rapport à 2005.
Un million d’Australiens pourraient voir leur maison menacée par la montée des océans ou les inondations d’ici 2050. Les images de villes côtières englouties commencent à hanter les esprits.
Objectif officiel australien : -62 à 70 % de réduction des émissions d’ici 2035 par rapport à 2005
Menace concrète : plus d’un million de personnes directement touchées par le changement climatique d’ici 2050
Le paradoxe australien
Le pays investit massivement dans le solaire et l’éolien. Les toits couverts de panneaux photovoltaïques se multiplient à Perth ou à Brisbane. Pourtant, l’Australie reste l’un des plus gros exportateurs de charbon et de gaz du monde.
Le secteur minier, notamment le minerai de fer, pèse lourd dans l’économie. Fermer les mines du jour au lendemain paraît impensable pour beaucoup d’élus, même les plus verts.
Cette dépendance aux fossiles explique en partie pourquoi la nouvelle loi fait déjà débat.
Les critiques ne se sont pas fait attendre
Amanda McKenzie, directrice du Climate Council, n’a pas attendu vingt-quatre heures pour pointer la faille majeure : la loi n’oblige toujours pas le gouvernement à prendre en compte l’impact climatique total d’un projet avant de l’approuver.
« C’est une lacune béante dans une loi qui devrait protéger la nature des ravages du changement climatique »
Amanda McKenzie, Climate Council
En clair, une mine de charbon pourra toujours être autorisée même si elle va rejeter des millions de tonnes de CO₂ pendant des décennies, tant qu’elle respecte quelques règles sur place.
Et maintenant ?
Cette loi marque-t-elle le début d’une véritable transition ou juste un rafistolage cosmétique ? Les prochains mois seront décisifs. Le régulateur indépendant devra prouver sa capacité à tenir tête aux géants miniers. Les plans de réduction carbone des entreprises seront scrutés à la loupe.
Une chose est sûre : l’Australie ne peut plus ignorer les signaux d’alarme. Entre les feux de brousse monstre, les coraux qui meurent et les espèces qui s’éteignent, le pays joue son avenir.
La question n’est plus de savoir si l’Australie doit changer, mais à quelle vitesse elle acceptera de le faire. Cette loi est un premier pas. Reste à savoir s’il sera suivi de foulées plus rapides, ou si le pays continuera à traîner des pieds face à l’urgence absolue.
L’histoire est en marche. Et nous allons la suivre de très près.









