Imaginez une ancienne présidente, figure quasi mythique pour des millions d’Argentins, obligée de suivre son propre procès depuis son salon, en visioconférence. À 72 ans, Cristina Fernández de Kirchner est au centre d’un ouragan judiciaire qui pourrait marquer l’histoire politique de l’Argentine. On l’accuse ni plus ni moins d’avoir été la principale bénéficiaire d’un gigantesque système de corruption.
Le plus grand scandale judiciaire que l’Argentine ait connu
Le procès, baptisé par certains « mégaprocès des cahiers de la corruption », a officiellement commencé début novembre. Il implique 86 accusés : ex-ministres, secrétaires, hauts fonctionnaires et une douzaine de grands entrepreneurs du bâtiment. Au total, ce sont treize années de pratiques présumées frauduleuses, de 2003 à 2015, qui sont examinées à la loupe.
Et au milieu de ce casting impressionnant trône une seule personnalité : Cristina Kirchner, présidente de 2007 à 2015, vice-présidente jusqu’en 2023, et toujours leader incontestée du courant péroniste de gauche.
Des sacs d’argent livrés comme des pizzas
L’accusation repose essentiellement sur les fameux « cahiers Centeno ». Oscar Centeno était le chauffeur d’un haut fonctionnaire du ministère du Plan. Pendant près de dix ans, il a noté avec une précision maniaque chaque déplacement, chaque adresse, chaque remise d’enveloppe ou de sac.
Dans ces carnets, on trouve des descriptions dignes d’un roman noir : des millions de pesos (et parfois des dollars) transportés dans des sacs de sport, déposés la nuit dans des appartements cossus de Buenos Aires ou directement à la Casa Rosada, le palais présidentiel.
« La principale destinataire s’est avérée être la présidente Cristina Kirchner, qui était celle qui prenait possession finale de la majorité de l’argent remis par les privés »
Lecture de l’acte d’accusation, audience du 28 novembre
Un système bien rodé, selon les procureurs
Le mécanisme était simple et terriblement efficace. Les grandes entreprises de travaux publics voulaient décrocher des contrats pour construire routes, barrages ou centrales électriques. Pour cela, elles devaient payer. Le prix ? Entre 10 et 20 % du montant du marché, selon les estimations.
Cet argent remontait ensuite la chaîne jusqu’aux plus hauts niveaux du pouvoir. Des intermédiaires, chauffeurs, secrétaires privés ou hommes d’affaires servaient de courroie de transmission. Le secrétaire particulier de Cristina Kirchner est notamment pointé du doigt comme l’un des collecteurs principaux.
Les procureurs affirment que l’ancienne présidente dirigeait personnellement cette association illicite. Elle aurait utilisé son influence pour orienter les appels d’offres, accélérer les paiements et protéger les entreprises amies.
Cristina Kirchner crie au complot politique
De son côté, l’ex-présidente nie tout en bloc. Lors de sa déclaration lue à l’audience, elle a été catégorique :
« Je nie de manière catégorique et définitive avoir fait partie d’une quelconque association illicite ou avoir commis un quelconque délit »
Elle accuse ses adversaires politiques, en particulier l’ex-président Mauricio Macri (2015-2019), d’avoir orchestré une persécution judiciaire à son encontre. Selon elle, l’instruction a été menée par des juges et procureurs proches du pouvoir libéral de l’époque.
Cristina Kirchner parle de « lawfare » – guerre juridique – une expression qu’elle a popularisée en Amérique latine pour désigner l’utilisation de la justice comme arme politique contre les dirigeants progressistes.
Un procès marathon qui s’étirera au-delà de 2026
Pour l’instant, le tribunal en est encore à la lecture de l’acte d’accusation de 678 pages. À raison de deux audiences par semaine en visioconférence, cette seule phase pourrait durer plusieurs mois. Les premiers témoins ne seront entendus qu’en 2026.
Le rythme lent exaspère certains observateurs, mais il est imposé par l’ampleur colossale du dossier : des milliers de pages, des centaines d’heures d’écoutes téléphoniques, des dizaines de repentis.
Et même si elle était condamnée, Cristina Kirchner pourrait demander à purger sa peine en résidence surveillée. Elle bénéficie déjà de ce régime pour une autre condamnation à six ans de prison dans l’affaire dite « Vialidad » (fraude aux marchés publics de travaux routiers).
Pourquoi cette affaire divise autant les Argentins
Cristina Kirchner reste une personnalité clivante. Pour ses partisans, elle incarne la résistance face aux élites et au Fonds monétaire international. Pour ses détracteurs, elle symbolise la corruption endémique qui a gangréné le pays.
Ce procès arrive dans un contexte particulier : l’Argentine traverse une crise économique sans précédent, avec une inflation à trois chiffres et une pauvreté qui touche près de la moitié de la population. Beaucoup se demandent si ce gigantesque déballage judiciaire va vraiment changer quelque chose.
D’autres y voient une opportunité historique de tourner la page d’une époque marquée par les affaires et de restaurer la confiance dans les institutions.
À retenir :
- 86 accusés dont l’ex-présidente Cristina Kirchner
- Période concernée : 2003-2015 (gouvernements Kirchner et Fernández de Kirchner)
- Chefs d’accusation principaux : association illicite et corruption passive
- Peine maximale encourue : jusqu’à 10 ans de prison
- Élément central de la preuve : les cahiers manuscrits d’Oscar Centeno
Quoi qu’il arrive, ce procès marquera durablement le paysage politique argentin. Il pourrait soit enterrer définitivement la carrière de Cristina Kirchner, soit au contraire la transformer en martyre aux yeux de ses fidèles.
Une chose est sûre : des mois, voire des années de rebondissements nous attendent encore. Et chaque audience risque de faire trembler les fondations d’un système que beaucoup croyaient intouchable.
(Article mis à jour le 27 novembre 2025 – suivi en continu)









