Imaginez une classe de CM1 ordinaire, quelque part en France. Vingt-cinq élèves, dont cinq ne parlent presque pas français en arrivant en septembre. Un sur cinq utilise une autre langue à la maison. Ce n’est plus une exception : c’est devenu la norme dans des milliers d’établissements. Et les chiffres parlent d’eux-mêmes : depuis 2007, le nombre d’élèves allophones nouvellement arrivés a explosé de 153 %.
L’école française face à un défi sans précédent
Cette réalité, longtemps minimisée ou passée sous silence, commence à être chiffrée avec précision. Les dispositifs spécifiques se multiplient, les enseignants s’épuisent, et les résultats du pays continuent de chuter dans tous les classements internationaux. L’immigration n’est pas la seule cause de nos difficultés éducatives, mais elle les amplifie de façon spectaculaire.
Derrière les statistiques se cache une transformation profonde du visage de l’école républicaine.
Qui sont ces élèves allophones ?
Le terme « allophone » désigne un élève dont la langue maternelle ou habituelle n’est pas le français. On distingue deux grandes catégories :
- Les élèves nouvellement arrivés en France (EANA), souvent scolarisés pour la première fois à 12, 14 ou 16 ans.
- Les enfants nés en France mais qui ne parlent pas français à la maison.
En 2022, près de 48 % des enfants issus de l’immigration ne maîtrisaient pas suffisamment le français à la maison, contre 40 % dix ans plus tôt. La progression est constante.
Et parmi les nouveaux arrivants, on compte une majorité écrasante de garçons, parfois jamais scolarisés dans leur pays d’origine. Leur prise en charge mobilise des moyens considérables.
Des écarts qui ne s’expliquent pas seulement par le milieu social
À milieu social équivalent, les performances restent très différentes selon les origines. Les études comparatives sont formelles : il existe un écart moyen de 17 points en mathématiques entre élèves immigrés et enfants d’autochtones.
Ce constat dérange, mais il est documenté. Il ne s’agit pas de stigmatiser des individus, mais de regarder la réalité en face pour mieux agir.
« L’immigration, si elle n’est pas la principale cause de notre effondrement éducatif, en exacerbe l’ensemble des difficultés. »
Cette phrase, tirée d’une analyse récente, résume parfaitement la situation.
Des destins scolaires extrêmement contrastés
Tous les groupes ne rencontrent pas les mêmes obstacles. Certaines communautés affichent des taux de réussite remarquables :
- Les enfants d’origine asiatique (Vietnam, Cambodge, Laos) : 39,9 % obtiennent un diplôme supérieur à bac + 2.
- À l’inverse, le redoublement touche un tiers des enfants d’origine turque.
- 40 % des garçons originaires d’Afrique subsaharienne redoublent au moins une fois.
- Les filles d’origine africaine et les garçons maghrébins sont également très concernés.
Ces différences ne sont pas nouvelles, mais elles s’accentuent avec l’arrivée massive de populations peu ou pas scolarisées avant leur départ.
Le poids des écarts filles-garçons
Un autre phénomène marquant : les trajectoires divergent fortement selon le sexe, particulièrement dans certaines communautés. Chez les familles originaires du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne, les filles réussissent souvent mieux que les garçons à l’école, alors que l’inverse se produit dans d’autres groupes.
Ces écarts culturels, éducatifs et parfois religieux pèsent lourd sur l’orientation et la réussite.
Mineurs non accompagnés : une filière à part
En 2024, plus de 13 500 décisions de placement ont été prises pour des mineurs non accompagnés. 91 % sont des garçons, majoritairement originaires d’Afrique subsaharienne.
Leur parcours est particulier : orientation massive vers les filières professionnelles, apprentissage rapide, insertion souvent précoce dans le monde du travail. Ce système fonctionne, mais il pose aussi la question de l’école comme lieu d’ascension sociale pour ces jeunes.
Une concentration géographique qui change tout
L’impact n’est pas uniforme sur le territoire. Dans certains quartiers, la part d’élèves non francophones dépasse largement la moyenne nationale. Les enseignants témoignent d’une charge de travail décuplée : cours à plusieurs vitesses, traduction permanente, gestion de classes hétérogènes.
Le mythe de l’école sanctuaire où tout le monde avance au même rythme appartient au passé.
Peut-on encore parler d’universalisme républicain ?
La tradition française repose sur l’idée qu’à l’école, tous les enfants sont égaux et suivent le même chemin. Cette belle idée se heurte aujourd’hui à une réalité brutale : des élèves arrivent sans les bases linguistiques minimales, d’autres grandissent dans des foyers où le français n’est jamais parlé.
Continuer à nier cette fracture, c’est condamner des générations entières – quelles que soient leurs origines – à l’échec.
« Il ne s’agit pas de stigmatiser les individus ou de renoncer à notre tradition universaliste. »
Mais pour sauver cet universalisme, il faut d’abord le regarder en face, avec lucidité et sans complaisance.
Et demain ?
Les flux migratoires ne faiblissent pas. Les naissances dans les familles non francophones continuent d’augmenter. Sans politique volontariste – maîtrise des flux, exigence linguistique dès la petite enfance, soutien massif aux enseignants – la situation risque de devenir ingérable.
L’école française n’a pas seulement besoin de moyens. Elle a besoin de vérité.
Car derrière chaque statistique, il y a un enfant. Un enfant qui mérite qu’on lui donne toutes ses chances, dans une école qui sache encore transmettre la langue et les savoirs qui ouvrent les portes de l’avenir.
Le débat est ouvert. Il est urgent.









