Le 29 octobre 2024, la région de Valence vivait l’une des pires catastrophes naturelles de son histoire récente. En quelques heures, des pluies diluviennes transformaient des rues entières en torrents de boue, emportant voitures, maisons et, surtout, des centaines de vies. Un an plus tard, les stigmates sont encore visibles et la colère, loin de s’apaiser, a fini par emporter le président de l’époque.
Un nouveau chapitre politique s’ouvre sous haute tension
Jeudi dernier, Juan Francisco Pérez Llorca a été officiellement investi président de la Generalitat valencienne. L’événement, en apparence classique, porte en réalité les marques profondes d’une crise qui secoue la région depuis douze mois. Pour comprendre l’ampleur du moment, il faut revenir sur les circonstances qui ont conduit à cette passation de pouvoir hors norme.
La catastrophe qui a tout changé
Ce fameux 29 octobre, la Dana – dépression isolée en altitude – a déversé des quantités d’eau inimaginables. Des communes entières se sont retrouvées submergées en quelques minutes. Le bilan officiel fait état de 237 victimes, dont une immense majorité dans la province de Valence. Des familles entières ont été décimées, des quartiers rayés de la carte.
Très vite, les regards se sont tournés vers les responsables politiques. Et particulièrement vers Carlos Mazón, alors président de la Generalitat. Les critiques n’ont pas tardé : retard dans l’envoi des alertes sur les téléphones portables, absence de coordination claire, communication défaillante… Autant de reproches qui se sont accumulés au fil des mois.
Le déjeuner qui a scellé un destin
L’image est restée gravée dans toutes les mémoires. Tandis que l’eau montait dangereusement, Carlos Mazón passait plusieurs heures dans un salon privé d’un restaurant de Valence, en compagnie d’une journaliste. Son agenda précis de la journée reste flou, et cette opacité a alimenté toutes les polémiques.
Pour beaucoup de Valencians, ce déjeuner symbolise à lui seul la déconnexion des élites face à la souffrance du peuple. Les témoignages se sont multipliés : des habitants qui appelaient au secours sans réponse, des pompiers débordés, des maires laissés seuls face à l’urgence.
Les semaines suivantes n’ont rien arrangé. De nombreuses familles ont reproché à l’ancien président de ne jamais être venu les rencontrer personnellement. Un silence perçu comme un mépris supplémentaire.
Une démission sous pression populaire
Le 3 novembre dernier, soit exactement un an et quelques jours après la catastrophe, Carlos Mazón a fini par présenter sa démission. Une décision longtemps attendue, mais qui n’a pas apaisé les esprits. Il conserve néanmoins son siège de député régional, ce qui continue d’alimenter la colère.
Chaque mois, des rassemblements sont organisés par les associations de victimes. Le prochain est prévu samedi à Valence, avec un slogan sans ambiguïté : « Mazón en prison ». Un cri qui résume la fracture profonde entre une partie de la population et celui qui incarnait le pouvoir régional au moment du drame.
L’investiture sous le regard de Vox
C’est dans ce climat électrique que Juan Francisco Pérez Llorca a prêté serment. Membre du Parti populaire comme son prédécesseur, il avait besoin d’une majorité absolue au premier tour. Et pour l’obtenir, il a dû compter sur un soutien décisif : celui de Vox.
Le parti d’extrême droite, troisième force politique dans la région, a apporté ses voix sans lesquelles l’élection aurait été repoussée. Un accord qui, même s’il reste dans les limites des règles parlementaires, ne manque pas d’interroger sur l’avenir politique de la Communauté valencienne.
« Mes premiers mots en tant que président de la Generalitat seront pour demander pardon aux familles des 229 victimes recensées dans notre région. Pardon à toutes les personnes et familles qui souffrent encore des conséquences des crues du 29 octobre. Celles qui ont tout perdu et celles qui ont perdu trop. »
Juan Francisco Pérez Llorca, lors de son discours d’investiture
Ces excuses, prononcées dès les premières minutes de son intervention, ont marqué les esprits. Étaient-elles sincères ? Nécessaires ? Opportunistes ? Chacun y verra ce qu’il veut, mais elles constituent déjà une rupture de ton avec l’attitude précédente.
Une région toujours en deuil
Derrière les jeux parlementaires, il y a surtout des milliers de personnes qui tentent de reconstruire leur vie. Des maisons encore inhabitées, des entreprises disparues, des cimetières où les fleurs ne fanent jamais. Un an après, le travail de mémoire et de reconstruction reste immense.
Les associations de victimes, loin de se satisfaire des excuses officielles, continuent de demander vérité et justice. Elles exigent que toute la lumière soit faite sur les décisions prises – ou non prises – le jour de la catastrophe.
La présence de Carlos Mazón lors de la dernière partie de la session d’investiture n’a rien arrangé. Assis parmi les députés, il a assisté à la prise de fonction de son successeur dans un silence lourd. Pour beaucoup, sa place était ailleurs : face aux familles qu’il n’a jamais voulu rencontrer.
Quels défis pour le nouveau président ?
Juan Francisco Pérez Llorca arrive au pouvoir dans une situation particulièrement délicate. Il doit à la fois apaiser une population traumatisée et gérer une majorité parlementaire fragile, dépendante du bon vouloir de Vox.
Parmi les priorités annoncées figurent la reconstruction des zones sinistrées, le renforcement du système d’alerte et, surtout, le rétablissement de la confiance entre les citoyens et leurs institutions. Des chantiers titanesques qui nécessiteront bien plus que des mots.
La question de la dépendance vis-à-vis de l’extrême droite plane également. Chaque décision importante risque d’être scrutée à la lumière de cet accord tacite. Un équilibre précaire qui pourrait rapidement se transformer en piège.
Un tournant pour la politique valencienne
Cette investiture marque sans doute un tournant. Elle illustre la recomposition en cours du paysage politique espagnol, où les alliances autrefois impensables deviennent possibles pour conserver ou conquérir le pouvoir.
Elle montre aussi que certaines catastrophes dépassent le cadre naturel pour devenir de véritables séismes politiques. La Dana de 2024 a emporté bien plus que des vies : elle a révélé les failles d’un système et fait vaciller des carrières considérées comme solides.
Au-delà des étiquettes partisanes, c’est toute une région qui cherche aujourd’hui à tourner la page sans pour autant oublier. Le chemin sera long, semé d’embûches et de souvenirs douloureux. Mais c’est peut-être à ce prix que Valence pourra un jour se relever complètement.
En attendant, les Valencians regardent leur nouveau président avec un mélange d’espoir prudent et de méfiance légitime. Les excuses ont été prononcées. Reste à savoir si les actes suivront.









