Imaginez rentrer chez vous un soir et découvrir que dix membres de votre famille ont disparu, emportés par des hommes armés en quelques minutes. Au Nigeria, cette scène n’est plus un cauchemar isolé : elle fait désormais partie du quotidien de centaines de familles.
En l’espace de dix jours seulement, plus de 350 personnes ont été kidnappées à travers le pays. Un chiffre glaçant qui révèle l’ampleur d’une crise sécuritaire qui semble échapper à tout contrôle.
Une nouvelle vague d’une violence inouïe
Mercredi 26 novembre 2025, vers 20 heures, des hommes armés ont fait irruption dans deux villages de l’État du Niger, au centre-ouest du Nigeria. À Angwan-Kawo et Kuchipa, dix personnes ont été enlevées sous la menace des armes. La police locale a immédiatement lancé des recherches, mais pour l’instant, aucune nouvelle des victimes.
Ce n’est malheureusement que la partie émergée de l’iceberg.
Quelques heures plus tard, dans la nuit du jeudi au vendredi, c’est une école catholique de Papiri, dans le même État, qui a été prise d’assaut. Plus de 300 enfants et enseignants ont été emportés. Un chiffre qui donne le vertige et qui rappelle les heures les plus sombres du pays.
Des attaques tous azimuts, sans distinction de religion ni d’âge
Ce qui frappe dans cette série d’enlèvements, c’est leur caractère indiscriminé.
Dans l’État de Kebbi, au nord-ouest, 25 lycéennes musulmanes ont été kidnappées à Maga. Dans l’État de Kwara, 38 fidèles ont été enlevés dans une église pentecôtiste à Eruku, et dix autres personnes à Ispa. Dans l’État de Borno, treize jeunes filles ont disparu.
Musulmans, chrétiens, enfants, adultes… personne n’est épargné. Seule constante : la vulnérabilité des zones rurales et la brutalité des assaillants.
Des libérations partielles qui ne rassurent personne
Certains otages ont retrouvé la liberté. Les 25 lycéennes de Maga, les 38 fidèles d’Eruku et une cinquantaine d’élèves de Papiri ont été libérés ou ont réussi à s’échapper. Mais des dizaines d’autres manquent toujours à l’appel.
Pour les familles, c’est une attente insoutenable. Chaque jour sans nouvelles est une torture. Et quand les ravisseurs prennent contact, c’est souvent pour exiger des rançons exorbitantes que peu de familles peuvent payer.
L’État d’urgence décrété par Bola Tinubu
Face à cette vague sans précédent, le président Bola Tinubu a réagi mercredi en décrétant l’état d’urgence sécuritaire à l’échelle nationale.
Parmi les mesures annoncées :
- Recrutement de 50 000 nouveaux policiers
- Réaffectation immédiate des agents détachés à la protection de personnalités vers des missions de terrain
- Déploiement massif de gardes forestiers pour traquer les groupes armés
- Obligation pour les lieux de culte de demander une protection policière dans les zones à risque
Un rapport récent de l’Agence de l’Union européenne pour l’asile révélait que plus de 100 000 policiers – sur un effectif total de 371 000 – étaient affectés à la protection de personnalités plutôt qu’à la sécurité des citoyens. Cette réaffectation était attendue depuis longtemps.
Qui sont les ravisseurs ?
C’est la grande question. Jihadistes ? Bandits criminels ? Les deux ?
Dans le nord-est, l’insurrection jihadiste perdure depuis 2009. Dans le nord-ouest et le centre, les bandes criminelles lourdement armées – surnommées « bandits » – terrorisent les populations depuis des années avec des attaques, des pillages et des enlèvements contre rançon.
Dans de nombreux cas récents, l’identité exacte des assaillants reste floue. Parfois, les deux types de groupes coopèrent ou se disputent le même territoire. Ce qui est certain, c’est que leur puissance de feu et leur organisation ne cessent de croître.
Le traumatisme de Chibok plane toujours
Comment oublier le kidnapping des 276 lycéennes de Chibok en 2014 par Boko Haram ?
Plus de dix ans après, une centaine d’entre elles n’ont jamais été retrouvées. Ce drame avait choqué le monde entier et lancé le mouvement #BringBackOurGirls.
Aujourd’hui, chaque nouvelle attaque ravive cette douleur collective. Et rappelle que le Nigeria n’a jamais vraiment réussi à tourner cette page.
Une crise qui dépasse les frontières
La situation sécuritaire nigériane préoccupe désormais au-delà du continent africain.
Récemment, des voix aux États-Unis – notamment parmi les élus conservateurs et certaines organisations chrétiennes – ont accusé le Nigeria de laisser se dérouler des « persécutions anti-chrétiennes » orchestrées par des « terroristes islamistes ». Des déclarations parfois accompagnées de menaces d’intervention militaire.
Abuja a toujours rejeté ces accusations, rappelant que les victimes appartiennent à toutes les confessions et que la grande majorité des enlèvements sont motivés par l’argent, pas par la religion.
Que se passe-t-il vraiment sur le terrain ?
Derrière les chiffres et les déclarations officielles, il y a des milliers de vies brisées.
Des enfants qui ne dorment plus, des parents qui ne mangent plus, des villages entiers qui se vident par peur d’être les prochains sur la liste.
Dans certaines régions, les écoles ferment les unes après les autres. Les agriculteurs n’osent plus aller cultiver leurs champs. L’économie locale s’effondre doucement, dans l’indifférence relative des grandes villes.
Vers une réponse enfin à la hauteur ?
Les mesures annoncées par le président Tinubu sont ambitieuses sur le papier. Mais beaucoup de Nigérians restent sceptiques.
Combien de fois a-t-on entendu parler de « grande offensive » ou de « recrutement massif » sans que la situation ne s’améliore durablement ?
Pourtant, cette fois, la pression est énorme. L’opinion publique est excédée. Les réseaux sociaux bruissent de colère. Et la communauté internationale observe, prête à pointer du doigt en cas d’échec.
Une chose est sûre : le Nigeria se trouve à un tournant. Soit les autorités parviennent enfin à reprendre la main, soit le pays risque de basculer un peu plus dans le chaos.
En attendant, des centaines de familles retiennent leur souffle, espérant le retour de leurs proches. Et chaque nouvelle nuit apporte son lot d’angoisse : qui sera le prochain ?









