Et vous, seriez-vous prêt à enfiler l’uniforme pendant plusieurs mois si votre pays vous l’imposait demain ? Cette question, qui semblait appartenir à une autre époque, redevient brutalement d’actualité en Europe.
Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, la carte du service militaire sur le continent se redessine à toute vitesse. Des États qui avaient tourné la page de la conscription il y a vingt ou trente ans la ressortent des cartons. D’autres, qui ne l’avaient jamais vraiment abandonnée, l’allongent ou l’étendent aux femmes. Tour d’horizon complet d’une tendance lourde qui interroge notre rapport à la défense et à la citoyenneté.
Une Europe à plusieurs vitesses face à l’obligation militaire
Le Vieux Continent n’a jamais été aussi divisé sur la question du service militaire. Entre ceux qui maintiennent une conscription ferme, ceux qui la rétablissent après l’avoir suspendue et ceux qui misent tout sur le volontariat, les modèles coexistent… pour combien de temps encore ?
Les irréductibles de la conscription obligatoire
Certains pays n’ont jamais cédé à la mode de l’armée professionnelle. Pour eux, le service militaire reste un pilier de la cohésion nationale et de la défense.
Le Danemark vient de frapper fort : en 2024, la durée du service est passée de 4 à 11 mois et, depuis le 1er juillet, il est obligatoire aussi pour les femmes. Les jeunes sont tirés au sort selon les besoins des forces armées. Un signal clair envoyé à quelques centaines de kilomètres de la frontière russe.
En Finlande, voisine directe de la Russie, presque tous les hommes effectuent entre 6 et 12 mois de service selon leur spécialité. À l’issue, ils intègrent la réserve jusqu’à 50 ou 60 ans – et le gouvernement réfléchit à porter cet âge à 65 ans. Les femmes, elles, peuvent choisir de s’engager volontairement.
La Norvège a été pionnière en 2013 en imposant le service à tous, hommes et femmes, au nom de l’égalité. Seule une minorité (environ 15 % d’une classe d’âge) est finalement appelée, mais la sélection repose sur la motivation et les compétences.
Plus au sud, l’Estonie forme ses conscrits sur une logique territoriale : 8 à 11 mois pour les hommes (volontaire pour les femmes) afin qu’ils puissent ensuite être mobilisés rapidement dans leur région en cas de crise.
La Grèce conserve une durée classique de 9 à 12 mois pour les hommes, récemment ouverte aux femmes volontaires. À Chypre, les hommes doivent encore 14 mois, et le parlement a voté en avril l’ouverture aux volontaires féminines.
Enfin, deux pays neutres historiques résistent : l’Autriche (6 mois) et la Suisse (9 mois environ) maintiennent l’obligation pour les hommes, avec possibilité pour les femmes de s’engager.
Le retour en force après des années de suspension
Le choc de 2022 a été un électrochoc. Plusieurs pays baltes et nordiques ont décidé de réactiver la machine.
La Lituanie a ouvert la voie dès 2015 en rétablissant la conscription pour les hommes (9 mois), sélectionnés par tirage au sort. Les conscrits restent ensuite réservistes dix ans, bientôt quinze.
La Suède a suivi en 2017, après sept ans d’armée 100 % professionnelle. Désormais, hommes et femmes sont concernés, pour 9 à 15 mois selon les besoins. En réalité, seule une petite partie de la classe d’âge est appelée, mais tous peuvent être mobilisés en cas de crise, y compris pour des missions civiles dans le cadre de la « défense totale ».
La Lettonie a franchi le pas en 2023 avec 11 mois obligatoires pour les hommes (volontaire pour les femmes). Une alternative existe : cinq ans dans la Garde nationale avec des périodes de formation annuelles.
Plus surprenant, la Croatie, membre de l’OTAN depuis 2009, a voté fin octobre 2025 le retour de la conscription obligatoire pour les hommes dès 2026, après l’avoir suspendue en 2008.
À retenir : En moins de dix ans, quatre pays ont rétabli une forme de conscription obligatoire. Un mouvement inédit depuis la fin de la Guerre froide.
Le grand virage vers le volontariat renforcé
Partout ailleurs, l’idée d’une obligation générale fait encore peur. On préfère parler de « service national » ou de « volontariat militaire » boosté.
En France, le futur Service National Universel version 2026 sera d’abord volontaire : dix jours pour 3 000 jeunes la première année, avec l’objectif de monter à 50 000 en 2035. Missions exclusivement sur le territoire national.
L’Allemagne, qui avait suspendu la conscription en 2011, s’oriente vers un service volontaire ambitieux : la coalition au pouvoir doit voter en décembre 2025 un texte visant 20 000 volontaires par an dès 2026.
La Belgique prépare un service militaire volontaire de 12 mois à partir de 2026, avec 1 000 recrues espérées en 2028. Même chose en Roumanie avec quatre mois de formation volontaire dès l’an prochain.
Les Pays-Bas et la Bulgarie ont déjà leurs programmes volontaires respectifs depuis quelques années.
Quant au Royaume-Uni, le bref débat sous le précédent gouvernement conservateur a été enterré par Keir Starmer : pas de retour de la conscription en vue.
Pourquoi ce réveil brutal ?
La réponse tient en un mot : la Russie. L’annexion de la Crimée en 2014 avait déjà fait tiquer les pays baltes. L’invasion à grande échelle de l’Ukraine en 2022 a tout changé.
Les états-majors constatent que les armées professionnelles, aussi bien équipées soient-elles, manquent cruellement d’effectifs en cas de conflit de haute intensité. Une réserve nombreuse et entraînée devient soudain vitale.
Au-delà de la menace militaire directe, il y a aussi la question de la cohésion nationale. Dans plusieurs pays nordiques, on parle ouvertement de « recréer du lien » entre les jeunes et l’État, de transmettre les valeurs de discipline et de résilience.
« Dans un monde où les menaces hybrides se multiplient, nous avons besoin de citoyens prêts à défendre leur pays, pas seulement de soldats professionnels. »
Un haut responsable de la défense suédoise
Et demain ?
Difficile de prédire jusqu’où ira cette vague. Certains experts estiment que la France pourrait, à terme, rendre une partie de son service obligatoire si la situation sécuritaire continue de se dégrader.
D’autres pays, comme la Pologne, qui mise aujourd’hui sur une formation volontaire d’un mois suivie d’engagements plus longs, pourraient durcir le ton.
Une chose est sûre : le débat n’est plus tabou. Ce qui était impensable il y a cinq ans – revoir des dizaines de milliers de jeunes en treillis chaque année – devient une option sérieuse dans les états-majors et les parlements.
Alors, simple parenthèse sécuritaire ou vrai tournant sociétal ? L’Europe de 2030 ressemblera-t-elle à celle de 1990, avec ses appelés dans chaque village ? Ou le volontariat suffira-t-il à calmer les inquiétudes ?
Une seule certitude : la paix armée est de retour. Et avec elle, la question vieille comme l’État-nation : qui est prêt à servir ?
Le service militaire obligatoire concerne aujourd’hui directement ou indirectement des millions de jeunes Européens. Et la carte continue d’évoluer… presque tous les mois.









