La nuit était glaciale dans les montagnes du sud du Tadjikistan quand le silence a été brisé par des rafales d’armes automatiques et l’explosion sourde d’une grenade larguée depuis les airs. Trois travailleurs chinois n’en reviendront pas.
Une attaque d’un nouveau genre à la frontière afghane
Le ministère tadjik des Affaires étrangères a confirmé, jeudi, qu’une attaque armée lancée depuis le territoire afghan avait visé des employés de la société Shohin SM dans la région de Khatlon. L’opération, menée à l’aide d’armes à feu classiques mais aussi d’un drone porteur d’explosifs, a coûté la vie à trois ressortissants chinois.
Ce n’est pas la première fois cette année qu’un citoyen chinois perd la vie près de cette frontière poreuse de 1 350 kilomètres. En novembre 2024 déjà, un travailleur avait été abattu dans des circonstances similaires, à quelques dizaines de kilomètres de là.
Un mode opératoire qui évolue dangereusement
L’utilisation d’un drone chargé de grenades marque une escalade technique préoccupante. Longtemps cantonnés à des fusillades ou à des engins explosifs improvisés, les groupes armés opérant depuis l’Afghanistan semblent désormais maîtriser des technologies autrefois réservées aux armées étatiques.
Cette capacité nouvelle change la donne pour la sécurité des milliers de travailleurs chinois présents en Asie centrale, notamment dans les secteurs minier et infrastructural où Pékin investit massivement.
« Cette attaque, perpétrée à l’aide d’armes à feu et d’un drone chargé de grenades, a coûté la vie à trois employés de nationalité chinoise »
Communiqué du ministère tadjik des Affaires étrangères
Douchane face aux talibans : une voix isolée en Asie centrale
Parmi les cinq présidents d’Asie centrale, Emomali Rakhmon est le seul à critiquer ouvertement le régime taliban depuis leur retour au pouvoir en 2021. Il n’a jamais cessé d’exiger le respect des droits des Tadjiks ethniques, estimés à environ un quart de la population afghane.
Cette position ferme contraste avec l’approche pragmatique adoptée par l’Ouzbékistan, le Turkménistan ou le Kazakhstan, qui ont rapidement noué des relations économiques avec Kaboul.
Pourtant, même Douchanbé a dû composer avec la réalité : le Tadjikistan fournit aujourd’hui de l’électricité à l’Afghanistan et a rouvert certains marchés frontaliers. Une coopération minimaliste, mais réelle.
Des groupes jihadistes toujours actifs dans les zones montagneuses
Les autorités tadjikes pointent du doigt des « groupes criminels » opérant depuis l’Afghanistan. Sans nommer directement les talibans, le communiqué regrette que ces acteurs continuent de déstabiliser la frontière malgré les efforts tadjiks pour maintenir la sécurité.
Deux mouvements inquiètent particulièrement les services de sécurité centrasiatiques :
- Jamaat Ansarullah, groupe tadjik créé en 2010 et lié aux talibans
- L’État islamique au Khorassan (EI-K), particulièrement actif dans le nord de l’Afghanistan
Ces organisations disposent de camps d’entraînement dans les provinces afghanes de Badakhshan et Takhar, juste de l’autre côté de la rivière Piandj qui sert de frontière naturelle.
La Chine, cible récurrente dans la région
Les entreprises chinoises sont omniprésentes au Tadjikistan : mines d’or, d’antimoine, routes, barrages… Le pays regorge de ressources que Pékin convoite dans le cadre de son initiative « Ceinture et Route ».
Cette présence massive fait des ressortissants chinois des cibles potentielles pour tous les groupes hostiles à l’influence croissante de Pékin en Asie centrale – qu’il s’agisse de jihadistes ou de nationalistes locaux.
Depuis 2016, plusieurs attentats ou attaques ont visé des intérêts chinois dans la région : attentat contre l’ambassade chinoise à Bichkek, attaque d’un bus de touristes chinois au Tadjikistan en 2018 (attribuée à l’EI-K), enlèvement de travailleurs en 2022…
Une frontière sous haute tension
Ces derniers mois, les incidents se sont multipliés le long des 1 350 kilomètres de frontière, même si la plupart restent tus par les autorités. Des échanges de tirs, des violations de l’espace aérien, des accrochages entre patrouilles…
Des rencontres discrètes entre responsables talibans et tadjiks ont bien eu lieu, rapportent des sources locales, mais elles n’ont pour l’instant pas permis aucune désescalade durable.
Le Tadjikistan demande aujourd’hui à Kaboul des « mesures efficaces » pour sécuriser la frontière. Un appel qui risque de rester lettre morte tant que les talibans peinent à contrôler l’ensemble des groupes armés présents sur leur territoire.
Dans ce contexte explosif, la mort de trois travailleurs chinois dans la nuit du 26 novembre pourrait n’être qu’un épisode parmi d’autres… ou le début d’une nouvelle phase de déstabilisation régionale. L’avenir le dira.









