Imaginez : vous venez de voter dans un climat déjà électrique, les deux camps proclament leur victoire, et trois jours plus tard, des militaires surgissent à la télévision nationale pour annoncer qu’ils ont « pris le contrôle total du pays ». C’est exactement ce qui s’est passé en Guinée-Bissau cette semaine, plongeant à nouveau ce petit État d’Afrique de l’Ouest dans l’incertitude la plus totale.
Un coup de force au lendemain des urnes
Le timing est presque irréel. Les Guinéens ont voté le 23 novembre pour élire leur président et leurs députés. Les résultats provisoires devaient être annoncés dans les jours suivants. Mais mercredi, avant même la publication officielle, des militaires ont investi les rues de Bissau, arrêté le président sortant Umaro Sissoco Embalo et suspendu l’ensemble du processus électoral.
Dans une déclaration diffusée sur les ondes, les putschistes ont justifié leur action par la nécessité de « protéger la nation » et dénoncé des « irrégularités massives ». Le président et plusieurs hauts responsables sont désormais détenus dans des lieux tenus secrets.
La réaction immédiate et sans appel de la CEDEAO
Dès le lendemain, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a publié un communiqué d’une rare fermeté. L’organisation régionale « condamne sans équivoque » le coup d’État et le qualifie de « grave violation de l’ordre constitutionnel ».
« Cette tentative de changement anticonstitutionnel de gouvernement constitue une menace directe pour la stabilité du pays et de la région dans son ensemble. »
Communiqué officiel de la CEDEAO
Le président en exercice de la CEDEAO, le Sierra-Léonais Julius Maada Bio, s’est dit prêt à « prendre toutes les mesures nécessaires » pour restaurer rapidement l’ordre constitutionnel. Le message est clair : la tolérance zéro envers les coups d’État, réaffirmée depuis 2021, reste plus que jamais d’actualité.
Un pays habitué aux soubresauts politiques
Pour comprendre l’ampleur du choc, il faut se replonger dans l’histoire tourmentée de la Guinée-Bissau. Depuis son indépendance du Portugal en 1974, le pays a connu :
- Quatre coups d’État réussis
- Une multitude de tentatives avortées
- Des périodes d’instabilité quasi permanente
À chaque cycle électoral majeur, la proclamation des résultats a souvent déclenché des tensions extrêmes. Le scrutin du 23 novembre n’a pas échappé à la règle : le camp du président sortant et celui de l’opposant Fernando Dias de Costa revendiquaient tous deux la victoire avant même les chiffres officiels.
Ce schéma répétitif a transformé la Guinée-Bissau en l’un des États les plus fragiles de la sous-région, régulièrement classé parmi les pays les plus pauvres et les plus instables du continent.
Une vague de coups d’État qui inquiète toute l’Afrique de l’Ouest
Ce nouveau putsch ne sort pas de nulle part. Depuis 2020, l’Afrique de l’Ouest traverse une véritable tempête militaire :
- Août 2020 et mai 2021 : Mali
- Janvier et septembre 2022 : Burkina Faso
- Juillet 2023 : Niger
- Septembre 2021 : Guinée Conakry
- Novembre 2025 : Guinée-Bissau
Cinq pays en cinq ans. Un record qui met à rude épreuve la crédibilité de la CEDEAO et interroge profondément la solidité des institutions démocratiques dans la région.
Chaque fois, les justifications avancées par les militaires sont sensiblement les mêmes : corruption, mauvaise gouvernance, insécurité grandissante. Des arguments qui trouvent un écho auprès d’une partie de la population épuisée par des années de crises.
Les exigences précises de la communauté internationale
La CEDEAO ne s’est pas contentée de mots. Elle a formulé des demandes très concrètes :
- Libération immédiate et inconditionnelle du président Embalo et de tous les détenus
- Garantie totale de leur sécurité et de leur intégrité physique
- Retour rapide à l’ordre constitutionnel
- Reprise sans délai du processus électoral
Derrière ces exigences, la menace implicite de sanctions économiques et diplomatiques plane déjà. Le précédent du Mali, du Burkina et du Niger – suspension de la CEDEAO, gel des avoirs, fermeture des frontières – pourrait très rapidement se répéter.
Quelles issues possibles dans les prochains jours ?
Plusieurs scénarios se dessinent à l’heure actuelle.
D’abord, une négociation sous pression régionale : les militaires acceptent de libérer le président et de organiser de nouvelles élections sous supervision internationale. C’est l’option privilégiée par la CEDEAO.
Ensuite, l’enlisement : les putschistes s’accrochent au pouvoir, forment un comité de transition et rejettent les injonctions régionales. Ce fut le cas dans les autres pays touchés récemment.
Enfin, le pire des cas : une confrontation armée entre factions militaires ou entre l’armée et des milices pro-gouvernementales. Un risque réel dans un pays où les divisions ethniques et politiques restent vives.
Un défi majeur pour la crédibilité régionale
Au-delà de la Guinée-Bissau, c’est toute l’architecture de paix et de sécurité ouest-africaine qui vacille. La CEDEAO, déjà affaiblie par le retrait annoncé du Mali, du Burkina et du Niger (l’Alliance des États du Sahel), joue ici une partie de sa survie.
Si elle n’arrive pas à ramener rapidement l’ordre constitutionnel à Bissau, le message envoyé aux autres armées de la région sera devastateur : prendre le pouvoir par la force peut payer.
À l’inverse, une réponse ferme et coordonnée pourrait marquer un tournant et redonner du crédit à la politique de « tolérance zéro » prônée depuis plusieurs années.
Que retenir de cette nouvelle crise ?
Ce coup d’État en Guinée-Bissau nous rappelle cruellement que la démocratie reste fragile sur le continent, particulièrement quand les institutions sont faibles et que l’armée conserve un rôle politique prépondérant.
Il montre aussi que les élections, loin d’être une solution miracle, peuvent parfois devenir le détonateur de crises plus profondes si les règles du jeu ne sont pas respectées par tous.
Enfin, il place la CEDEAO face à ses responsabilités : protéger les acquis démocratiques ou accepter, de fait, le retour des pronunciamientos militaires comme mode normal de changement politique en Afrique de l’Ouest.
Les prochains jours seront décisifs. La communauté internationale, l’Union africaine et les grandes puissances observent attentivement. Bissau n’est pas qu’une crise de plus : c’est peut-être le test ultime de la capacité de l’Afrique de l’Ouest à sortir enfin du cycle infernal des coups d’État.
À suivre de très près dans les heures et jours qui viennent : la position officielle des putschistes, les premières sanctions éventuelles et surtout la sécurité du président Embalo et des autres détenus.









