Imaginez : vous dominez le championnat du monde, vous venez de remporter huit rallyes sur douze, vous avez 35 points d’avance avec seulement quatre manches à disputer. Le titre semble déjà dans la poche. Et puis, en une fraction de seconde, tout peut basculer à cause d’une racine glissante sur un chemin forestier. C’est exactement ce qui est arrivé à Sébastien Loeb en 2006.
2006 : l’année où le destin a failli priver Loeb d’un troisième sacre
Presque vingt ans plus tard, le nonuple champion du monde accepte enfin de lever le voile sur les coulisses d’une saison qui reste l’une des plus rocambolesques de l’histoire du WRC. Des mensonges assumés, des blessures cachées, des scénarios dignes d’un film d’espionnage : l’Alsacien raconte tout, avec le recul et une pointe d’autodérision.
Le premier accident que personne n’a vu venir
Tout commence deux semaines avant le drame officiel. Loeb s’offre une petite sortie enduro tranquille près de chez lui, en Suisse. Rien de bien méchant, juste une balade pour se vider la tête entre deux rallyes.
Et là, patatras. Le pied heurte quelque chose, l’orteil craque. Fracture nette. Impossible de poser correctement le pied pour freiner comme il faut dans une Xsara WRC qui demande une précision diabolique au pied gauche.
Plutôt que d’avouer la vérité, l’équipe Citroën (qui court alors sous la bannière privée Kronos) organise en urgence une séance d’essais secrète. Objectif : bricoler une attelle qui maintient le pied et permet une pression constante sur la pédale de frein.
Pour les mécaniciens présents ce jour-là, l’excuse officielle est savoureuse : « Je me suis cogné dans un meuble en sortant de la piscine. » Personne n’y croit vraiment, mais tout le monde se tait. Direction Chypre avec l’attelle cachée sous la combinaison. Loeb gagne quand même.
« Si je n’étais pas déjà tombé deux semaines plus tôt, j’aurais dit la vérité. Mais là, je ne me sentais pas de dire au patron que j’avais encore déconné… »
Sébastien Loeb, 2025
La chute de trop : « Une gamelle de blaireau »
Deux jours après son retour de Chypre, nouvelle sortie moto. Toujours tranquille, toujours près de la maison. Le sol est humide de la veille. Une simple racine en travers du chemin.
La roue avant tape dedans. Loeb vole par-dessus le guidon, atterrit sur la tête et l’épaule droite. Quand il reprend ses esprits, son bras pend mollement. Il comprend immédiatement la gravité.
Impossible cette fois de dire la vérité à Guy Fréquelin, son mentor et patron. Le communiqué officiel parlera donc d’une « chute à vélo ». L’histoire tiendra quatre ans, jusqu’à la sortie de sa première biographie en 2010.
Résultat des courses : quadruple fracture de l’humérus droit, opération à Lausanne, plaque et 16 vis. Quatre derniers rallyes de la saison rayés d’un trait. Le titre, qui paraissait acquis, devient soudain très fragile.
35 points d’avance… et puis plus rien
À ce moment-là, Marcus Grönholm n’a plus que 35 points de retard. Quatre rallyes, 40 points maximum à prendre. Les calculs sont simples : si le Finlandais fait carton plein, il repasse devant.
Première mauvaise nouvelle : la rééducation ne se passe pas comme prévu. Un mois après l’opération, Loeb n’arrive toujours pas à lever le bras. Les médecins finissent par découvrir qu’un nerf est touché. Pronostic : retour possible en un mois… ou jamais.
À Versailles-Satory, c’est la panique. Tout le monde cherche une solution pour que Loeb puisse au moins prendre le départ du dernier rallye en Grande-Bretagne et sécuriser le titre.
Le plan complètement fou de Citroën
C’est là que les idées les plus folles fusent. La plus dingue ? Inscrire Colin McRae comme copilote officiel… pour qu’il prenne le volant en spéciales pendant que Loeb reste passager ! Le règlement n’interdit pas explicitement l’échange de places.
Daniel Elena, fidèle copilote de Loeb depuis toujours, va encore plus loin dans l’humour :
« J’ai dit à Seb : t’inquiète, je prends le volant et je termine dans les cinq premiers ! »
Daniel Elena, hilare en 2025
On imagine la tête des commissaires si la Xsara numéro 1 était arrivée au parc fermé avec le Monégasque au volant et Loeb en train de lire les notes depuis le baquet de droite…
Le miracle australien
Heureusement, le destin choisit une autre fin. Fin octobre, Marcus Grönholm sort violemment de la route en Australie. Le titre sauvé au cœur de la nuit européenne.
Loeb se réveille avec des dizaines de messages de félicitations. Il n’a même pas eu besoin de remonter dans la voiture. Le troisième titre mondial est dans la poche, conquis d’un point seulement.
Le classement final 2006 :
1. Sébastien Loeb – 112 points
2. Marcus Grönholm – 111 points
Différence : 1 petit point
Ce que cette saison nous dit du personnage
Derrière l’anecdote croustillante, il y a une leçon plus profonde. Loeb a toujours été un compétiteur absolu, prêt à tout pour ne rien laisser au hasard – même quand le hasard lui jouait des tours.
Cacher une blessure, mentir à son patron, piloter avec une attelle artisanale, envisager de faire conduire son copilote… Tout plutôt que de laisser filer un titre qui lui tendait les bras.
Cette saison 2006 résume parfaitement pourquoi il a dominé le WRC pendant près d’une décennie : talent brut, bien sûr, mais aussi une détermination et une gestion du risque hors norme – même quand le risque le rattrapait hors piste.
Presque vingt ans plus tard
Aujourd’hui, Loeb regarde cette période avec le sourire. Il continue de rouler (Dakar, WRC occasionnel, Extreme E), mais admet que ces sorties moto « tranquilles » font désormais partie du passé.
Quant à Daniel Elena, il jure encore qu’il aurait été plus rapide que son pilote. On attend toujours la démonstration…
Une chose est sûre : en 2006, le rallye a échappé au plus grand hold-up de son histoire. Grâce à une racine, une chute, quelques vis, et un Finlandais qui a fini dans le décor australien.
Le reste appartient à la légende.









