Imaginez un gamin qui grandit dans l’ombre de deux frères déjà champions, médaillés, appelés en équipe de France dès leurs vingt ans. Tout le monde dit de lui qu’il est le plus doué des trois. Et pourtant, à 27 ans, il n’a toujours pas connu la moindre sélection chez les seniors. C’est l’histoire de Killian Tillie, ce « K3 » que la France du basket découvre enfin ce vendredi face à la Belgique.
Une famille où le maillot bleu est une évidence… sauf pour le petit dernier
Dans la famille Tillie, le sport de haut niveau coule dans les veines. Le père, Laurent, champion olympique de volley à Tokyo 2021 avec les Bleus avant de prendre les rênes du Japon. L’aîné, Kim, médaillé de bronze au Mondial 2014 de basket. Le cadet, Kevin, double champion olympique de volley (2021 et 2025). Et puis il y a Killian, le benjamin, celui que tout le monde voyait déjà dominer les deux sports dès l’adolescence.
Mais le destin en a décidé autrement. Là où ses frères ont enchaîné les sélections jeunes puis seniors sans encombre, Killian a plongé dans un tunnel qui a duré plus de deux ans et demi. Une période tellement douloureuse que même Laurent Tillie, pourtant habitué aux coups durs, parle aujourd’hui d’une « souffrance familiale ».
L’opération du dos qui a tout fait basculer
Tout commence par une intervention chirurgicale censée régler un problème récurrent au dos. Une opération banale sur le papier. Sauf que les choses tournent mal. Un nerf se retrouve coincé. Les douleurs deviennent insupportables au quotidien. Impossible de courir, de sauter, parfois même de marcher normalement.
Le corps compense. Et quand on compense trop longtemps dans le sport de haut niveau, d’autres blessures arrivent. Rupture de tendon. Nouveau coup d’arrêt. À 24-25 ans, là où la plupart des joueurs explosent en Europe ou en NBA, Killian se retrouve à se demander s’il pourra un jour rejouer au basket.
« Ç’a été une souffrance, pour lui bien sûr, mais aussi familiale. On connaissait son potentiel, c’est l’enfant chéri de la famille, protégé par ses deux grands frères. On était désolés de ce qui lui arrivait. »
Laurent Tillie
Reprendre en cachette à Malaga : le tournant
Pendant que beaucoup auraient baissé les bras, Killian s’accroche. Il part en Espagne, à Malaga, loin des regards. Il reprend doucement, presque en secret. Petit à petit, il retrouve des sensations. Et surtout, il montre à nouveau ce qu’il sait faire : défendre dur, lire le jeu comme personne, planter des tirs à trois points avec une régularité effrayante.
La saison dernière, il termine avec 53 % à trois points en Liga ACB – le meilleur pourcentage de la ligue sur les joueurs ayant tenté un volume significatif. Un chiffre qui ne trompe pas : le talent est intact. Le mental aussi.
Pourquoi cette sélection arrive au meilleur moment
Le 24 octobre dernier, le téléphone sonne. Vincent Collet annonce la. Killian est dans la liste pour les qualifications à la Coupe du monde. Chez les Tillie, on ne crie pas victoire. On n’est pas expansif. Mais on sourit. Enfin.
À 27 ans, Killian n’est plus un espoir. Il est un joueur mature, expérimenté (Gonzaga, Memphis, plusieurs clubs européens), capable d’apporter immédiatement. Poste 4 moderne, défenseur élite, shooteur extérieur fiable, QI basket exceptionnel : il coche beaucoup de cases dans une équipe de France en pleine reconstruction après l’échec de l’Euro.
Le « facteur chance » Tillie : quand les équipes surperforment autour de lui
Ce qui frappe quand on regarde le CV de Killian, c’est cette étrange récurrence : partout où il passe, les équipes gagnent plus que prévu.
- Champion de France U17 avec Antibes et MVP de la finale
- Champion d’Europe U16 avec les Bleuets et MVP du tournoi
- Finale NCAA avec Gonzaga dès sa première année
- MVP de sa conférence universitaire l’année suivante (avant la blessure juste avant la March Madness)
Hasard ? Talent individuel exceptionnel ? Aura particulière ? Laurent Tillie sourit quand on lui pose la question. Il sait que son fils a cette capacité rare à rendre les autres meilleurs. Un couteau suisse qui fait gagner.
Un père à des milliers de kilomètres… mais qui ne ratera rien
Le timing est cruel : Laurent Tillie repartait au Japon le jour même où la sélection était annoncée. Il ne sera pas dans les tribunes de Rouen ce vendredi. Mais à 61 ans, l’ancien sélectionneur des Bleus de volley suivra chaque seconde du match depuis l’autre bout du monde.
Parce que pour lui, cette première cape n’est pas une fin. C’est un tremplin. « L’important n’est pas tant le fait d’avoir enfin la première sélection, mais la reconnaissance du travail et peut-être de l’avenir », explique-t-il. Traduction : Killian a encore de très belles années devant lui.
Et maintenant ?
Le poste 4 est embouteillé en équipe de France, c’est vrai. Mais les profils comme celui de Killian – grand (2,08 m), mobile, adroit, défenseur polyvalent – sont rares. Surtout quand ils sortent d’une telle épreuve. Le genre d’expérience qui forge un mental d’acier.
Ce vendredi à Rouen, un chapitre se tourne. Le dernier Tillie portera enfin le maillot bleu senior. Et quelque part, au Japon, un père regardera l’écran avec une pensée simple : « Il l’a fait. »
Parce que parfois, les plus belles histoires sont celles qui ont failli ne jamais exister.
Killian Tillie, c’est l’exemple parfait que le talent ne suffit pas. Il faut aussi survivre. Et aujourd’hui, il est plus vivant que jamais.
À suivre de très près.









