Imaginez la scène : vous êtes à l’extérieur, menés 3-2 par une équipe grecque accrocheuse, et soudain, en sept minutes à peine, un seul homme retourne complètement le match. Mercredi soir, Kylian Mbappé a vécu ce genre de soirée dont on parle encore des décennies plus tard. Quatre buts, une victoire arrachée 4-3 face à l’Olympiakos, et surtout une entrée fracassante dans un cercle ultra-fermé du Real Madrid. Celui des joueurs ayant inscrit un quadruplé en Ligue des Champions.
Un exploit rarissime sous le maillot blanc
Dans l’histoire centenaire du Real Madrid, seulement quatre joueurs ont réussi cette performance en compétition européenne reine. Quatre. Pas cinq, pas dix. Quatre noms gravés dans le marbre. Et depuis mercredi, Kylian Mbappé y figure aux côtés d’Alfredo Di Stefano, de Ferenc Puskas et de Cristiano Ronaldo. Rien que ça.
Pour bien mesurer la portée de l’exploit, il faut remonter très loin. La première fois qu’un Madrilène a marqué quatre fois dans un même match de Coupe d’Europe des clubs champions (l’ancêtre de la C1), c’était il y a près de soixante-dix ans.
1957-1958 : Alfredo Di Stefano ouvre la voie
Le 5 mars 1958, le Real Madrid écrase le Séville FC 8-0 en quart de finale retour. Alfredo Di Stefano, la Flèche blonde, plante quatre buts. L’Argentino-Espagnol est alors au sommet de son art. Moins de deux ans plus tard, il récidivera contre le Wiener Sport-Club (7-1). Deux quadruplés pour le même homme. À l’époque, personne n’imagine que ce record tiendra aussi longtemps.
Di Stefano, c’est cinq Coupes d’Europe consécutives, deux Ballons d’Or, une aura qui dépasse largement le terrain. Quand Mbappé marque quatre fois, il marche littéralement dans les pas du patron fondateur de la dynastie madrilène.
1960 : Puskas et la finale mythique d’Hampden Park
Le 18 mai 1960 reste l’une des dates les plus célèbres de l’histoire du football. Real Madrid 7 – Eintracht Francfort 3, finale à Glasgow. Ferenc Puskas signe un quadruplé légendaire, complété par le triplé de Di Stefano. Les images en noir et blanc montrent le Hongrois, costume impeccable sur le terrain après le match, soulever la coupe avec une classe infinie.
Cinq ans plus tard, Puskas remet ça contre Feyenoord (5-0). Deux quadruplés lui aussi. Le Canon hongrois devient ainsi le deuxième homme à réaliser cet exploit sous le maillot blanc. Quand on parle de Mbappé aujourd’hui, on parle donc du successeur direct de l’attaquant qui a terrorisé l’Europe dans les années 60.
2015 : Cristiano Ronaldo, l’attente de près d’un demi-siècle
Pendant quarante-neuf ans, personne au Real Madrid n’a réussi à marquer quatre buts en un seul match de Ligue des Champions. Il a fallu attendre le 8 décembre 2015 et un certain Cristiano Ronaldo face à Malmö (8-0) pour voir le compteur redémarrer. Quatre buts en soixante-dix minutes, un récital clinique, presque routine pour CR7 à l’époque.
Dix ans exactement plus tard, presque jour pour jour, Kylian Mbappé reproduit l’exploit. Le parallèle est saisissant : même club, même compétition, même nombre de buts, même impression de facilité terrifiante.
« Je suis très heureux, c’est un moment spécial pour moi. Marquer quatre buts en Ligue des Champions avec ce maillot, c’est un rêve qui devient réalité. »
Kylian Mbappé, après le match
Le deuxième triplé le plus rapide de l’histoire
Mais il n’y a pas que le quadruplé. Il y a surtout la manière. Entre la 22e et la 29e minute, Mbappé marque trois fois. Six minutes et quarante-deux secondes exactement séparent son premier but du troisième. Seule une performance de Mohamed Salah en 2022 (six minutes et douze secondes) fait mieux dans l’histoire de la compétition.
En sept minutes, il a transformé un match mal embarqué (1-1) en démonstration personnelle. Le quatrième but, à l’heure de jeu, n’était presque plus qu’une formalité. Le Real était sauvé, et Mbappé entrait dans les livres d’histoire.
Les quadruplés du Real Madrid en C1 – Le club des 4
- Alfredo Di Stefano – 1957/58 vs FC Séville (8-0) et 1958/59 vs Wiener SC (7-1)
- Ferenc Puskas – 1959/60 vs Eintracht (7-3, finale) et 1965/66 vs Feyenoord (5-0)
- Cristiano Ronaldo – 2015/16 vs Malmö FF (8-0)
- Kylian Mbappé – 2025/26 vs Olympiakos (4-3)
Pourquoi cet exploit pèse plus lourd que les chiffres
Marquer quatre buts quand ton équipe gagne 8-0, c’est déjà énorme. Le faire quand elle gagne 4-3, à l’extérieur, en étant menée plusieurs fois au score, c’est une autre dimension. Mbappé n’a pas simplement gonflé des statistiques : il a porté le Real sur ses épaules quand celui-ci vacillait dangereusement.
En Grèce, le Real a souffert. Olympiakos a mené 2-1, puis 3-2. Sans les quatre réalisations du Français, le champion d’Europe en titre aurait probablement quitté le Pirée avec une défaite humiliante. Au lieu de ça, il repart avec trois points et un nouveau héros.
Et maintenant, le Ballon d’Or ?
En Espagne, la presse ne s’y trompe pas. Les grands journaux titrent déjà sur la « route du Ballon d’Or » pour Mbappé. Car au-delà du simple exploit statistique, il y a cette impression qu’il commence enfin à s’installer durablement au sommet.
Arrivé libre l’été dernier, il a parfois été critiqué pour des débuts en dents de scie. Des penalties manqués, des matches sans but, des comparaisons inévitables avec son prédécesseur portugais. Et puis il y a des soirées comme celle-ci. Où tout devient limpide. Où le talent pur explose et rappelle pourquoi le Real a tout fait pour le recruter.
À 26 ans, Mbappé a encore du temps. Mais il a déjà coché une case que beaucoup de légendes n’ont jamais pu cocher : être comparé, à juste titre, à Di Stefano, Puskas et Ronaldo dans le livre d’or du plus grand club du monde.
Un Français dans la cour des géants madrilènes
Ce qui rend l’histoire encore plus belle, c’est la nationalité. Avant lui, aucun Français n’avait inscrit de quadruplé en Ligue des Champions avec le Real. Karim Benzema, pourtant Ballon d’Or 2022, n’y est jamais parvenu. Zidane, entraîneur ou joueur, non plus. Mbappé est le premier.
Et il le fait avec une insolence, une vitesse, une finition qui rappellent parfois les plus grands moments de ses illustres prédécesseurs. Le premier but sur une accélération fulgurante, le deuxième en renard, le troisième d’une frappe pure, le quatrième en soliste. Un festival complet.
Dans les couloirs du stade Karaiskakis, les supporters grecs, pourtant dépités, applaudissaient malgré eux. Parce qu’on venait d’assister à quelque chose de rare. De ceux qu’on raconte aux enfants plus tard : « J’y étais le soir où Mbappé a mis quatre buts au Real. »
Le Real Madrid a trouvé son nouveau prince. Et ce prince vient de France. L’histoire continue, plus belle que jamais.









