Imaginez une capitale africaine où, du jour au lendemain, plus un enfant ne marche vers l’école, plus une boutique n’ouvre ses rideaux, et où le seul bruit perceptible est celui des bottes militaires sur l’asphalte. C’est l’image qu’offrait Bissau ce jeudi matin, au lendemain d’un coup d’État qui a plongé la Guinée-Bissau dans une nouvelle période d’incertitude totale.
Une capitale sous haute tension militaire
Dès l’aube, le centre-ville ressemblait à une ville morte. Les grandes artères, habituellement animées par les klaxons des taxis collectifs et les cris des marchands, étaient étrangement silencieuses. Seuls quelques rares passants osaient encore circuler, souvent arrêtés et fouillés aux nombreux points de contrôle installés par l’armée.
Autour du palais présidentiel, la présence militaire était particulièrement imposante. Des soldats en tenue de combat, armes automatiques en bandoulière, montaient la garde derrière des sacs de sable. C’est pourtant dans ce même secteur que, la veille à la mi-journée, des tirs nourris avaient semé la panique parmi la population au moment où le putsch a été déclenché.
Un quotidien complètement bouleversé
Les conséquences immédiates du coup de force se ressentaient dans chaque quartier. La majorité des commerces sont restés fermés. Les marchés, d’ordinaire grouillants de vie dès les premières heures, affichaient porte close. Même les écoliers, facilement reconnaissables à leurs uniformes colorés, avaient disparu des rues.
Un couvre-feu nocturne a été instauré et, selon plusieurs témoignages recueillis sur place, des patrouilles militaires ont sillonné la ville toute la nuit de mercredi à jeudi pour maintenir l’ordre. La circulation automobile, bien que possible, restait extrêmement ralentie en raison des contrôles systématiques.
Ce tableau d’une capitale paralysée contraste violemment avec l’effervescence qui régnait encore quelques jours plus tôt, alors que le pays venait de voter pour des élections présidentielle et législatives cruciales.
Le timing du putsch : une coïncidence suspecte
Le coup d’État est intervenu à la veille de la proclamation des résultats provisoires du scrutin du 23 novembre. Un calendrier qui n’a rien d’anodin. Le président sortant, Umaro Sissoco Embalo, donné favori par de nombreux observateurs, et son principal adversaire, Fernando Dias de Costa, revendiquaient chacun la victoire.
Cette situation de double revendication rappelait dangereusement les tensions post-électorales de 2019, qui avaient déjà plongé le pays dans plusieurs mois de crise institutionnelle grave. L’histoire semblait se répéter, avec une différence de taille : cette fois, l’armée a choisi d’intervenir directement.
« Ce qui nous a poussés à le faire, c’est pour garantir la sécurité au niveau national et également rétablir l’ordre »
Général Denis N’Canha, chef du Haut commandement pour la Restauration de l’ordre
Assis derrière une table, entouré de militaires en armes, le général Denis N’Canha a justifié l’intervention par la découverte présumée d’un plan de déstabilisation impliquant des barons de la drogue. Une explication qui laisse de nombreux observateurs sceptiques, tant elle rappelle les justifications classiques utilisées lors de précédents coups de force dans la région.
Un pays marqué par l’instabilité chronique
Depuis son indépendance en 1974, la Guinée-Bissau a connu quatre coups d’État réussis et une multitude de tentatives avortées. Ce dernier événement s’inscrit donc dans une longue tradition d’interventions militaires dans la vie politique du pays.
Niché entre le Sénégal et la Guinée Conakry, ce petit État de 2,2 millions d’habitants traîne une réputation peu enviable : corruption endémique, pauvreté extrême et rôle de plaque tournante du trafic de cocaïne entre l’Amérique latine et l’Europe. Ces facteurs structurels alimentent depuis des décennies un cercle vicieux d’instabilité.
Déjà fin octobre, l’armée annonçait avoir déjoué une tentative de subversion de l’ordre constitutionnel avec l’arrestation de plusieurs hauts gradés. Un avertissement qui, avec le recul, prenait tout son sens.
Les principales mesures prises par les putschistes
Les militaires n’ont pas fait dans la demi-mesure. Dès mercredi, ils ont annoncé avoir pris le « contrôle total du pays ». Parmi les décisions immédiates :
- Arrestation et détention du président Umaro Sissoco Embalo
- Arrestation de Domingos Simões Pereira, leader historique du PAIGC
- Suspension totale du processus électoral en cours
- Fermeture des frontières terrestres, aériennes et maritimes
- Instauration d’un couvre-feu nocturne
- Création d’un « Haut commandement pour la Restauration de l’ordre »
L’installation officielle d’un responsable de cette nouvelle structure à la tête de la transition était attendue dès jeudi matin, signe que les militaires entendent bien s’installer durablement au pouvoir.
Un opposant historique dans le viseur
Parmi les arrestations les plus symboliques figure celle de Domingos Simões Pereira. Dirigeant du PAIGC, le parti qui a mené le pays à l’indépendance, il avait été écarté de la course présidentielle mais restait une figure incontournable de l’opposition.
Ses proches ont rapidement fait savoir qu’il avait été arrêté et qu’ils craignaient pour sa sécurité. Un signal fort envoyé à l’ensemble de la classe politique : personne n’est à l’abri, quel que soit son poids historique.
La communauté internationale entre condamnation et prudence
Les réactions n’ont pas tardé. L’Union africaine, la CEDEAO et le Forum des sages de l’Afrique de l’Ouest ont exprimé leur « profonde préoccupation » face à cette « tentative flagrante de perturber le processus démocratique ».
Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a déclaré suivre la situation « avec une profonde préoccupation » et a appelé toutes les parties à la retenue et au respect de l’État de droit. Des mots forts, mais qui, dans l’immédiat, n’ont aucun effet concret sur le terrain.
Ce nouveau coup d’État s’inscrit dans une série inquiétante qui touche l’Afrique de l’Ouest depuis 2020 : Mali, Guinée Conakry, Burkina Faso, Niger… La région semble entrer dans un cycle particulièrement dangereux pour la stabilité démocratique.
Quelles perspectives pour la Guinée-Bissau ?
À l’heure où ces lignes sont écrites, l’avenir immédiat du pays reste particulièrement flou. Les militaires affirment vouloir restaurer l’ordre et la sécurité, mais l’histoire récente de la région montre que les transitions dirigées par l’armée durent rarement le temps annoncé.
La population, elle, retient son souffle. Habituée aux soubresauts politiques, elle sait que les lendemains de coup d’État sont souvent synonymes de restrictions supplémentaires, de difficultés économiques accrues et d’incertitude généralisée.
Dans les rues désertes de Bissau ce jeudi matin, une seule certitude semblait faire consensus : la Guinée-Bissau venait d’entrer dans une nouvelle phase critique de son histoire tourmentée. Et comme souvent dans ce petit pays coincé entre océan Atlantique et instabilité chronique, l’issue restait totalement imprévisible.
La suite des événements dépendra désormais de la capacité des putschistes à imposer leur autorité, de la réaction de la communauté internationale, mais surtout de la résilience d’un peuple qui n’a que trop connu les affres de l’instabilité politique.









