Imaginez la scène : il est un peu plus de 7 heures du matin, ce jeudi 27 novembre 2025, quand les surveillants de la maison d’arrêt de Dijon découvrent une cellule vide. Les barreaux de la fenêtre sont proprement sectionnés, une corde de fortune faite de draps noués pend dans le vide. Deux hommes se sont envolés dans la nuit, comme dans un mauvais film des années 70. Sauf que c’est bien réel. Et que, huit jours plus tôt, le ministre de l’Intérieur fanfaronnait sur les réseaux sociaux avec un plan à plusieurs millions pour renforcer la sécurité de six prisons, dont celle de Dijon.
Une évasion à l’ancienne qui ridiculise la modernité
On aurait pu croire ce genre de scénario révolu. Dans l’imaginaire collectif, les grandes évasions se font aujourd’hui avec des drones, des complicités externes ou des failles informatiques. Eh bien non. À Dijon, c’est la méthode la plus rudimentaire qui a fonctionné : une scie (probablement artisanale), de la patience, et le tour était joué.
Les deux hommes, placés en détention provisoire, étaient incarcérés dans une cellule du bâtiment le plus ancien de la maison d’arrêt. Construit au XIXe siècle, cet établissement cumule les problèmes structurels depuis des décennies. Toitures qui fuient, murs lézardés, fenêtres d’origine… et des barreaux que l’on peut apparemment couper avec un outil bricolé en atelier ou introduit clandestinement.
Des millions annoncés… mais pas encore dépensés
Le timing a quelque chose de tragicomique. Le 21 novembre, le ministre de l’Intérieur publiait une photo depuis la prison de la Santé, annonçant fièrement 29 millions d’euros débloqués immédiatement pour six établissements prioritaires, dont Dijon. Objectif affiché : brouilleurs de portables, portiques de détection renforcés, systèmes anti-drones, vidéosurveillance dernier cri.
À Dijon, la part du gâteau ? 6,34 millions d’euros précisément. Sauf que, six jours plus tard, deux détenus prouvent que l’urgence était peut-être ailleurs : dans la solidité élémentaire des barreaux et des fenêtres. Car tous les brouilleurs du monde n’empêchent pas un homme déterminé de scier du métal pendant plusieurs nuits.
« Les travaux de sécurisation doivent commencer rapidement », promettait-on la semaine dernière. Ils commenceront… quand ?
Comment ont-ils pu se procurer une scie ?
C’est la question qui brûle toutes les lèvres. Dans une prison, l’accès aux outils tranchants est théoriquement ultra-contrôlé. Pourtant, les évasions par sciage de barreaux restent étonnamment fréquentes en France. On se souvient de Rédoine Faïd à Réau en 2018, mais aussi de dizaines de « petites » évasions moins médiatisées chaque année.
Plusieurs hypothèses circulent déjà :
- Une lame introduite lors d’un parloir (mal fouillé ou avec complicité)
- Un outil détourné des ateliers de la prison
- Une pièce métallique affûtée patiemment dans la cellule même
- Une corruption locale permettant l’entrée de matériel
Quelle que soit la réponse, elle révélera une faille béante dans le contrôle des objets entrants. Et ce n’est pas la première fois.
La maison d’arrêt de Dijon, un établissement en souffrance depuis longtemps
Construite en 1856, la prison de Dijon est un monument historique… de l’insalubrité et du délabrement. Avec 420 places théoriques pour souvent plus de 600 détenus, elle affiche un taux de surpopulation frôlant les 150 % certains mois. Les rapports de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté sont accablants depuis quinze ans : moisissures, punaises de lit, chauffage défaillant, violences entre détenus en hausse.
Les surveillants, eux, tirent la sonnette d’alarme depuis des années. Manque d’effectifs criant, turn-over important, burn-out… L’évasion de ce matin n’est que la partie visible d’un iceberg de dysfonctionnements quotidiens.
En 2023 déjà, un détenu s’était évadé de la même manière, en sciant ses barreaux. À l’époque, les travaux promis n’ont jamais vraiment abouti. Histoire de boucler la boucle.
Que risque-t-on maintenant ?
Les deux évadés sont activement recherchés. Hélicoptère, maître-chiens, barrage routiers : tout l’arsenal classique est déployé en Côte-d’Or et départements voisins. Mais dans les campagnes bourguignonnes, il est facile de se fondre dans le paysage, surtout quand on a de la famille ou des contacts dans la région.
Pour les autorités pénitentiaires, c’est une humiliation majeure. Une enquête administrative est d’ores et déjà ouverte, et l’on peut s’attendre à des sanctions rapides contre les agents de garde… même si le problème est manifestement structurel et non individuel.
Et les 6,34 millions, ils vont servir à quoi finalement ?
La question est posée avec une certaine amertume par les syndicats pénitentiaires. Car moderniser les systèmes électroniques, c’est bien. Mais quand les murs tombent en ruine et que les barreaux sont ceux d’un musée, on passe à côté de l’essentiel.
Les travaux prévus à Dijon incluaient pourtant le remplacement des menuiseries extérieures et le renforcement des grilles. Ils étaient censés débuter « début 2026 ». On mesure aujourd’hui l’urgence à avancer le calendrier.
Car pendant que l’on parle drones et 5G, des hommes déterminés continuent de s’évader avec les moyens du bord. Une leçon d’humilité pour une administration qui semble parfois vivre dans une réalité parallèle.
Un problème national qui dépasse Dijon
Cette évasion n’est pas un cas isolé. Elle s’inscrit dans une longue série qui révèle l’état catastrophique d’une grande partie du parc carcéral français. 60 % des établissements ont plus de cent ans. Beaucoup datent de Napoléon III. Et malgré les plans successifs (Plan 15 000 places, etc.), la France reste lanterne rouge de l’Europe en matière de conditions de détention.
Chaque évasion spectaculaire remet le sujet sur la table… pendant quelques jours. Puis on passe à autre chose. Jusqu’à la prochaine.
Aujourd’hui, à Dijon, deux hommes ont rappelé à tout un pays que la sécurité pénitentiaire ne se résume pas à des gadgets high-tech. Parfois, il s’agit simplement d’avoir des barreaux que l’on ne peut pas scier en quelques nuits.
Ils sont toujours en fuite à l’heure où nous publions ces lignes.
À lire aussi : La France compte actuellement plus de 76 000 détenus pour 61 000 places opérationnelles. Un record historique qui ne cesse de grimper depuis dix ans.
Combien de temps avant que la prochaine évasion « à l’ancienne » ne vienne nous rappeler que les priorités, peut-être, sont ailleurs ?









