Imaginez un pionnier qui a tout misé sur une idée folle il y a cinq ans : transformer une entreprise de logiciels en coffre-fort géant de bitcoins. Pendant longtemps, ce pari a semblé génial. L’action flambait, les investisseurs affluaient, et Michael Saylor devenait la rockstar du Bitcoin corporate. Et puis, presque du jour au lendemain, les plus grandes banques de Wall Street annoncent qu’elles proposent désormais exactement la même exposition… mais en mieux protégée, plus liquide et surtout sans les risques délirants d’une société endettée à 4 milliards de dollars. Bienvenue dans la nouvelle réalité de MicroStrategy.
Le réveil brutal des banques traditionnelles
Depuis l’approbation des ETF Bitcoin spot en janvier 2024, on savait que le paysage allait changer. Mais personne n’imaginait que la contre-attaque serait aussi rapide et chirurgicale.
JPMorgan Chase et Morgan Stanley viennent de francher le Rubicon : ils proposent désormais des structured notes adossées aux ETF Bitcoin (notamment l’iShares Bitcoin Trust d’BlackRock) avec effet de levier et surtout des coussins de protection en cas de chute. Pour un investisseur institutionnel, c’est le rêve : toute la hausse du Bitcoin, une partie seulement de la baisse, et aucun risque de liquidation forcée.
Comparez cela avec MicroStrategy : une société qui détient plus de 250 000 BTC financés par des montagnes de dette convertible, avec des covenants qui font frémir n’importe quel directeur financier sérieux. Le contraste est violent.
Pourquoi ces produits changent absolument tout
Depuis 2020, MicroStrategy était le proxy Bitcoin parfait pour les fonds qui ne pouvaient pas (ou ne voulaient pas) détenir du BTC directement. Pas besoin de créer une politique d’investissement crypto, pas de problèmes de garde, pas de questions embarrassantes en comité d’investissement. Il suffisait d’acheter l’action MSTR et le tour était joué.
Cette époque est révolue.
Les nouveaux produits des grandes banques offrent :
- Une exposition plus propre (lien direct avec l’ETF, pas avec les résultats d’une entreprise de logiciels en déclin)
- Une protection contre les chutes brutales (buffers de 20 à 40 % selon les produits)
- Une liquidité instantanée (pas de prime/décote aléatoire comme sur MSTR)
- Zéro risque de dilution massive lors des prochaines levées de dette convertible
Pour les gérants de fonds, le choix devient évident. Pourquoi prendre le risque MicroStrategy quand JPMorgan propose la même chose en version « risk-managed » ?
L’action MSTR sous pression depuis octobre
Les marchés ne s’y sont pas trompés. Depuis la mi-octobre 2025, l’action MicroStrategy a perdu plus de 35 % dans un marché Bitcoin pourtant haussier (BTC autour de 91 000 $ au moment où j’écris ces lignes).
Plusieurs éléments se sont combinés :
- Relèvement brutal des exigences de marge sur MSTR par JPMorgan en juillet
- Position short très médiatisée de Jim Chanos (« long Bitcoin, short MicroStrategy »)
- Problèmes de Metaplanet au Japon (le « MicroStrategy asiatique ») qui ont jeté un froid
- Et maintenant l’arrivée massive des banques traditionnelles
Le résultat ? Une action qui enchaîne les lower highs et lower lows, avec un volume de vente soutenu. Même les plus fervents défenseurs de Michael Saylor commencent à douter.
« Si ces produits bancaires se développent, la prime de MicroStrategy pourrait fondre complètement. On pourrait revenir à une valorisation proche de la valeur liquidative de ses bitcoins… voire en dessous si la dette devient un problème. »
Un gérant de hedge fund européen, sous couvert d’anonymat
La fin du « Bitcoin yield » magique ?
Pendant des années, Michael Saylor a vendu un rêve : grâce à des émissions de dette à taux très bas (parfois 0 %), MicroStrategy achetait du Bitcoin qui montait de 100 % par an. Résultat : un rendement apparemment infini.
Mais ce rendement reposait sur trois piliers qui s’effritent tous en même temps :
| Pilier | Situation actuelle | Conséquence |
|---|---|---|
| Coût de la dette très bas | Les nouvelles émissions se font à des taux bien plus élevés | Marge de manœuvre réduite |
| Prime énorme sur la valeur des BTC détenus | La prime se contracte violemment | Moins de capacité à lever pour acheter plus |
| Absence de concurrence directe | Les grandes banques arrivent en force | Perte du monopole de proxy Bitcoin |
Le cercle vertueux se transforme progressivement en cercle vicieux.
Et Michael Saylor dans tout ça ?
Le PDG de MicroStrategy reste fidèle à sa ligne : « Nous allons continuer à acheter du Bitcoin avec tous les moyens possibles. » Lors de la dernière conférence, il a même affirmé que l’entreprise pourrait lever encore plusieurs milliards en dette convertible.
Mais le marché commence à douter de la soutenabilité du modèle. Quand votre action traite à peine 1,8 fois la valeur de vos bitcoins (après avoir atteint 3 fois au plus fort de l’euphorie), la magie opère beaucoup moins bien.
Et surtout : qui va prêter des milliards à 0,75 % à une société dont l’activité historique (le logiciel) perd de l’argent chaque trimestre ?
Vers une normalisation du Bitcoin corporate ?
Ce qui se passe est en réalité profondément sain pour l’écosystème Bitcoin.
Pendant longtemps, MicroStrategy a été une anomalie magnifique : une entreprise qui avait réussi l’impossible pari de transformer une société zombie en machine à accumuler du BTC. Mais cette anomalie créait aussi des distorsions : prime démentielle, effet de levier extrême, risque systémique.
L’arrivée des grandes banques signe la fin de cette période héroïque… et le début de quelque chose de beaucoup plus mature.
On passe d’un monde où une seule entreprise portait presque à elle seule l’adoption corporate du Bitcoin à un monde où des dizaines d’acteurs institutionnels (banques, asset managers, corporates) vont détenir du BTC de manière diversifiée et raisonnée.
Que faire si vous détenez des actions MSTR ?
La question que tout le monde se pose.
Plusieurs écoles s’affrontent :
- Les fidèles de Saylor : « C’est le dip avant le prochain x10 »
- Les pragmatiques : « Je préfère détenir l’ETF directement maintenant »
- Les arbitrageurs : « Short MSTR / Long Bitcoin reste une des meilleures idées du marché »
Ce qui est certain, c’est que la volatilité va rester extrême. Un short squeeze reste toujours possible (l’action reste très shortée). Mais le temps où MicroStrategy montait systématiquement plus que le Bitcoin semble définitivement révolu.
Nous assistons peut-être à la fin d’une ère légendaire du Bitcoin. Celle où un homme et sa vision ont réussi à imposer l’idée folle que des entreprises cotées pouvaient (et devaient) détenir du Bitcoin comme actif de réserve.
Cette idée a gagné. Elle est désormais tellement évidente que même les plus grandes banques de la planète se mettent à la proposer à leurs clients.
Michael Saylor a peut-être perdu son monopole… mais il a gagné son pari historique.
Paradoxal ? C’est toute la beauté du Bitcoin.









