Imaginez un village paisible du Morvan, ces collines verdoyantes où le temps semble s’être arrêté. Et soudain, des cambriolages en série, des voitures volées, un adolescent retrouvé pieds nus au bord d’un lac, affirmant avoir fui une ferme où on le maltraitait. Ce n’est pas le scénario d’un thriller, c’est ce qui se passe depuis plusieurs mois à Cussy-en-Morvan et dans les hameaux voisins.
Quand la « réinsertion au vert » tourne au cauchemar
Une association néerlandaise a eu l’idée, sur le papier séduisante, de sortir des jeunes délinquants de leur milieu urbain difficile en les plaçant dans des familles d’accueil rurales en France. Objectif : leur faire respirer l’air pur, apprendre le travail de la terre, retrouver un cadre structurant. En Bourgogne, plusieurs fermes et gîtes ont ainsi accueilli ces adolescents venus des Pays-Bas.
Mais très vite, les choses ont dérapé. Les habitants ont commencé à signaler des vols dans les résidences secondaires, des dégradations, des comportements inquiétants. Puis est arrivé l’incident le plus grave : en mars dernier, un jeune Néerlandais est retrouvé près du lac des Settons, seul, pieds nus, au volant d’une voiture volée.
Ses explications ont glacé tout le monde.
Un adolescent en fuite : les révélations qui choquent
Le jeune garçon affirme s’être enfui de la ferme où il était placé. Selon ses déclarations, il était forcé de travailler dur sans être correctement nourri. Pire : lorsqu’il n’obéissait pas, il était puni en devant rester des heures dans la voiture avec le chien pendant que ses « logeurs » allaient au restaurant.
« Je n’avais presque rien à manger, je travaillais tout le temps, et quand je refusais, on me laissait dehors ou dans la voiture avec le chien. »
Témoignage du jeune fugueur recueilli par les gendarmes
Son état physique a immédiatement alerté les autorités : maigre, épuisé, pieds abîmés par des kilomètres de marche dans le froid. Le parquet de Nevers a ouvert une enquête pour travail forcé, soumission à des conditions de travail indignes et maltraitance sur mineur.
Des cambriolages à répétition dans les hameaux
Mais ce n’est pas un cas isolé. Dans le hameau de La Chaume, à cheval entre Anost et Cussy-en-Morvan, deux autres jeunes placés dans un gîte en face de la maison des propriétaires ont semé la panique pendant des mois.
Livrés à eux-mêmes la majeure partie du temps, ils ont multiplié les méfaits :
- Vols dans les résidences secondaires (outillage, alcool, matériel électroménager)
- Dégradations de propriétés
- Cambriolages nocturnes
- Utilisation de véhicules sans permis
« Ils étaient un peu livrés à eux-mêmes », reconnaît aujourd’hui le maire de Cussy-en-Morvan, Norbert Estienne Gautier. « Ça a commencé par une série de cambriolages, de petits méfaits dans les résidences secondaires des alentours. »
Les habitants, déjà peu nombreux dans ces villages où beaucoup de maisons sont des résidences secondaires, ont vécu dans l’angoisse pendant des semaines.
Des maires pris au dépourvu
Le plus inquiétant ? Personne n’était vraiment au courant de la présence de ces jeunes.
« Ça nous interpelle, en tant que communes, de savoir qu’il y a de jeunes mineurs étrangers chez des gens qu’on n’a pas du tout identifiés », explique Louis Basdevant, maire d’Anost.
Aucun signalement préalable, aucune coordination avec les services sociaux français, aucune information aux forces de l’ordre. Les élus locaux ont découvert l’existence de ces placements… quand les problèmes ont commencé.
En résumé : Une association néerlandaise place discrètement des mineurs délinquants dans des fermes et gîtes du Morvan sans en informer les autorités françaises. Résultat : délinquance importée, maltraitance, enquêtes judiciaires.
L’association « Force en soi » dans la tourmente
L’association néerlandaise « Force en soi » présentait son programme comme une alternative innovante à l’incarcération des mineurs délinquants. Le principe : les sortir des grandes villes, leur faire découvrir la vie à la campagne, le travail manuel, dans un cadre familial.
Mais le manque de suivi apparaît criant. Les familles d’accueil n’étaient visiblement pas formées, pas contrôlées, et certains jeunes étaient laissés livrés à eux-mêmes des journées entières. Dans d’autres cas, le cadre « éducatif » semble avoir dérivé vers de l’exploitation pure et simple.
Combien de jeunes ont été placés ainsi en France ? Dans quelles autres régions ? Les autorités néerlandaises étaient-elles au courant des conditions réelles d’accueil ? Autant de questions qui restent pour l’instant sans réponse.
Un vide juridique inquiétant
Cette affaire met en lumière un vide juridique majeur. Rien n’empêche aujourd’hui une association étrangère de placer des mineurs délinquants sur le territoire français dans des structures privées, sans aucun contrôle des services de l’Aide sociale à l’enfance ou de la Protection judiciaire de la jeunesse.
Les conventions internationales existent, mais elles sont floues sur ce type de placements « informels ». Résultat : des jeunes sous main de justice néerlandaise se retrouvent en France sans que les autorités françaises n’aient le moindre droit de regard.
Et quand les choses tournent mal, c’est la justice française qui doit gérer les conséquences : enquêtes, plaintes, prise en charge des victimes.
Les habitants entre colère et incompréhension
Dans le Morvan, la stupeur domine. Ce territoire rural, déjà fragilisé par la désertification, se retrouve confronté à une forme de délinquance qu’il ne connaît quasiment pas.
« On accepte d’accueillir des gens, mais pas comme ça, sans rien savoir », confie un habitant d’Anost. « On a l’impression d’être une zone de relégation pour les problèmes des autres. »
Certains parlent même de « délinquance importée », un terme fort qui traduit le sentiment d’abandon des campagnes face à des phénomènes qu’elles n’ont pas générés.
Vers une réaction des autorités françaises ?
L’enquête du parquet de Nevers est en cours. Elle pourrait déboucher sur des mises en examen pour travail forcé et maltraitance sur mineur. Mais au-delà du cas particulier, c’est tout un système qui est remis en question.
Va-t-on enfin encadrer ces placements transfrontaliers de mineurs délinquants ? Les Pays-Bas vont-ils être rappelés à leurs responsabilités ? Et surtout : combien d’autres jeunes vivent encore dans des conditions similaires, en France ou ailleurs en Europe ?
Ce qui est certain, c’est que l’idée généreuse de « mettre au vert » des adolescents en difficulté vient de prendre un sérieux coup dans l’aile. Parfois, la nature et le calme ne suffisent pas. Surtout quand le cadre humain fait défaut.
Dans le Morvan, on espère désormais que la justice fera toute la lumière. Et que plus jamais un adolescent en détresse ne sera retrouvé pieds nus au bord d’un lac, après avoir fui ceux qui étaient censés le sauver.









