Imaginez une foule compacte, déterminée, qui forme un cercle humain autour du Parlement pour empêcher les élus de quitter les lieux. C’est exactement ce qui s’est passé mercredi à Sofia. Des milliers de Bulgares ont exprimé leur colère face au projet de budget 2026, perçu comme une nouvelle preuve de corruption et de mépris pour les citoyens.
Une colère qui monte depuis des mois
Ce n’est pas la première fois que la rue gronde en Bulgarie. Mais cette fois, la manifestation a pris une dimension particulière : elle a littéralement bloqué le cœur du pouvoir législatif. Les slogans « Démission » et « Mafia » ont résonné pendant des heures devant l’Assemblée nationale.
Ce qui met le feu aux poudres ? Un projet de budget qui prévoit à la fois des augmentations de salaires dans le secteur public et des hausses d’impôts et de cotisations sociales. Pour beaucoup, cette équation ne tient pas debout et cache des arrière-pensées électoralistes.
Des augmentations suspectes au ministère de l’Intérieur
Maria Sirakova, 50 ans, résume le sentiment général avec une phrase cinglante : « Je n’ai pas constaté une diminution de la criminalité justifiant des augmentations au ministère de l’Intérieur. À mon avis, ces fonds serviront à acheter des votes. »
« Je n’ai pas constaté une diminution de la criminalité justifiant des augmentations au ministère de l’Intérieur. À mon avis, ces fonds serviront à acheter des votes. »
Maria Sirakova, manifestante
Cette accusation d’achat de voix revient comme un leitmotiv. Beaucoup y voient une stratégie du pouvoir pour sécuriser des soutiens avant les prochaines échéances électorales, dans un pays où la confiance envers les institutions est au plus bas.
Un rassemblement aux couleurs politiques contrastées
Ce qui frappe également, c’est la diversité des soutiens à cette mobilisation. Organisée par l’alliance pro-européenne Continuons le Changement/Bulgarie Démocratique (CC/BD), la manifestation a reçu le renfort de mouvements d’extrême droite et de formations prorusses. Un alliance contre-nature qui montre à quel point le rejet du budget transcende les clivages habituels.
Dans la foule, on trouve donc à la fois des militants farouchement attachés à l’ancrage européen du pays et d’autres qui critiquent ouvertement l’Union européenne. Un seul point commun : la conviction que les institutions actuelles sont gangrénées par la corruption.
Les jeunes aussi dans la rue
Ivana Ivanova, étudiante en droit de 20 ans, incarne cette nouvelle génération qui refuse de baisser les bras. « On a choisi de rester en Bulgarie, mais pas dans une Bulgarie des affaires douteuses », explique-t-elle. Pour elle, le projet de budget « ne fait que restreindre la volonté d’investir du secteur privé ».
Son témoignage est révélateur : même ceux qui ont fait le choix de construire leur avenir dans le pays se sentent trahis par des décisions perçues comme favorisant les intérêts particuliers au détriment du développement économique général.
La Bulgarie, championne de la corruption en Europe
Il faut dire que le contexte n’aide pas. Selon le classement de Transparency International, la Bulgarie reste le pays le plus corrompu de l’Union européenne, juste devant la Hongrie. Une position peu enviable qui alimente le sentiment d’impunité des élites.
Les manifestants pointent du doigt des institutions jugées obsolètes et corrompues dans la gestion des finances publiques. Et ils ne sont pas les seuls à le penser.
Les alertes internationales se multiplient
Déjà en juin, l’OCDE avait appelé la Bulgarie à adopter une politique budgétaire plus prudente et à créer un climat favorable aux investissements privés. L’organisation soulignait qu’une réduction de la corruption perçue attirerait davantage de capitaux nationaux et étrangers.
Plus récemment, la Commission européenne a projeté un déficit budgétaire atteignant 4,3 % du PIB en 2027, notamment sous l’effet des investissements dans la défense. Un chiffre qui fait craindre un dérapage difficile à contenir.
Le paradoxe d’un premier budget en euros
Le timing est particulièrement symbolique. Ce budget 2026 sera le premier entièrement libellé en euros, la Bulgarie devant intégrer la zone euro le 1er janvier prochain. Un passage historique qui devrait marquer l’aboutissement d’un long processus d’intégration européenne.
Mais pour beaucoup de citoyens, cette entrée dans la monnaie unique se fait dans les pires conditions possibles : avec un État perçu comme incapable de gérer correctement ses finances et de lutter efficacement contre la corruption.
Le contraste est brutal entre les discours officiels sur la « durabilité à long terme des finances publiques » et la réalité vécue par une large partie de la population, dans le pays le plus pauvre de l’Union européenne.
Une coalition fragile au pouvoir
Depuis janvier, le pays est dirigé par une coalition improbable entre les conservateurs du GERB, les socialistes et la formation « Il y a un tel peuple ». Un attelage bancal qui peine à dégager une majorité stable et à apaiser les tensions sociales.
Cette configuration politique explique en partie pourquoi le gouvernement tente de faire passer des mesures impopulaires à quelques mois de l’entrée dans la zone euro : il sait que la fenêtre de tir est étroite avant de nouvelles élections probables.
Que va-t-il se passer maintenant ?
Le texte doit être adopté définitivement lors de la première semaine de décembre. Rien ne semble pouvoir arrêter la machine parlementaire, malgré la pression de la rue. Mais le message envoyé est clair : une partie importante de la population refuse de cautionner ce qu’elle considère comme des magouilles politiques.
Pour beaucoup d’observateurs, cette mobilisation pourrait marquer le début d’une nouvelle séquence de contestation sociale, alors que le pays s’apprête à franchir un cap historique avec l’adoption de l’euro.
Entre espoir européen et colère citoyenne, la Bulgarie se trouve à la croisée des chemins. Reste à savoir si les dirigeants sauront entendre la voix de la rue avant qu’elle ne devienne assourdissante.
En résumé : Des milliers de personnes ont bloqué le Parlement pour dénoncer un budget jugé clientéliste et corrompu. À quelques semaines de l’entrée dans la zone euro, la fracture entre le pouvoir et une partie de la population n’a jamais semblé aussi profonde.
La suite des événements risque d’être décisive pour l’avenir politique du pays. Et pour l’image d’une Bulgarie qui rêve d’Europe tout en luttant contre ses vieux démons.









