Imaginez : vous descendez d’avion à Paris, vous pensez rentrer tranquillement chez vous à Dubaï après un séjour en famille… et soudain, des policiers vous interpellent. C’est exactement ce qui est arrivé fin septembre à Halima, la plus jeune fille de l’ancien président tunisien Zine El Abidine Ben Ali. Une interpellation qui ravive, quatorze ans après la révolution, les braises encore chaudes du printemps arabe.
Une audience sous très haute tension à Paris
Mercredi, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris a examé pour la première fois la demande d’extradition formulée par la Tunisie. Rien n’a été tranché. L’avocat général a préféré jouer la prudence : il a requis des compléments d’information auprès des autorités tunisiennes avant toute décision définitive. Prochaine étape cruciale : le 10 décembre.
Ce report n’a rien d’anodin. Il révèle les dilemmes auxquels est confrontée la justice française face à un dossier où se mêlent droit, politique et histoire récente.
Quels crimes sont reprochés à Halima Ben Ali ?
Les autorités tunisiennes accusent la cadette de l’ancien couple présidentiel de délits financiers graves, principalement du blanchiment de capitaux provenant des fonds détournés pendant les vingt-trois années de règne de son père. La peine encourue peut atteindre vingt ans de prison.
Concrètement, il s’agit d’argent issu de l’exercice du pouvoir : acquisitions immobilières douteuses, sociétés-écrans, transferts massifs vers l’étranger. Des pratiques qui, selon Tunis, auraient continué même après la chute du régime en janvier 2011.
« Ce dossier ne fait que commencer »
L’avocat général lors de l’audience
Les questions embarrassantes posées à la Tunisie
Avant d’accepter ou de refuser l’extradition, la justice française veut des garanties solides. Deux points ont été expressément soulevés :
- Les faits reprochés relèvent-ils vraiment du droit commun ou cachent-ils une motivation politique déguisée ?
- Certaines infractions ne sont-elles pas déjà prescrites selon le droit tunisien ?
Ces demandes de complément d’information ne sont pas de pure forme. Elles rappellent que la France refuse d’être complice d’une justice instrumentalisée, surtout quand le nom « Ben Ali » résonne encore comme un symbole de la dictature.
L’argument choc de la défense : « Une condamnation à mort »
Maître Samia Maktouf, avocate d’Halima Ben Ali, n’a pas mâché ses mots devant les magistrats. Pour elle, renvoyer sa cliente en Tunisie équivaudrait à la livrer à une mort certaine, physique ou civile.
« Ma cliente n’a jamais commis de crime ou de délit et a quitté la Tunisie alors qu’elle était encore mineure »
Samia Maktouf, avocate d’Halima Ben Ali
Elle insiste : à l’époque des faits les plus anciens, Halima avait 17 ans. Elle vivait sous le toit familial, sans aucune responsabilité juridique ou gestion directe des affaires de l’État. Selon la défense, on cherche avant tout à atteindre le père à travers la fille.
« On cherche à se venger de l’ancien chef d’État, son père, à travers elle », a martelé l’avocate. Un argument qui trouve un écho particulier dans une Tunisie où la famille Trabelsi-Ben Ali reste l’incarnation du pillage du pays.
14 janvier 2011 : la fuite précipitée vers l’exil
Pour comprendre l’intensité du dossier, il faut remonter à cette nuit fatidique. Après trente-quatre jours de révolte populaire, Zine El Abidine Ben Ali quitte le palais de Carthage en catastrophe. À bord de l’avion présidentiel : sa seconde épouse Leila Trabelsi, leur fille Halima et leur jeune fils Mohamed.
Direction l’Arabie saoudite, qui accepte de les accueillir. Le raïs y mourra huit ans plus tard, en septembre 2019, sans jamais revenir en Tunisie ni répondre devant un tribunal.
Halima, elle, construira sa vie loin des projecteurs : études, mariage, travail à Dubaï. Une existence discrète jusqu’à cette interpellation à l’aéroport du Bourget fin septembre dernier.
Pourquoi maintenant, quatorze ans après ?
La question brûle les lèvres. Pourquoi la Tunisie relance-t-elle la traque des membres de la famille Ben Ali en 2025 ? Plusieurs hypothèses circulent.
- La justice tunisienne, sous pression populaire, veut montrer qu’elle n’a rien oublié des milliards détournés.
- Le président Kaïs Saïed, au pouvoir depuis 2019 et reconduit en 2024 dans des conditions contestées, pourrait chercher à se poser en justicier implacable contre l’ancien régime.
- Des avancées dans les enquêtes financières internationales ont peut-être permis de localiser de nouveaux avoirs liés à Halima.
Aucune de ces pistes n’est officiellement confirmée, mais elles alimentent le débat sur la nature véritable de cette demande d’extradition.
Le précédent des extraditions refusées
La France n’a pas pour habitude de livrer facilement les exilés politiques ou leurs proches. Plusieurs membres du clan Ben Ali-Trabelsi ont déjà vu leur extradition refusée par le passé, notamment Belhassen Trabelsi, beau-frère de l’ex-président, toujours résident en France malgré de multiples demandes.
La Cour européenne des droits de l’homme a d’ailleurs déjà condamné la Tunisie pour des conditions de détention contraires à la Convention européenne. Un argument juridique lourd que la défense d’Halima ne manquera pas d’utiliser.
Que va décider la France le 10 décembre ?
Trois scénarios se dessinent :
- Refus pur et simple si les garanties tunisiennes sont jugées insuffisantes ou si le caractère politique domine.
- Extradition avec conditions strictes (procès équitable, peine plafonnée, détention dans des conditions dignes).
- Nouveau report pour approfondir encore le dossier.
Quelle que soit l’issue, la décision fera jurisprudence et en dira long sur la relation entre la France et la Tunisie quatorze ans après la révolution du jasmin.
Une chose est sûre : le 10 décembre, les regards seront tournés vers la cour d’appel de Paris. Derrière les aspects techniques d’une procédure d’extradition se joue un morceau d’histoire commune entre deux pays liés par la Méditerranée et par les soubresauts d’un printemps qui n’a peut-être pas encore livré tous ses secrets.
À retenir : Halima Ben Ali, 30 ans, risque vingt ans de prison pour blanchiment. La France exige des garanties avant toute extradition. Rendez-vous décisif le 10 décembre. Un dossier où justice, politique et mémoire collective s’entremêlent.
Affaire à suivre, donc. Très étroitement.









