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Nigeria en État d’Urgence Sécuritaire Massif

Plus de 350 personnes enlevées en dix jours seulement : écoles, églises, villages… Le président Tinubu vient de décréter l’état d’urgence sécuritaire national et ordonne un recrutement massif. Mais ces mesures suffiront-elles face à l’explosion des kidnappings ?

Imaginez envoyer votre enfant à l’école un matin ordinaire… et apprendre quelques heures plus tard qu’il fait partie des centaines de personnes enlevées par des hommes armés. Au Nigeria, cette peur est devenue le quotidien de millions de familles.

Mercredi, le président Bola Ahmed Tinubu a franchi un cap historique : il a déclaré l’état d’urgence sécuritaire à l’échelle nationale. Une décision rarissime qui traduit l’ampleur d’une crise qui menace désormais le pays tout entier.

Une vague d’enlèvements qui a tout fait basculer

En à peine dix jours, plus de 350 Nigérians ont été kidnappés. Des attaques coordonnées, parfois simultanées, dans plusieurs États. Des écoles, des églises, des villages entiers pris pour cibles.

À Papiri, dans l’État de Niger, plus de 300 élèves et enseignants d’une école catholique ont été emmenés de force. À Maga, dans l’État de Kebbi, 25 lycéennes musulmanes ont disparu. À Eruku et Ispa, dans l’État de Kwara, 38 fidèles dans une église et dix autres personnes ont été enlevés. Dans l’État de Borno, 13 jeunes filles ont également été capturées.

Si certaines victimes – notamment les 25 lycéennes de Maga, les 38 fidèles d’Eruku et une partie des élèves de Papiri – ont été libérées ou ont réussi à s’échapper, des dizaines manquent toujours à l’appel. Chaque jour sans nouvelles est une torture pour les familles.

Des mesures immédiates et radicales

Face à cette spirale, le président Tinubu n’a pas attendu. Il a ordonné le recrutement immédiat de dizaines de milliers de nouveaux agents.

La police nigériane va intégrer 20 000 recrues supplémentaires, portant l’objectif à 50 000 nouveaux agents en quelques mois – après les 30 000 déjà approuvés quelques jours plus tôt. Un effort colossal pour un corps qui peine déjà à couvrir le territoire.

« La police recrutera 20 000 agents supplémentaires, ce qui portera leur nombre total à 50 000 »

Communiqué officiel de la présidence nigériane

Parallèlement, le Service de renseignement intérieur a reçu l’ordre de déployer sans délai tous les gardes forestiers déjà formés pour traquer les groupes armés qui se cachent dans les immenses forêts du pays. De nouveaux recrutements de rangers sont également lancés.

Réaffectation massive des policiers VIP

Autre décision forte : des milliers de policiers affectés à la protection de personnalités politiques et de leurs familles vont être redéployés sur le terrain. Un sujet sensible.

Selon un rapport récent de l’Agence de l’Union européenne pour l’asile, plus de 100 000 agents – sur environ 371 000 – étaient détachés à la sécurité privée de l’élite. Près d’un policier sur trois protégeait des VIP au lieu de patrouiller dans les quartiers ou les zones rurales.

Ces agents vont désormais suivre une formation intensive avant d’être envoyés dans les régions les plus touchées. Une petite révolution dans un pays où la protection des puissants a longtemps primé sur celle des citoyens ordinaires.

Protéger les lieux de culte : une consigne claire

Le communiqué présidentiel est allé plus loin : mosquées et églises doivent désormais systématiquement demander une protection policière ou militaire lors des rassemblements, surtout dans les zones à risque.

Une mesure qui traduit la gravité de la situation : même les lieux de prière ne sont plus des sanctuaires. Les attaques contre des fidèles, qu’ils soient chrétiens ou musulmans, se multiplient.

Bandits, jihadistes : deux menaces qui se croisent

Le Nigeria est coupé en deux par une fracture ancienne : un nord majoritairement musulman, un sud majoritairement chrétien. Mais les violences ne respectent plus cette ligne.

Dans le nord-est, Boko Haram et sa branche rivale, l’État islamique en Afrique de l’Ouest, continuent leur insurrection depuis 2009. Dans le nord-ouest et le centre, des groupes criminels surnommés bandits règnent en maîtres sur de vastes zones rurales.

Ces bandits, lourdement armés, attaquent villages, routes et écoles pour voler, tuer et surtout kidnapper contre rançon. Les sommes exigées varient de quelques centaines à plusieurs dizaines de milliers d’euros par otage.

Leur modèle économique repose entièrement sur la peur : plus la terreur est grande, plus les familles et les communautés paient vite.

Le traumatisme Chibok, onze ans après

Quand on parle d’enlèvements de masse au Nigeria, impossible de ne pas penser aux 276 lycéennes de Chibok, enlevées par Boko Haram en avril 2014. Un choc mondial.

Onze ans plus tard, près de 90 d’entre elles n’ont toujours pas été retrouvées. Certaines ont été mariées de force, d’autres sont mortes, quelques-unes ont réussi à s’enfuir au fil des années.

Chibok reste la blessure ouverte qui rappelle que derrière chaque statistique, il y a des vies brisées à jamais.

Une crise qui dépasse les frontières

Ces dernières semaines, la situation nigériane a même refait surface aux États-Unis. Donald Trump, récemment réélu, a évoqué une possible intervention militaire pour stopper ce qu’il décrit comme des « meurtres de chrétiens » par des « terroristes islamistes ».

Des organisations chrétiennes et des élus conservateurs américains relaient régulièrement ces accusations de persécutions ciblées. Des allégations que le gouvernement nigérian a toujours fermement rejetées, insistant sur le caractère avant tout criminel et financier de la plupart des attaques.

Quoi qu’il en soit, la pression internationale s’accentue. Le Nigeria, première puissance démographique et économique d’Afrique, ne peut plus être perçu comme un État en voie d’effondrement sécuritaire.

Vers un tournant décisif ?

L’état d’urgence sécuritaire décrété par le président Tinubu est sans doute la réponse la plus ambitieuse depuis des années. Recrutements massifs, redéploiement des forces, traque dans les forêts : tout est mis en œuvre pour reprendre la main.

Mais beaucoup d’observateurs restent prudents. Renforcer les effectifs est une chose. Les former, les équiper, les motiver et surtout briser la corruption endémique qui gangrène les forces de sécurité en est une autre.

Et surtout, derrière les uniformes et les armes, il y a la question de fond : comment redonner confiance à une population qui vit dans la terreur quotidienne ?

Pour des millions de parents nigérians, la seule question qui compte aujourd’hui est simple : demain, pourrai-je envoyer mon enfant à l’école sans trembler ?

La réponse dépendra de la capacité du gouvernement à transformer ces annonces choc en résultats concrets sur le terrain. Le compte à rebours est lancé.

Dans un pays de 230 millions d’habitants, chaque enlèvement n’est pas qu’un fait divers : c’est une fracture de plus dans le contrat social qui lie les citoyens à leur État.

Le Nigeria est à la croisée des chemins. L’état d’urgence sécuritaire peut être le début d’une reconquête… ou le constat d’un basculement irréversible. L’histoire nous le dira. Bientôt.

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