Imaginez rentrer dans votre pays après des mois d’absence, vous présenter spontanément à une convocation policière par respect des institutions, et vous retrouver quelques heures plus tard menotté, accusé d’actes terroristes. C’est exactement ce qui est arrivé mercredi à Abidjan à Soumaïla Bredoumy, député et porte-parole du principal parti d’opposition ivoirien. Un événement qui fait l’effet d’une bombe à moins de deux mois des élections législatives.
Une garde à vue qui soulève une tempête politique
Le déroulé des faits est rapide et brutal. De retour en Côte d’Ivoire lundi après plusieurs mois passés à l’étranger, Soumaïla Bredoumy reçoit une convocation dès le mardi. Accompagné de son avocat, il se rend de lui-même à la préfecture de police d’Abidjan le mercredi matin. Ce qui devait être une simple audition se transforme en placement en garde à vue pour pas moins de onze chefs d’accusation extrêmement lourds.
Parmi ceux-ci figurent des qualifications particulièrement graves : actes terroristes, incitation au meurtre, complot contre l’autorité de l’État, atteinte à la sûreté de l’État ou encore appels à l’insurrection. Des accusations qui, si elles étaient retenues, pourraient valoir des décennies de prison.
Les onze chefs d’accusation en détail
La liste est longue et particulièrement accablante sur le papier. Voici les motifs invoqués par le parquet :
- Actes terroristes
- Incitation au meurtre
- Complot contre l’autorité de l’État
- Atteinte à la sûreté de l’État
- Atteinte à l’ordre public
- Appels à l’insurrection
- Incitation à la haine et à la xénophobie
- Vol et incendie volontaire de biens publics et privés
- Incitation à la révolte populaire
- Inobservation d’une décision de justice
- Dénonciation calomnieuse
Cette accumulation de chefs d’accusation, dont certains relèvent du Code pénal le plus lourd, laisse perplexe quand on sait que Soumaïla Bredoumy bénéficie en théorie d’une immunité parlementaire.
L’immunité parlementaire au cœur de la polémique
La Constitution ivoirienne est pourtant claire. Pendant la durée des sessions parlementaires, aucun député ne peut être poursuivi ou arrêté en matière criminelle ou correctionnelle sans l’autorisation de l’Assemblée nationale, sauf en cas de flagrant délit.
« Il a fait valoir son droit à garder le silence en invoquant son immunité parlementaire »
Me Jean-Chrysostome Blessy, avocat de Soumaïla Bredoumy
Malgré cela, le parquet a décidé de placer le député en garde à vue en invoquant précisément le cas de « flagrant délit ». Une qualification que l’avocat conteste vigoureusement, estimant qu’il n’existe aucun élément permettant de justifier cette exception constitutionnelle.
« C’est une violation grave de l’état de droit et du droit parlementaire », a déclaré Me Blessy dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux, dénonçant une procédure qui contournerait les protections constitutionnelles accordées aux élus de la nation.
Un calendrier politique explosif
Le timing de cette arrestation ne doit rien au hasard. Nous sommes à moins de deux mois des élections législatives prévues fin décembre. Soumaïla Bredoumy n’est pas n’importe quel opposant : il est à la fois député sortant et candidat à sa propre succession sous les couleurs du PDCI.
Deux mois plus tôt, la présidentielle s’était déroulée dans un climat tendu, marquée par le boycott de l’opposition et l’exclusion de plusieurs figures historiques, dont l’ancien président Laurent Gbagbo. Le scrutin avait été remporté haut la main par Alassane Ouattara, mais au prix de onze morts selon les chiffres officiels et d’une vague d’arrestations de responsables politiques.
Aujourd’hui, le PDCI a déjà annoncé qu’il boycotterait les législatives à venir. L’arrestation de son porte-parole apparaît aux yeux de nombreux observateurs comme une nouvelle étape dans la pression exercée sur l’opposition en vue de ces échéances cruciales.
Que se passe-t-il concrètement en garde à vue ?
En droit ivoirien, la garde à vue peut durer 48 heures, prolongeable une fois de 24 heures dans les affaires sensibles. Cela signifie que Soumaïla Bredoumy pourrait rester privé de liberté jusqu’à vendredi soir au maximum.
Pendant cette période, les enquêteurs vont tenter de le faire parler sur les faits qui lui sont reprochés. Mais le député a d’ores et déjà choisi la stratégie du silence total, protégée par son immunité parlementaire qu’il estime toujours en vigueur.
Ses avocats, eux, préparent déjà la bataille juridique. Ils devraient déposer une demande de remise en liberté immédiate et saisir éventuellement les instances constitutionnelles si la garde à vue était prolongée ou transformée en détention provisoire.
Un précédent inquiétant pour la démocratie ivoirienne
Cette affaire n’est malheureusement pas isolée. Depuis plusieurs mois, les arrestations de figures de l’opposition se multiplient en Côte d’Ivoire. Des cadres de différents partis ont été interpellés, parfois pour des motifs similaires : trouble à l’ordre public, incitation à la haine ou atteinte à la sûreté de l’État.
La qualification d’« actes terroristes » pour des faits politiques représente une escalade particulièrement préoccupante. Elle permet au pouvoir d’utiliser l’arsenal juridique antiterroriste, avec ses procédures dérogatoires et ses peines particulièrement lourdes.
Dans ce contexte, l’arrestation de Soumaïla Bredoumy apparaît comme un message clair adressé à l’ensemble de l’opposition : toute voix dissonante peut être réduite au silence par les moyens les plus radicaux.
Les réactions commencent à affluer
Dès l’annonce de la garde à vue, les réactions n’ont pas tardé. Sur les réseaux sociaux, de nombreux militants et sympathisants du PDCI ont exprimé leur indignation. Des hashtags commencent à circuler et des appels à manifester pacifiquement se multiplient.
Du côté des organisations de défense des droits humains, on suit l’affaire avec la plus grande attention. Plusieurs ONG ont déjà annoncé qu’elles allaient se constituer parties civiles ou déposer des plaintes parallèles si les droits du député n’étaient pas respectés.
Même à l’international, des chancelleries suivent le dossier de près. La Côte d’Ivoire, poids lourd économique de l’Afrique de l’Ouest francophone, ne peut se permettre une nouvelle crise politique majeure à quelques mois seulement de la fin d’une année déjà particulièrement tendue.
Et maintenant ?
Les prochaines heures vont être décisives. Soit la garde à vue est levée rapidement avec des excuses du parquet (scénario peu probable), soit elle est prolongée et pourrait déboucher sur une inculpation formelle et une demande de levée d’immunité parlementaire devant l’Assemblée nationale.
Dans ce dernier cas, le bureau de l’Assemblée, largement acquis à la majorité présidentielle, pourrait voter la levée d’immunité à une vitesse record, ouvrant la voie à une détention prolongée du député Bredoumy.
Une chose est sûre : cette affaire va laisser des traces profondes dans le paysage politique ivoirien. Elle risque d’empoisonner durablement le climat déjà délétère des prochaines élections législatives et de renforcer le sentiment dans l’opposition que toutes les voies démocratiques lui sont fermées.
À l’heure où nous publions ces lignes, Soumaïla Bredoumy passe sa première nuit en garde à vue. Son sort, comme celui de toute une partie de l’opposition ivoirienne, se joue en ce moment même dans les bureaux de la préfecture de police d’Abidjan. Une affaire à suivre minute par minute.









