Imaginez : vous prévoyez d’acheter une voiture neuve en 2036 et, soudain, le moteur thermique n’est plus forcément interdit. Ce scénario, qui paraissait impensable il y a encore quelques mois, devient crédible. Mercredi, à Stuttgart, au cœur de l’industrie automobile allemande, le vice-président de la Commission européenne a ouvert une porte que beaucoup croyaient scellée à double tour.
Un revirement possible avant même les annonces officielles
Stéphane Séjourné n’a pas mâché ses mots devant les patrons et les syndicats du secteur. « L’Europe est prête à activer tous les leviers pour faire réussir l’industrie automobile européenne », a-t-il lancé. Traduction : Bruxelles est disposé à revoir sa copie sur l’interdiction pure et simple des ventes de véhicules neufs à moteur thermique à partir de 2035.
Le message est clair : on parle d’« adapter le chemin » et d’« accorder des flexibilités ». Des termes choisis qui laissent entrevoir la possibilité que certaines technologies restent autorisées au-delà de la date fatidique.
« Vu le contexte international, un certain nombre de technologies pourraient être autorisées après 2035 »
Stéphane Séjourné, vice-président de la Commission européenne
Pourquoi ce changement de ton soudain ?
Plusieurs facteurs convergent et créent une tempête parfaite pour l’industrie européenne, allemande en tête.
D’abord, la concurrence chinoise. Les constructeurs du pays ont massivement investi dans l’électrique et inondent désormais le marché avec des modèles performants à prix cassés. Les marques historiques peinent à suivre le rythme.
Ensuite, les coûts de l’énergie restent très élevés depuis le début de la guerre en Ukraine, ce qui plombe la rentabilité des usines européennes.
Enfin, la demande mondiale ralentit et les droits de douane américains de 15 % sur les voitures européennes compliquent encore la situation.
L’Allemagne met la pression maximale
Le chancelier Friedrich Merz était présent à Stuttgart et n’a pas caché son inquiétude. Il a reconnu publiquement que l’Europe avait « sous-estimé ce que l’industrie chinoise a accompli ces dernières années ».
Derrière lui, toute la filière automobile allemande pousse dans le même sens. Plus de 50 000 emplois ont disparu en un an sur un total d’environ 800 000. Les plans sociaux s’enchaînent chez les constructeurs et les équipementiers.
Jeudi, la coalition au pouvoir doit finaliser une position commune. Friedrich Merz enverra ensuite une lettre officielle à la Commission pour défendre un assouplissement clair de la réglementation.
Quelles technologies pourraient être sauvées ?
Les constructeurs plaident depuis des mois pour deux solutions intermédiaires :
- Les véhicules hybrides rechargeables performants
- Les modèles équipés d’un prolongateur d’autonomie (range extender)
Ces technologies permettent de réduire fortement les émissions tout en conservant un moteur thermique d’appoint. Elles offriraient un pont entre l’ancien et le nouveau monde, le temps que l’infrastructure de recharge et les batteries deviennent vraiment compétitives.
Pour les consommateurs, c’est aussi une question de tranquillité d’esprit : pouvoir faire de longs trajets sans stresser sur l’autonomie restante.
Un calendrier sous haute tension
La Commission doit présenter ses mesures de soutien au secteur automobile le 10 décembre prochain. C’est à cette date que l’on saura si les déclarations de Stuttgart se traduisent par des actes concrets.
Jusqu’alors, Bruxelles reste très prudente et refuse de dévoiler ses cartes. Mais le simple fait d’évoquer publiquement des « flexibilités » constitue déjà un signal fort.
Car rappelons-le : la réglementation actuelle, adoptée en 2023, prévoit une réduction de 100 % des émissions de CO2 des voitures neuves à partir de 2035. Autrement dit, plus aucune voiture émettant du CO2 à l’échappement ne pourrait être vendue.
Les consommateurs au cœur du débat
Stéphane Séjourné a insisté sur un point souvent oublié dans les débats techniques : les attentes des acheteurs.
Beaucoup d’automobilistes hésitent encore à passer à l’électrique pur par peur de l’autonomie, du temps de recharge ou du prix. Autoriser certaines technologies thermiques ou hybrides après 2035 donnerait « une perspective claire » à ces clients, selon le vice-président.
En clair, l’Europe ne veut pas imposer une transition qui laisserait une partie de la population sur le bord de la route.
Vers une transition plus pragmatique ?
Ce qui se dessine, c’est un virage vers plus de réalisme. L’objectif climatique reste intact – atteindre la neutralité carbone en 2050 – mais les chemins pour y parvenir pourraient être multiples.
Les carburants de synthèse, l’hydrogène, les hybrides très performants ou les prolongateurs d’autonomie pourraient ainsi cohabiter avec les batteries électriques pures.
Une approche « toutes technologies » qui faisait déjà partie des propositions initiales de certains pays avant d’être écartée au profit du 100 % électrique.
En résumé, les points clés à retenir :
- La Commission envisage des « flexibilités » pour 2035
- L’Allemagne perd des dizaines de milliers d’emplois automobile
- Concurrence chinoise et coûts énergétiques pèsent lourd
- Hybrides et prolongateurs d’autonomie dans le viseur
- Réponse officielle attendue le 10 décembre
Le débat est loin d’être clos. D’un côté, les défenseurs de la ligne dure estiment que tout assouplissement serait un mauvais signal climatique. De l’autre, les réalistes soulignent qu’une transition réussie est une transition acceptée par le plus grand nombre.
Une chose est sûre : dans quinze jours, l’Europe automobile jouera une partie de son avenir. Et le choix qui sera fait aura des répercussions bien au-delà des frontières allemandes.
Restera-t-on sur la trajectoire du 100 % électrique coûte que coûte, ou acceptera-t-on enfin que la route vers la neutralité carbone puisse emprunter plusieurs voies ? La réponse, dans moins de deux semaines.









