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Burkina Faso : Suppltifs Civils Condamnés pour Meurtres

Six supplétifs de l’armée burkinabè viennent d’être condamnés à des peines allant jusqu’à 11 ans de prison pour meurtres et mutilation de cadavres. Le régime envoie-t-il enfin un message clair contre les exactions ? Ce que révèle ce procès exceptionnel…

Imaginez un instant : des hommes recrutés en quelques semaines, armés, envoyés au front contre des jihadistes impitoyables… et qui, un jour, se retrouvent sur le banc des accusés, condamnés pour des actes d’une extrême violence. C’est exactement ce qui vient de se passer au Burkina Faso.

Un procès qui marque un tournant

Du 19 au 21 novembre dernier, le tribunal militaire de Ouagadougou a délocalisé ses audiences à Dédougou, dans le camp Nazi Boni. Objectif affiché : renforcer la discipline au sein des forces armées et surtout parmi les très nombreux supplétifs civils qui combattent aux côtés des soldats.

Sur les douze dossiers jugés, plusieurs concernaient directement des Volontaires pour la défense de la patrie, plus connus sous le sigle VDP. Et les verdicts sont tombés, lourds.

Des peines allant jusqu’à onze ans de prison ferme

Six hommes ont été reconnus coupables. Quatre d’entre eux écopent de deux à trois ans de prison ferme pour avoir mutilé le corps d’une personne présentée comme un terroriste, retrouvé mort dans la localité de Sono. Initialement poursuivis pour meurtre, la qualification a été abandonnée au cours de l’instruction.

Les deux autres ont été beaucoup plus sévèrement sanctionnés : onze ans de prison, dont une partie avec sursis (trois et quatre ans respectivement). Leur crime ? Avoir interpellé trois personnes lors d’un contrôle routier à Tcheriba… dont les corps sans vie ont été découverts le lendemain par la population.

« Ces VDP avaient interpellé trois personnes lors d’un contrôle dans la localité de Tcheriba. Le lendemain, ce sont les corps sans vie de ces personnes qui ont été découverts par les populations »

Source judiciaire anonyme

Les VDP, une force à double tranchant

Depuis le coup d’État de septembre 2022, le régime du capitaine Ibrahim Traoré s’appuie massivement sur ces volontaires. Plus de 100 000 civils ont été recrutés, formés en quelques semaines seulement, puis armés et déployés sur l’ensemble du territoire.

Ils paient un tribut extrêmement lourd face aux groupes jihadistes qui ensanglantent le pays depuis près de dix ans. Mais parallèlement, les accusations d’exactions se multiplient : exécutions sommaires, mutilations, vols, menaces contre les populations civiles.

Jusqu’à présent, les autorités avaient toujours fermement nié ou minimisé ces dérives. Ce procès change la donne.

Un message politique clair

En organisant cette audience foraine très médiatisée dans l’ouest du pays, particulièrement touché par les violences, le pouvoir semble vouloir adresser plusieurs messages simultanés.

  • Aux populations : « Nous entendons vos plaintes, la justice passe aussi pour les VDP »
  • Aux volontaires eux-mêmes : « La lutte contre le terrorisme ne vous donne pas tous les droits »
  • À la communauté internationale qui pointe régulièrement les violations des droits humains : « Regardez, nous agissons »

Le timing n’est d’ailleurs pas anodin. En juillet 2024, des vidéos choquantes montrant des mutilations commises par des individus présentés comme des militaires et des VDP avaient circulé sur les réseaux sociaux. L’état-major avait immédiatement condamné et promis des enquêtes. Quatre mois plus tard, les premières condamnations tombent.

La région de la Boucle du Mouhoun sous tension permanente

Les faits jugés se sont déroulés dans la Boucle du Mouhoun, une zone où les attaques jihadistes sont fréquentes et particulièrement meurtrières. Les VDP y jouent un rôle central dans la protection des villages, mais la cohabitation avec certaines communautés reste explosive.

Les tensions ethniques, souvent instrumentalisées par les groupes armés, compliquent encore la situation. Un simple contrôle d’identité peut dégénérer en drame en quelques heures, comme l’ont montré les affaires de Tcheriba et de Sono.

Vers une professionnalisation des VDP ?

Ce procès soulève une question de fond : peut-on continuer à miser sur une force aussi massive, aussi rapidement formée, sans cadre strict de contrôle et de sanction ?

La formation initiale des volontaires dure à peine quelques semaines. Elle inclut des modules civiques et militaires, mais nombreux sont ceux qui estiment qu’elle reste largement insuffisante face à la complexité du terrain et aux règles élémentaires du droit de la guerre.

Certains observateurs y voient les prémices d’une réforme plus profonde : intégration progressive des meilleurs éléments dans l’armée régulière, dissolution ou encadrement renforcé des unités les plus problématiques.

Une justice militaire sous les projecteurs

En choisissant le format de l’audience foraine, le tribunal militaire sort de Ouagadougou et va au plus près des populations. Une démarche rare qui vise clairement à restaurer la confiance là où elle a été le plus abîmée.

Mais certains défenseurs des droits humains restent prudents. Ils rappellent que les victimes civiles peinent encore à obtenir justice quand les auteurs portent l’uniforme. Ce procès, aussi symbolique soit-il, ne doit pas masquer les centaines d’autres cas qui dorment dans les tiroirs.

Pour l’instant, six hommes paient pour des actes commis dans l’ombre de la guerre. Demain, d’autres dossiers pourraient suivre. Le message est passé : même au cœur du chaos, l’impunité a ses limites.

Le Burkina Faso, engagé dans une lutte sans merci contre le terrorisme, se retrouve face à un défi majeur : gagner la guerre sans perdre son âme. Ces condamnations, aussi sévères soient-elles, constituent peut-être le début d’une réponse.

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