ÉconomieInternational

Liban et Chypre Signent un Accord Maritime Historique

Le Liban vient de signer avec Chypre la démarcation définitive de leur frontière maritime. Un pas décisif pour exploiter le gaz offshore… mais une question brûlante reste en suspens : la frontière nord avec la Syrie sera-t-elle la prochaine ?

Imaginez un pays au bord de l’effondrement économique qui, en une simple signature, ouvre la porte à des milliards de mètres cubes de gaz naturel enfouis sous la mer. C’est exactement ce qui vient de se produire entre le Liban et Chypre.

Mercrerdi, dans une cérémonie officielle, les présidents Joseph Aoun et Nikos Christodoulides ont paraphé l’accord tant attendu de démarcation de leur frontière maritime commune. Un moment symbolique qui dépasse largement les aspects techniques : il s’agit ni plus ni moins d’un nouveau chapitre énergétique pour toute la région.

Un accord longtemps bloqué par le conflit avec Israël

Pour comprendre l’importance de cette signature, il faut remonter près de vingt ans en arrière. En 2007 déjà, le Liban et Chypre avaient conclu un premier accord définissant leurs zones économiques exclusives respectives. Mais ce texte était resté lettre morte.

La raison ? Le Parlement libanais avait refusé de le ratifier tant que le différend maritime avec Israël n’était pas réglé. Beyrouth craignait que toute reconnaissance de la frontière ouest avec Chypre ne vienne affaiblir ses revendications face à son voisin du sud.

Ce n’est qu’en octobre 2022, après des années de négociations sous médiation américaine, que Beyrouth et Tel-Aviv ont enfin signé leur propre accord de démarcation. Ce texte a débloqué l’exploration du champ de Karish pour Israël et du bloc 9 pour le Liban, ouvrant la voie à la ratification de l’accord chypriote.

Que change concrètement cet accord ?

Sur le plan juridique, l’accord fixe définitivement la ligne médiane entre les deux zones économiques exclusives. Il élimine toute ambiguïté sur les blocs d’exploration situés à cheval sur la frontière.

Pour le Liban, cela signifie que plusieurs blocs prometteurs, jusque-là gelés par précaution, deviennent exploitables immédiatement. Les compagnies pétrolières internationales attendaient précisément cette sécurité juridique pour lancer les campagnes sismiques et, à terme, les forages.

« Nous sommes ici pour célébrer la démarcation de la frontière de la zone économique exclusive entre nos pays »

Joseph Aoun, président libanais

Le président libanais n’a pas caché son enthousiasme : cet accord « permettra au Liban et à Chypre de commencer l’exploration de leurs ressources maritimes, et la coopération entre les deux pays dans ce domaine ».

Un message diplomatique fort à la région

Au-delà des aspects techniques, la cérémonie a été l’occasion d’envoyer un signal politique clair. Joseph Aoun a insisté sur le caractère inclusif de cette coopération.

« Notre coopération ne vise personne et n’exclut personne », a-t-il déclaré, avant d’ajouter qu’il souhaitait que cet accord constitue « la première pierre d’un pont de coopération internationale » à travers toute la Méditerranée orientale.

Dans une région marquée par les tensions énergétiques et géopolitiques, ce discours pacifiste et ouvert prend une résonance particulière, surtout quand on sait que la prochaine frontière à négocier sera celle avec la Syrie voisine.

Pourquoi maintenant ? Le poids de la crise économique

Depuis 2019, le Liban traverse l’une des pires crises économiques de son histoire. La livre libanaise a perdu plus de 98 % de sa valeur, l’inflation dépasse les 200 % par an, et plus de 80 % de la population vit sous le seuil de pauvreté.

Dans ce contexte dramatique, les autorités placent énormément d’espoirs dans les ressources gazières offshore. Les estimations les plus optimistes parlent de plusieurs centaines de milliards de mètres cubes de gaz dans les eaux libanaises.

Même si l’exploitation commerciale reste lointaine (cinq à dix ans minimum), la simple perspective de futures rentrées fiscales redonne un peu d’oxygène au gouvernement et aux institutions financières internationales.

Un accord contesté en interne

Tout n’a cependant pas été simple à l’intérieur même du Liban. Le mois dernier, le gouvernement a approuvé le texte malgré l’opposition d’un comité parlementaire.

Certains députés estimaient que le nouveau tracé faisait des concessions territorial善于 par rapport à l’accord de 2007. Ces critiques, bien que minoritaires, montrent à quel point la question des frontières maritimes reste sensible dans l’opinion publique libanaise.

Et maintenant ? Le regard tourné vers la Syrie

Avec ses frontières sud (Israël) et ouest (Chypre) désormais clairement définies, le Liban n’a plus qu’un seul front maritime à sécuriser : celui du nord, avec la Syrie.

La situation y est infiniment plus complexe. Depuis près d’un an, une coalition islamiste dirige le pays, et les relations avec Beyrouth restent tendues. Pourtant, plusieurs blocs gaziers libanais chevauchent potentiellement cette frontière nord.

Sans accord avec Damas (ou avec le nouveau pouvoir syrien), ces blocs resteront inexploitables. La communauté internationale observe donc avec attention si l’exemple chypriote pourra servir de modèle pour débloquer cette dernière pièce du puzzle énergétique libanais.

Une Méditerranée orientale en pleine mutation énergétique

Cet accord s’inscrit dans un mouvement plus large. Ces dernières années, la découverte de gigantesques gisements (Zohr en Égypte, Tamar et Leviathan en Israël, Glaucus à Chypre, etc.) a complètement rebattu les cartes énergétiques de la région.

Le Liban, longtemps à la traîne à cause de ses blocages politiques, tente aujourd’hui de rattraper son retard. La coopération avec Chypre pourrait d’ailleurs déboucher sur des projets communs : interconnexions électriques, exportations vers l’Europe via l’île, ou même un futur gazoduc régional.

Dans un monde où l’Europe cherche désespérément à diversifier ses sources d’approvisionnement après la crise ukrainienne, chaque mètre cube compte. Et la Méditerranée orientale est en train de devenir un acteur qu’on ne peut plus ignorer.

En une signature, le Liban vient donc de franchir une étape décisive. Reste à transformer cet espoir en réalité concrète, dans un pays où les défis ne manquent jamais. Mais pour la première fois depuis longtemps, l’avenir énergétique s’éclaircit un peu à l’horizon.

Passionné et dévoué, j'explore sans cesse les nouvelles frontières de l'information et de la technologie. Pour explorer les options de sponsoring, contactez-nous.