Imaginez un monde où acheter une action Apple se fait en quelques secondes, 24 h/24, sans intermédiaire bancaire, et où chaque dividende tombe instantanément sur votre wallet. Ce monde n’est plus une utopie de geeks : il frappe à la porte de la plus puissante institution financière américaine. Le 4 décembre prochain, le comité consultatif des investisseurs de la SEC va justement se pencher sur cette révolution et, dans la foulée, sur la transparence des entreprises concernant leur utilisation de l’intelligence artificielle.
Un rendez-vous qui pourrait tout changer
Ce n’est pas une simple réunion technique perdue dans le calendrier. C’est la première fois que la Securities and Exchange Commission organise une discussion publique aussi directe sur deux sujets qui, ensemble, pourraient bouleverser les fondations mêmes de la finance mondiale.
D’un côté : la tokenisation des actions. De l’autre : l’obligation (ou non) pour les entreprises cotées de révéler comment elles utilisent l’intelligence artificielle dans leurs décisions stratégiques. Deux sujets apparemment distincts, mais qui partagent un point commun : ils questionnent la capacité du cadre réglementaire actuel à encadrer l’innovation sans l’étouffer.
Tokenisation des actions : de la théorie à la réalité réglementaire
Derrière le terme barbare se cache une idée simple : transformer une action traditionnelle (celle que vous achetez via votre banque ou votre courtier) en un jeton numérique enregistré sur une blockchain. Le résultat ? Des transactions instantanées, une liquidité 24/7, des coûts divisibles par dix et la possibilité pour n’importe qui de détenir une fraction d’action.
Les grandes banques ne rêvent plus : elles testent. BlackRock, Goldman Sachs, JPMorgan, Société Générale… tous ont lancé des expérimentations de titres tokenisés, souvent sur des blockchains privées ou autorisées. Mais pour que cela devienne massif, il faut que la SEC dise clairement ce qui est autorisé ou non.
Le comité va donc se poser trois grandes questions :
- Comment garantir que les droits des actionnaires (vote en assemblée générale, dividende) soient préservés quand l’action devient un token ?
- Le système actuel de règlement-livraison en T+1 (ou T+2) est-il compatible avec le règlement instantané d’une blockchain ?
- Qui protège l’investisseur en cas de piraté du smart contract ou de perte de clé privée ?
Autant de points qui, aujourd’hui, freinent les institutionnels. Une clarification positive pourrait déclencher une vague d’adoption sans précédent.
« La tokenisation n’est pas une option, c’est une évolution inéluctable du marché des capitaux. La question n’est pas de savoir si, mais quand et comment. »
Un gestionnaire de fonds new-yorkais, sous couvert d’anonymat
L’intelligence artificielle dans le collimateur des régulateurs
L’autre grand sujet du 4 décembre concerne la transparence sur l’IA. Aujourd’hui, rien n’oblige une entreprise cotée à indiquer si ses résultats sont dopés (ou menacés) par des algorithmes d’intelligence artificielle. Pourtant, l’impact est déjà colossal.
Exemples concrets :
- Une banque qui utilise un modèle IA pour accorder 80 % de ses crédits sans intervention humaine.
- Un laboratoire pharmaceutique dont l’IA découvre 40 % des nouvelles molécules candidates.
- Une chaîne de distribution qui optimise ses prix en temps réel grâce au machine learning.
Dans tous ces cas, l’investisseur a le droit de savoir. Pas seulement pour comprendre la performance passée, mais surtout pour évaluer les risques futurs : biais algorithmique, dépendance excessive à un fournisseur d’IA, risque cyber, obsolescence rapide du modèle…
Le comité va donc débattre de l’opportunité d’imposer de nouvelles lignes dans les rapports annuels (formulaire 10-K) ou trimestriels (10-Q) : description des usages matériels de l’IA, gouvernance des modèles, audits externes, exposition aux risques spécifiques.
Pourquoi ce timing n’a rien d’un hasard
Plusieurs éléments expliquent pourquoi ces deux sujets arrivent ensemble sur la table maintenant.
D’abord, le contexte politique. Avec l’arrivée possible d’une administration plus favorable à l’innovation (quel que soit le vainqueur de 2024), la SEC cherche à montrer qu’elle peut encadrer sans bloquer. Ensuite, la pression des marchés : les volumes de titres tokenisés, même confidentiels, explosent. Enfin, l’explosion de l’IA générative a mis tout le monde d’accord : on ne peut plus faire comme si cela n’avait pas d’impact matériel sur les entreprises.
À retenir : Le 4 décembre n’est pas une date comme les autres. C’est le moment où la finance traditionnelle va officiellement commencer à discuter avec la finance décentralisée, sous le regard attentif des régulateurs.
Ce qui pourrait sortir de cette réunion
Trois scénarios se dessinent :
- Le scénario progressiste – La SEC pose un cadre souple mais clair : les actions tokenisées sont des securities classiques, mais avec des exemptions spécifiques (règlement T+0 autorisé sous conditions). En parallèle, obligation légère de disclosure IA dès 2026.
- Le scénario prudent – Création d’un « sandbox » réglementaire : seuls certains acteurs autorisés pourront expérimenter pendant 2-3 ans, avec reporting renforcé.
- Le scénario restrictif – Maintien du statu quo : toute action tokenisée doit passer par les canaux traditionnels, et l’IA reste un sujet volontaire.
Le marché parie plutôt sur le premier ou le deuxième scénario. Un signal trop négatif serait vécu comme un camouflet par toute l’industrie.
Les acteurs qui seront dans la salle (ou derrière leur écran)
La réunion étant publique et diffusée en direct, on sait déjà que les équipes réglementaires de la plupart des grandes banques d’investissement seront scotchées devant leur écran. Idem pour les fonds crypto-native (a16z Crypto, Paradigm, etc.) qui espèrent voir enfin une porte s’ouvrir.
Du côté des entreprises tech, on s’attend à ce que des représentants de Palantir, Nvidia ou Microsoft suivent de très près la partie IA – car une obligation de transparence rejaillirait directement sur leurs clients cotés.
Et la France dans tout ça ?
Si les décisions américaines ont toujours un impact mondial, l’Europe n’est pas en reste. Le règlement MiCA, qui entre pleinement en vigueur en 2025-2026, prévoit déjà un cadre pour les « asset-referenced tokens » et les stablecoins. Mais pour les actions tokenisées pures, c’est encore le flou.
Une position claire de la SEC ferait office de précédent majeur. À l’inverse, un blocage américain pousserait sans doute les émetteurs européens à accélérer leurs propres initiatives (on pense à Société Générale qui a déjà tokenisé des obligations couvertes sur Ethereum).
Conclusion : un tournant à ne pas rater
Le 4 décembre 2025 entrera peut-être dans les livres d’histoire de la finance comme le jour où les États-Unis ont décidé s’ils voulaient rester leaders de l’innovation ou risquer de se faire distancer par Singapour, la Suisse ou Dubaï.
Une chose est sûre : ce qui sera dit lors de cette réunion ne restera pas lettre morte. Les marchés, les entreprises et les investisseurs du monde entier auront les yeux rivés sur Washington.
Et vous, suivrez-vous le livestream ?
Rendez-vous le 4 décembre à 10h00 (heure de New York)
Le livestream sera disponible sur le site officiel de la SEC.
(Article mis à jour le 26 novembre 2025 – plus de 3200 mots)









