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Condamné pour un Souvenir Historique : Fatih Altayli en Prison

En évoquant simplement le sort funeste de certains sultans ottomans, Fatih Altayli vient d’être condamné à plus de quatre ans de prison pour « menace » envers Erdogan. Un simple commentaire historique peut-il valoir la prison à vie ? La suite est glaçante…

Imaginez commenter un sondage sur la présidence à vie et vous retrouver, quelques mois plus tard, derrière les barreaux pour plus de quatre ans. C’est exactement ce qui vient d’arriver à l’un des visages les plus connus du journalisme turc.

Quatre ans et deux mois pour un cours d’histoire ottomane

Mercredi, un tribunal turc a prononcé une peine lourde : quatre ans et deux mois de prison à l’encontre de Fatih Altayli, 63 ans, commentateur politique suivi par des millions de personnes. Le motif ? Avoir « menacé » le président Recep Tayyip Erdogan.

Le point de départ : une émission diffusée le 20 juin dernier. En analysant un sondage révélant qu’une large majorité de Turcs refuserait une présidence à vie, le journaliste rappelle un fait historique bien connu : plusieurs sultans ottomans ont été éliminés physiquement lorsqu’ils ne convenaient plus au palais ou à l’élite.

Ses mots exacts ? « Ce pays a déjà étranglé ses sultans par le passé. Quand il ne les appréciait pas, quand il ne les voulait pas… » Rien de plus. Un simple constat historique, prononcé calmement, sans appel à la violence.

De l’histoire à l’accusation de menace

Pour le parquet, ces phrases constituent une menace directe envers le chef de l’État. Quelques jours après l’émission, Fatih Altayli est arrêté à son domicile, placé en détention provisoire, puis transféré à la prison de Silivri, ce lieu tristement célèbre où sont détenus de nombreux opposants et journalistes.

Durant sa garde à vue, il répète qu’il n’a fait que rappeler un contexte historique, sans la moindre intention menaçante. Rien n’y fait. Le juge suit la thèse de l’accusation.

« La lourde peine infligée à Fatih Altayli en raison de propos sortis de leur contexte constitue un message antidémocratique et inacceptable visant à intimider »

Erol Önderoğlu, représentant de Reporters sans frontières en Turquie

Cette réaction illustre le sentiment général dans les milieux de défense des droits humains : on assiste à une criminalisation pure et simple du rappel historique dès lors qu’il peut être interprété, même de très loin, comme une critique du pouvoir actuel.

Un journaliste ultra-populaire réduit au silence

Avant son arrestation, Fatih Altayli animait chaque jour une émission suivie par près de 1,7 million d’abonnés sur YouTube et comptait 2,8 millions de followers sur X. Ses analyses, souvent critiques mais toujours argumentées, en faisaient une voix écoutée, y compris par ceux qui ne partageaient pas ses opinions.

En le mettant hors circuit, le pouvoir prive des millions de Turcs d’une source d’information indépendante. Et le message est clair : même les personnalités médiatiques les plus établies ne sont plus à l’abri.

La Turquie, 159e sur 180 au classement mondial de la liberté de la presse

Le classement annuel de Reporters sans frontières place la Turquie entre le Pakistan et le Venezuela. Un positionnement qui n’étonne plus grand monde.

En 2025, une vingtaine de journalistes ont été incarcérés pour leur travail. Trois d’entre eux sont toujours derrière les barreaux, trois autres assignés à résidence dans l’attente de leur procès.

Les médias indépendants ou proches de l’opposition subissent arrestations, fermetures administratives, amendes colossales. Le paysage médiatique turc ressemble de plus en plus à un champ de ruines.

Silivri, la prison symbole de la répression

Depuis cinq mois, Fatih Altayli partage le quotidien de nombreux confrères à Silivri. Ce complexe pénitentiaire, situé à l’ouest d’Istanbul, est devenu le symbole de la répression contre les voix critiques.

Intellectuels, écrivains, universitaires, élus d’opposition : des milliers y ont séjourné, souvent pendant des années, avant d’être acquittés ou libérés sous contrôle judiciaire. Pour beaucoup, Silivri représente l’antichambre de l’exil ou du silence définitif.

Quand couvrir une manifestation devient un délit

L’affaire Altayli n’est pas isolée. Demain même, quatre journalistes – dont un photographe de presse international – comparaîtront à nouveau à Istanbul. Leur crime ? Avoir couvert une manifestation contre l’arrestation du maire d’opposition de la ville en mars dernier.

Ils avaient été arrêtés en plein exercice de leur métier, incarcérés plusieurs jours, et sont désormais poursuivis pour « participation à une manifestation illégale ». Une accusation qu’ils rejettent catégoriquement.

Le schéma est toujours le même : transformer le simple fait de faire son travail en participation présumée à un acte politique répréhensible.

Un précédent dangereux pour la liberté d’expression

Ce qui frappe dans l’affaire Altayli, c’est la banalité du propos incriminé. Rappeler qu’un sultan a été détrôné ou éliminé n’a jamais valu la prison dans aucun pays démocratique. En Turquie, cela suffit désormais.

Le message envoyé est limpide : toute référence, même historique, peut être interprétée comme une menace dès lors qu’elle met en parallèle le pouvoir actuel avec des régimes du passé ayant mal fini.

Cette jurisprudence ouvre la porte à une censure sans limite. Demain, évoquer la chute de l’Empire romain, la Révolution française ou la fin des dictatures latino-américaines pourrait aussi être considéré comme une « menace ».

Vers une intimidation généralisée

Les organisations de défense des médias parlent d’un « message d’intimidation » adressé à l’ensemble de la profession. En frappant l’un des journalistes les plus populaires, le pouvoir montre qu’il peut atteindre n’importe qui, quel que soit son audience ou son influence.

Beaucoup de commentateurs turcs pratiquent désormais l’autocensure. Certains ont déjà fermé leurs chaînes YouTube ou limité drastiquement leurs sujets politiques.

Le résultat ? Un débat public appauvri, où seules les voix alignées sur le pouvoir osent encore s’exprimer librement.

Que retenir de cette affaire ?

Le cas Fatih Altayli illustre parfaitement le glissement autoritaire que connaît la Turquie depuis plusieurs années. Un commentaire historique anodin devient une menace pénale. Un journaliste respecté se retrouve en prison pour plus de quatre ans. Des millions de citoyens perdent une voix critique.

Derrière les barreaux de Silivri, ce n’est pas seulement un homme qui est enfermé. C’est une partie de la liberté d’expression turque qui vient de prendre quatre ans et deux mois de prison ferme.

Et pendant ce temps, l’histoire continue de s’écrire. Espérons simplement qu’elle ne se répète pas.

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