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Bélugas de Marineland : Euthanasie ou Sanctuaire ?

Trente bélugas tournent en rond dans des bassins vides à Niagara depuis plus d’un an. Le parc menace de les euthanasier si personne ne paie. Le gouvernement refuse leur exportation en Chine. Un sanctuaire est-il encore possible ? Le temps presse…

Ils tournent en rond depuis des mois. Trente silhouettes blanches glissent sans but dans l’eau turquoise devenue terne d’un bassin trop petit, sous un ciel de novembre qui charrie déjà la neige. À Marineland Canada, près des chutes du Niagara, plus aucun enfant ne crie, plus aucune musique ne retentit. Le parc est fermé depuis l’été 2024 et, avec lui, l’avenir de ses derniers pensionnaires semble s’être évaporé.

Un parc mythique à l’agonie

Autrefois, des milliers de familles affluaient chaque été pour voir les orques et les bélugas sauter au commandés par des sifflets. Le jingle publicitaire passait en boucle à la télévision ontarienne. Aujourd’hui, les allées sont balayées par le vent et les montagnes russes rouillent doucement. La direction parle de « graves difficultés financières » sans entrer dans les détails. Une chose est sûre : elle n’a plus les moyens d’entretenir correctement les mammifères marins qui restent.

Les trente bélugas, tous nés en captivité ou capturés il y a plusieurs décennies, n’ont plus aucune stimulation. Pas de spectacle, pas de visiteur, plus assez de soigneurs non plus. Leur quotidien se résume à nager en cercle dans des bassins qui, même à l’époque faste, étaient déjà critiqués pour leur taille insuffisante.

La menace d’euthanasie brandie comme ultimatum

Il y a quelques semaines, la direction a cru trouver la solution : exporter les animaux vers un immense parc aquatique chinois, Chimelong Ocean Kingdom, réputé pour ses installations modernes. Le projet semblait réaliste – la Chine possède déjà des bélugas canadiens acquis avant la nouvelle législation.

Mais Ottawa a dit non. Motif : la loi de 2019 interdit dorénavant la détention de cétacés à des fins de divertissement. Transférer les bélugas dans un autre delphinarium, même luxueux, reviendrait à contourner l’esprit de cette loi.

Furieuse, la direction a alors adressé une lettre au ministère des Pêches et des Océans : sans fonds d’urgence immédiats, elle se verrait contrainte d’euthanasier les animaux, faute de pouvoir leur offrir des « soins adéquats ».

« Nous sommes lourdement endettés et nous manquons cruellement de ressources pour fournir des soins adéquats aux cétacés »

Lettre officielle de Marineland au gouvernement

« C’est du vent », répond Phil Demers

Phil Demers a passé plus de dix ans à dresser les bélugas et les orques de Marineland avant de devenir le plus célèbre lanceur d’alerte du parc. Pour lui, la menace d’euthanasie n’est qu’un moyen de pression.

« C’est illégal et personne n’acceptera jamais de participer à une euthanasie massive de bélugas en bonne santé », assure-t-il. Selon lui, le parc cherche avant tout à obtenir de l’argent public pour combler ses dettes, sans se préoccuper réellement du bien-être animal.

Il rappelle que depuis 2019, une vingtaine de cétacés sont déjà morts à Marineland – dont dix-neuf bélugas. Le parc parle de « morts naturelles », mais les autorités de protection animale de l’Ontario enquêtent toujours sur de possibles négligences.

Une loi historique qui coince tout le monde

En 2019, le Canada a adopté la loi S-203, surnommée « Free Willy Bill », qui interdit la captivité, reproduction et commerce de cétacés à des fins de divertissement. À l’époque, le texte a été salué dans le monde entier.

Mais personne n’avait vraiment anticipé le cas des animaux déjà présents dans les parcs. Marineland s’est retrouvé avec une trentaine de bélugas « grand-père » (exemptés de la loi) mais impossibles à déplacer vers un autre delphinarium sans violer l’esprit du texte.

Aujourd’hui, même Phil Demers, pourtant farouchement anti-captivité, se demande si le gouvernement n’a pas commis une erreur en refusant catégoriquement le transfert vers la Chine. « Peu d’endroits au monde peuvent accueillir autant de bélugas d’un coup », explique-t-il.

Le rêve brisé des anciens soigneurs

Kristy Burgess a commencé comme serveuse à Marineland. Un jour, elle a assisté à la naissance d’un bébé béluga et a décidé de changer de vie pour devenir soigneuse. Travailler auprès de ces animaux était son rêve.

Aujourd’hui, elle ne dort plus. « Il y a trois bélugas en particulier auxquels je pense tout le temps », confie-t-elle la voix tremblante. « Elles étaient têtues, parfois capricieuses, mais elles me reconnaissaient et venaient me voir. Elles me manquent terriblement ».

Comme elle, plusieurs anciens employés suivent l’affaire de loin, déchirés entre l’amour qu’ils portent aux animaux et la colère contre une direction qu’ils accusent d’avoir laissé pourrir la situation pendant des années.

Un sanctuaire marin en Nouvelle-Écosse : l’espoir fragile

Une lueur persiste : le Whale Sanctuary Project travaille depuis plusieurs années à la création du premier sanctuaire marin pour cétacés en Amérique du Nord, dans une baie de Nouvelle-Écosse.

Charles Vinick, directeur de l’organisation, veut offrir à ces bélugas une retraite digne : un vaste enclos naturel dans l’océan Atlantique, avec courants, poissons vivants et possibilité de retrouver certains comportements sauvages.

« Nous devons collaborer pour leur offrir un environnement enrichissant et leur permettre de finir leur vie avec dignité »

Charles Vinick, Whale Sanctuary Project

Mais le projet traîne. Les travaux n’ont toujours pas commencé, les financements peinent à suivre et les autorisations tardent. Beaucoup d’observateurs jugent la solution irréaliste à court terme.

Le temps presse vraiment

Les bélugas captifs depuis leur naissance ou leur plus jeune âge n’ont jamais connu l’océan ouvert. Leur système immunitaire est fragile les rend vulnérables au stress et aux maladies. Chaque mois qui passe dans ces bassins vides augmente le risque de dépression, d’infections ou de comportements stéréotypés irréversibles.

Le gouvernement canadien a assuré mardi être prêt à examiner « rapidement » toute nouvelle proposition de transfert ou d’exportation. Mais pour l’instant, aucune solution concrète n’est sur la table.

Les associations de protection animale appellent Ottawa à agir avant qu’un nouveau décès ne vienne alourdir le bilan déjà tragique de Marineland. Car si l’histoire nous a appris une chose, c’est que, dans ce genre de bras de fer, ce sont toujours les animaux qui trinquent en premier.

Trente vies blanches tournent encore dans l’eau froide. Pour combien de temps ?

Un parc fermé, des bassins vides, des animaux oubliés.
Le Canada doit-il payer pour réparer des années d’exploitation ou laisser mourir ceux qu’il a juré de protéger ?

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