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Soudan : Médecins Déplacés Sauvent des Vies dans l’Exode

Dans un camp du nord du Soudan, des médecins qui ont tout perdu soignent encore, sous des tentes bleues, ceux qui fuient la même guerre qu’eux. Ils risquent leur vie pour sauver les autres… mais jusqu’à quand pourront-ils tenir ?

Ils ont marché des jours entiers sous un soleil écrasant, parfois en accouchant sur le bord de la route. Ils ont laissé derrière eux leurs maisons, leurs hôpitaux bombardés, parfois même des collègues tués sous leurs yeux. Pourtant, à peine arrivés dans le camp d’Al-Dabbah, au nord du Soudan, ces médecins, pharmaciens et infirmiers ont repris le travail. Sous des tentes bleues devenues cliniques de fortune, ils soignent ceux qui, comme eux, ont fui l’enfer du Darfour.

Quand les sauveteurs deviennent eux-mêmes des déplacés

Le camp s’étend sur quatorze hectares le long du Nil, dans une zone encore tenue par l’armée. Un riche homme d’affaires soudanais a financé l’essentiel des installations. Des centaines de familles dorment dans des tentes équipées de lits ou directement sur des nattes en plastique. Des cuisines collectives tournent sans relâche : les femmes préparent d’immenses marmites d’assida, cette bouillie traditionnelle qui remplit les ventres affamés, pendant que les hommes vont chercher l’eau.

Mais ce qui frappe le plus, ce sont les cinq tentes médicales. Rien ne les distingue des abris voisins, sinon les files de patients qui s’allongent devant. À l’intérieur : des chaises en plastique, quelques boîtes de médicaments, un laboratoire de fortune. Des ambulances venues de la ville voisine servent parfois de salle de consultation mobile.

« Nous venons tous du même endroit »

Ilham Mohamed est pharmacienne. Elle vient d’El-Facher, la grande ville du Darfour-Nord tombée fin octobre aux mains des Forces de soutien rapide (FSR). Elle répète souvent cette phrase toute simple : « Nous venons tous du même endroit. »

Nous les comprenons et ils nous comprennent.

Ce lien invisible change tout. Les patients n’ont pas besoin d’expliquer la peur qui leur serre encore la gorge. Les soignants savent déjà ce que signifie fuir sous les drones et les tirs. Cette compréhension mutuelle transforme chaque consultation en un moment d’humanité retrouvée au milieu du chaos.

Des pathologies liées à l’exode et à la précarité

Ahmed Al-Tijani, volontaire pour l’Organisation internationale pour les migrations, dresse la liste des maux les plus fréquents :

  • Infections pulmonaires à cause de la poussière et du froid nocturne
  • Diarrhées et infections intestinales liées à l’eau parfois douteuse
  • Maladies de peau dues à l’absence d’hygiène
  • Conjonctivites et infections oculaires
  • Troubles liés à la malnutrition naissante

Plus de cent cinquante femmes enceintes ou allaitantes ont déjà été prises en charge. Certaines ont accouché en chemin, après des jours de marche, sans aucune assistance. Fatima Abdelrahman, responsable de la santé reproductive sur place, raconte ces naissances improvisées au bord des pistes, parfois à la lueur d’une lampe de téléphone.

Soigner sous la menace permanente

La docteure Ikhlass Abdallah a tenu jusqu’au dernier jour à la maternité de l’hôpital saoudien d’El-Facher, le seul encore debout après dix-huit mois de siège. Elle parle d’une voix calme, presque détachée, comme pour tenir l’horreur à distance.

Nous n’étions pas en bon état, mais nous étions obligés de l’être si nous voulions continuer à soigner.

Pendant la fuite, il fallait cacher les blessés. Un bandage visible pouvait valoir une nouvelle raclée, voire pire. Être identifié comme médecin signifiait devenir une cible privilégiée : mort immédiate, enlèvement ou rançon exorbitante. Beaucoup de ses collègues n’ont pas eu sa chance.

L’Organisation mondiale de la santé recensait, fin octobre, plus de 1 200 soignants tués et 285 attaques contre des structures médicales depuis le début du conflit en avril 2023. Des chiffres qui donnent le vertige.

La nuit où l’hôpital saoudien a été pulvérisé

Ikhlass Abdallah se souvient précisément de cette nuit-là. Un bourdonnement dans le ciel, puis l’explosion. Le drone a frappé de plein fouet la maternité.

Nous avons couru… mais il n’y avait plus personne à secourir. Les corps étaient méconnaissables, déchiquetés. C’était comme un cauchemar de film d’horreur.

L’établissement avait déjà subi quatre attaques en un mois. Plus de 460 patients et soignants y auraient été tués selon les estimations. Après cela, plus rien n’était possible. Il a fallu partir.

Un système de santé à genoux

La guerre au Soudan a déjà fait des dizaines de milliers de morts et déplacé des millions de personnes. Mais elle a aussi purement et simplement rayé de la carte le système de santé. La plupart des hôpitaux sont détruits, pillés ou inaccessibles. Les médicaments manquent cruellement. Les blocs opératoires encore debout fonctionnent souvent à la lumière des téléphones.

Tom Fletcher, responsable des affaires humanitaires à l’ONU, s’est rendu sur place récemment. Son constat est sans appel : « L’ampleur des besoins est énorme. » Il appelle à reconstruire un système de santé digne de ce nom, tout en répondant aux besoins immédiats en nourriture, eau potable, assainissement et éducation.

Et demain ?

Dans le camp d’Al-Dabbah, les soignants déplacés continuent leur travail avec une énergie qui force l’admiration. Ils savent que chaque vie sauvée est une petite victoire contre l’absurdité de cette guerre. Mais ils savent aussi que leurs réserves s’épuisent. Les dons de médicaments diminuent. Les cas graves s’accumulent. Et la saison des pluies approche, avec son lot de maladies supplémentaires.

Ils ne demandent pas grand-chose : juste de pouvoir continuer à exercer leur métier. Protéger les hôpitaux et les cliniques. Garantir un couloir humanitaire sûr. Permettre l’acheminement de matériel médical sans entraves.

Parce que tant qu’il y aura des médecins prêts à risquer leur vie pour soigner sous une tente bleue, il restera une lueur d’espoir au milieu de l’une des pires crises humanitaires du moment.

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