« Pourquoi m’ont-ils oubliée ? »
Cette question, Anabel Cano, 52 ans, se la pose tous les jours depuis qu’on lui a retiré un sein. Comme elle, des milliers de femmes en Andalousie pensaient être tranquilles après leur mammographie de dépistage. On leur avait promis : pas de nouvelles, bonnes nouvelles. Mais le silence qui a suivi n’était pas rassurant. Il était mortel.
Un scandale qui a éclaté au grand jour
En septembre dernier, l’association Amama Andalucía a tiré la sonnette d’alarme. Des adhérentes signalaient depuis des mois ne jamais avoir été recontactées après des examens pourtant anormaux. Ce qui n’était au départ qu’une poignée de témoignages est devenu une vague : près de 4 000 femmes inquiètes, dont au moins 230 ont développé un cancer du sein et trois en sont mortes.
Le gouvernement régional, d’abord surpris par l’ampleur du problème, a fini par reconnaître que 2 317 femmes n’avaient pas bénéficié du suivi nécessaire. Des anomalies détectées… et oubliées dans les méandres administratifs.
L’histoire d’Anabel : un an d’attente pour un diagnostic tardif
Novembre 2023. Anabel passe sa mammographie de routine. L’infirmière lui glisse la phrase rituelle : « Si on ne vous appelle pas dans quinze jours, c’est que tout va bien. » Les semaines deviennent des mois. Aucun coup de fil. Anabel reprend sa vie, sereine.
Un an plus tard, on la convoque enfin pour un contrôle. Le verdict tombe comme une masse : cancer du sein déjà avancé. Opération, mastectomie. « On m’a opérée presque un an après le dépistage initial. Et si on l’avait fait plus tôt ? » soupire-t-elle aujourd’hui.
« Bon sang, on m’a opérée presque un an après ma mammographie ! Et si on l’avait fait plus tôt ? »
Anabel Cano, 52 ans, ancienne femme de ménage
Amparo, Rosario, et tant d’autres : des destins brisés
Amparo Pérez, 56 ans, ancienne coiffeuse, a vécu le même cauchemar. Dépistage en juin 2023, silence radio, puis découverte d’un cancer nécessitant une double mastectomie en février 2024. « Avec cette maladie, le temps compte. Et pas qu’un peu », confie-t-elle, la voix tremblante.
Rosario Castro, membre active d’Amama, fait partie des victimes. Elle pointe surtout du doigt l’inaction des autorités : « Nous, on arrive à prendre des appels bénévolement pour rassurer les femmes. Eux n’ont même pas mis un numéro vert à disposition. »
Des chiffres qui donnent le vertige
Derrière chaque histoire, il y a des statistiques glaçantes :
- Environ 4 000 signalements reçus par Amama Andalucía
- 2 317 femmes officiellement reconnues sans suivi par le gouvernement régional
- Au moins 230 cancers diagnostiqués trop tard
- 3 décès déjà recensés (chiffre provisoire)
Et ces chiffres ne cessent d’évoluer. Chaque semaine apporte son lot de nouveaux témoignages.
Une colère légitime face au silence des autorités
Au début, la réponse officielle minimisait : « trois ou quatre cas isolés ». Puis les manifestations ont éclaté devant le Parlement andalou et les hôpitaux. Sous la pression, le discours a changé. Mais pour beaucoup de femmes, il est trop tard.
Le gouvernement régional assure qu’aucun décès lié à ces défaillances ne lui a été signalé. Une affirmation qui contraste violemment avec les témoignages recueillis par les associations et les avocats.
Un système à bout de souffle ?
Comment un tel dysfonctionnement a-t-il pu se produire ? Les hypothèses fusent.
Pour Angela Claverol, présidente d’Amama Andalucía, la cause est claire : coupes budgétaires, mauvaise gestion, sous-effectif chronique. « Omission, négligence ou incompétence, le résultat est le même », déplore-t-elle dans les locaux de l’association à Séville, entre affiches « Haut les seins » et cours de flamenco thérapeutique.
D’autres, comme le syndicat médical SMA, évoquent un système « ultra-bureaucratisé » où tout repose sur des bases de données mal synchronisées. Un simple appel aurait suffi. Il n’est jamais venu.
Le débat politique qui s’enflamme
À Madrid, le président du gouvernement Pedro Sánchez n’a pas hésité à pointer du doigt la gestion régionale de droite, accusant un « processus de privatisation » qui aurait dégradé la qualité du service public.
En Andalousie, on promet 12 millions d’euros en urgence, des embauches, des démissions de responsables. Des mesurettes pour beaucoup, alors que plane l’ombre d’élections régionales très incertaines.
Une enquête judiciaire en cours
Le parquet andalou a ouvert une procédure pour « défauts dans la prestation des services de santé ». Plusieurs plaintes, dont celle d’Anabel Cano – la première – et celle de l’association Défenseur du patient, sont entre les mains de la justice.
Les femmes, elles, continuent de se battre. Pas seulement pour elles-mêmes, mais pour que plus jamais une mammographie anormale ne tombe dans l’oubli.
Car derrière les chiffres et les polémiques, il y a des vies. Des femmes qui ont cru le système quand on leur disait « pas de nouvelles, bonnes nouvelles ». Des femmes qui, aujourd’hui, n’ont plus qu’un sein, ou parfois plus du tout la possibilité de raconter leur histoire.
En Andalousie, le scandale des mammographies oubliées n’est pas qu’une affaire sanitaire. C’est un miroir tendu à toute une société sur ce qu’elle est prête à accepter lorsqu’il s’agit de la santé de ses citoyennes.
Un simple appel aurait pu tout changer.
Aujourd’hui, des milliers de femmes demandent des comptes.
Et elles ont raison.
Le combat ne fait que commencer.









