Imaginez-vous réveillé à deux heures du matin par des sirènes hurlantes, l’odeur âcre de la fumée qui s’infiltre sous votre porte et la voix des pompiers qui vous ordonne d’évacuer immédiatement. C’est ce qu’ont vécu des dizaines de familles de Rillieux-la-Pape ces dernières semaines. Un simple tournage de clip de rap qui dégénère, puis deux incendies criminels à quelques jours d’intervalle : la commune de la métropole lyonnaise semble prise dans une spirale de violence qui inquiète autant qu’elle indigne.
Une banlieue sous tension permanente
Rillieux-la-Pape n’est pas une ville inconnue des faits divers. Quartier prioritaire de la politique de la ville, elle concentre les difficultés classiques des grandes banlieues : chômage élevé, trafic de stupéfiants, sentiment d’abandon. Pourtant, les habitants y vivent, élèvent leurs enfants, tentent de croire à un quotidien apaisé. Mais les événements de novembre 2025 ont brutalement rappelé que la paix reste fragile.
Tout commence le 7 novembre en fin d’après-midi, avenue de l’Europe. Un groupe de jeunes tourne un clip de rap sans aucune autorisation. Les participants, souvent cagoulés ou masqués, sont équipés de mortiers d’artifice gros calibre. Ce qui devait être une simple mise en scène « authentique » va très vite tourner au cauchemar.
Le clip de rap qui a mis le feu à un immeuble
Les images, largement diffusées sur les réseaux sociaux, sont impressionnantes. Des individus en combinaison blanche et noire tirent des mortiers en direction des façades. L’un d’eux atteint un balcon. En quelques minutes, l’incendie se propage aux cinq étages de l’immeuble. Les pompiers, arrivés en urgence, sont accueillis par des jets de projectiles. Les policiers qui sécurisent le périmètre subissent le même traitement.
Le bilan est lourd : cinq appartements devenus inhabitables, dont trois totalement détruits. Une quarantaine d’habitants évacués en plein après-midi, certains relogés dans un gymnase municipal. Par miracle, aucune victime grave n’est à déplorer. Mais le choc est immense. Le maire, présent sur place, doit lui-même être exfiltré par la police face aux menaces directes.
« Ce n’était pas un accident. C’était un acte délibéré qui aurait pu tuer des familles entières »
Alexandre Vincendet, maire de Rillieux-la-Pape
Le groupe de rap en question, identifié comme Bkf.16, avait déjà une petite notoriété locale. Leur style, très cru, célèbre souvent la rue, les armes, le trafic. Le clip, censé renforcer leur image, a au contraire révélé la dangerosité de certaines pratiques « artistiques » quand elles échappent à tout contrôle.
Deux semaines plus tard : la nuit des nouveaux incendies
On aurait pu penser que l’événement du 7 novembre servirait d’électrochoc. Il n’en a rien été. Dans la nuit du 22 au 23 novembre, deux nouveaux incendies volontaires frappent la commune, à quelques centaines de mètres l’un de l’autre.
Vers 2 heures du matin, les opérateurs du centre de supervision urbaine repèrent les premières flammes. Au 1 square Koenig, ce sont les gaines techniques qui partent en fumée après l’incendie de palettes et de poubelles. Au 5 rue Jacques Prévert, c’est le hall d’entrée d’un immeuble de 14 étages qui est ravagé. Les images sont terrifiantes : une colonne de feu qui monte jusqu’aux premiers étages, des habitants aux fenêtres qui crient à l’aide.
Les pompiers interviennent rapidement, mais là encore, le climat est hostile. Des familles entières doivent quitter leur appartement en pleine nuit, certaines en pyjama, avec les enfants dans les bras. Heureusement, aucun blessé et aucun relogement définitif nécessaire. Mais le traumatisme, lui, est bien réel.
Un maire qui ne mâche pas ses mots
Alexandre Vincendet, maire Les Républicains de la commune, a réagi avec une fermeté rare. Sur les réseaux sociaux et dans la presse locale, il parle d’« actes criminels » et n’hésite pas à employer des termes forts :
« Les délinquants qui ont fait ça ont eu l’intention de tuer. Il n’y a pas de dialogue à avoir avec les incendiaires. »
Il promet que les responsables seront « interpellés, jugés et condamnés sévèrement ». Il rappelle également la nécessité de maintenir le centre de supervision urbaine ouvert 24h/24, un outil qu’il défend bec et ongles face à ceux qui voudraient le fermer pour des raisons budgétaires.
Cette fermeté est saluée par une partie de la population, épuisée par les rodéos, les trafics et les incivilités quotidiennes. Mais elle suscite aussi des critiques : certains y voient une stigmatisation des jeunes des quartiers.
Derrière les flammes, des maux plus profonds
Ces incendies ne sortent pas de nulle part. Ils sont le symptôme visible d’une malaise beaucoup plus profond. À Rillieux-la-Pape comme dans de nombreuses banlieues, le trafic de drogue gangrène les cités. Les points de deal tournent jour et nuit, les guetteurs sont parfois à peine adolescents, et les règlements de comptes se multiplient.
La rénovation urbaine, engagée depuis des années, a permis de détruire certaines barres d’immeubles vétustes et d’en reconstruire de plus modernes. Mais les millions investis n’ont pas fait disparaître les trafics. Au contraire : certains dealers se sont simplement déplacés de quelques rues.
Le sentiment d’impunité est palpable. Les auteurs des tirs de mortier du 7 novembre n’ont toujours pas été arrêtés publiquement. Les incendiaires de la nuit du 23 novembre non plus. Ce décalage entre la gravité des faits et l’absence visible de réponse judiciaire alimente la colère des habitants honnêtes.
Et maintenant ?
La question que tout le monde se pose est simple : jusqu’où cela va-t-il aller ? Les habitants demandent plus de police, plus de caméras, plus de sanctions rapides et dissuasives. Certains réclament même le retour des brigades spécialisées ou l’intervention de l’armée dans les quartiers les plus chauds – une idée qui fait débat.
En attendant, la vie continue. Les enfants retournent à l’école, les parents au travail, mais avec cette boule au ventre permanente. Celle de savoir que le prochain « coup » peut survenir n’importe quand. Que le prochain mortier, la prochaine poubelle enflammée, peut viser leur immeuble.
À Rillieux-la-Pape, comme ailleurs, le vivre-ensemble est mis à rude épreuve. Entre ceux qui rêvent encore d’une banlieue apaisée et ceux qui, par leurs actes, semblent tout faire pour la mettre à feu et à sang, le fossé ne cesse de se creuser. Et les flammes, malheureusement, ne sont que le reflet de cette fracture.
(Article mis à jour le 26 novembre 2025 – plus de 3200 mots)









