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La Démission Forcée du Président Millerand en 1924

En juin 1924, un bras de fer sans précédent oppose le président Millerand à la nouvelle majorité de gauche. Désavoué dans les urnes, le chef de l'État est contraint à la démission. Une première sous la IIIe République qui témoigne de la prééminence du Parlement. Retour sur cet épisode méconnu qui a façonné les rapports entre exécutif et législatif.

Il y a tout juste un siècle, en juin 1924, la France vivait une crise politique sans précédent sous la IIIe République. Pour la première fois, les députés contraignaient un président de la République, en l’occurrence Alexandre Millerand, à démissionner suite à sa défaite aux élections législatives. Retour sur cet épisode méconnu qui a façonné durablement les rapports entre pouvoir exécutif et pouvoir législatif.

Une campagne électorale sous haute tension

Les élections législatives de mai 1924 se déroulent dans un contexte particulièrement tendu. Le président Millerand, élu en 1920, s’engage fortement dans la campagne pour soutenir la majorité de centre-droit sortante, le Bloc national. Face à lui, la gauche se rassemble au sein du Cartel des gauches, dénonçant l’ingérence présidentielle dans le scrutin.

Le 11 mai, le verdict des urnes est sans appel : le Cartel l’emporte largement, obtenant 343 sièges sur 612. C’est un véritable désaveu pour Millerand, dont les amis politiques sont balayés. La nouvelle majorité en déduit que le président doit quitter ses fonctions, ayant perdu toute légitimité.

Un bras de fer institutionnel

S’engage alors un bras de fer entre l’Élysée et le Palais Bourbon. Millerand refuse de démissionner, arguant que son mandat court jusqu’en 1927. Il tente de nommer un gouvernement de centre-droit, mais celui-ci est immédiatement renversé par la Chambre. Les députés votent une motion proclamant :

La Chambre, résolue à ne pas entrer en relation avec un ministère qui, par sa composition, est la négation des droits du Parlement, refuse le débat constitutionnel auquel elle est conviée et décide d’ajourner toute discussion jusqu’au jour où se présentera devant elle un gouvernement constitué conformément à la volonté souveraine du pays.

En clair, les députés refusent de collaborer avec l’exécutif tant que Millerand reste en poste. Le président tente de riposter en adressant un message à la Chambre, lu par un de ses ministres :

En disposant que le président de la République communique avec les Chambres par des messages, la Constitution a voulu interdire au Parlement d’exercer sur lui, pour quelque cause et sous quelque forme que ce soit, ce droit de révocation que vous prétendez vous arroger aujourd’hui.

– Alexandre Millerand

Mais rien n’y fait. La crise dure plusieurs jours, bloquant les institutions. Isolé, lâché par ses soutiens, Millerand finit par jeter l’éponge le 10 juin et annonce sa démission.

Séparation des pouvoirs ou régime d’assemblée ?

Cette crise inédite révèle les ambiguïtés de la Constitution de 1875. Si celle-ci instaure un régime parlementaire, avec un président “au-dessus des partis”, elle reste floue sur la responsabilité politique de ce dernier et ses rapports avec le Parlement. La séparation des pouvoirs demeure imprécise.

En forçant Millerand à la démission, les députés affirment la prééminence de l’Assemblée sur l’exécutif, dans une logique de régime d’assemblée. Un précédent est créé : en cas de désaccord majeur, c’est le président qui doit s’effacer. Une interprétation qui perdurera jusqu’en 1958 et l’avènement de la Ve République.

Cet épisode pose aussi la question du rôle du président. Doit-il rester neutre ou peut-il s’engager politiquement ? En sanctionnant Millerand, la Chambre condamne toute dérive vers un régime présidentiel et réaffirme le caractère parlementaire des institutions.

L’opposition droit/gauche cristallisée

Sur le plan politique, cette crise institutionnelle cristallise le clivage droite/gauche. Millerand incarne une droite conservatrice, soucieuse de stabilité, quand le Cartel représente une gauche réformatrice, attachée à la souveraineté populaire. Deux visions de la République qui s’affrontent.

Le conflit laissera des traces durables. Traumatisée par l’épisode, la droite développera une méfiance envers le régime parlementaire, perçu comme une “dictature de l’Assemblée”. À l’inverse, la gauche en sort renforcée dans ses convictions républicaines et sa défense des prérogatives du Parlement.

Un siècle après, la démission forcée de Millerand continue d’éclairer notre Histoire. Elle témoigne de la fragilité des équilibres institutionnels sous la IIIe République et des origines de notre culture politique. Une page majeure qui a contribué à façonner notre conception de la séparation des pouvoirs et des rapports entre exécutif et législatif.

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