Imaginez la scène : en l’espace de sept petits jours, près de deux milliards de dollars s’évaporent des caisses des fonds d’investissement spécialisés en cryptomonnaies. Pas des petits porteurs paniqués, non. Des géants institutionnels. Ceux-là mêmes qui, il y a encore quelques mois, faisaient la queue pour entrer sur le marché. Aujourd’hui, ils font demi-tour. Et pas qu’un peu.
Un exode qui marque les esprits
La semaine dernière, 1,94 milliard de dollars ont été retirés des différents produits d’investissement crypto. C’est la quatrième semaine consécutive de sorties nettes, portant le total à 4,92 milliards de dollars sur un mois seulement. Pour vous donner une idée, cela représente la troisième plus longue série de retraits depuis 2018, année pourtant mémorable pour ses bains de sang.
Ces chiffres ne sortent pas de nulle part. Ils proviennent du rapport hebdomadaire de CoinShares, référence incontournable pour suivre les flux institutionnels. Et le constat est brutal : 2,9 % des actifs sous gestion ont fondu en un mois, entre les sorties et la baisse des cours. Au total, la valeur des encours a chuté de 36 %.
Bitcoin et Ethereum en première ligne
Sans surprise, le Bitcoin encaisse le plus gros choc. 1,27 milliard de dollars se sont envolés des produits adossés à la première des cryptomonnaies. Ethereum suit avec 589 millions de dollars de retraits. Solana, qui avait pourtant le vent en poupe ces derniers mois, voit 156 millions prendre la porte.
Ces chiffres donnent le vertige quand on se souvient qu’au début de l’année 2025, les entrées nettes atteignaient encore 44,4 milliards de dollars depuis janvier. Le contraste est violent. Le marché qui semblait parti pour pulvériser tous les records il y a quelques semaines montre soudain des signes de fatigue profonde.
XRP, l’exception qui confirme la règle
Dans ce tableau particulièrement sombre, un actif tire son épingle du jeu : XRP. Contre toute attente, les produits liés au token de Ripple enregistrent 89,3 millions de dollars d’entrées. Une performance d’autant plus remarquable qu’elle intervient en plein déluge de sorties sur les autres grandes cryptomonnaies.
Comment expliquer ce phénomène ? Plusieurs éléments entrent en jeu. La clarté réglementaire enfin obtenue aux États-Unis après des années de bataille juridique, les annonces récentes concernant des partenariats bancaires majeurs, et peut-être aussi une rotation sectorielle : certains institutionnels semblent réallouer leurs positions vers des actifs qu’ils estiment moins exposés à la pression baissière actuelle.
Un vendredi qui change la donne… temporairement ?
Il y a tout de même une lueur dans ce tunnel. Vendredi dernier, après sept jours consécutifs de sorties, le mouvement s’est inversé. 258 millions de dollars sont rentrés, dont 225 millions rien que sur Bitcoin. Ethereum a récupéré 57,5 millions. Un rebond ? Une accalmie ? Ou simplement le calme avant la prochaine tempête ?
Les observateurs restent prudents. Ce type de retournement en fin de semaine n’est pas rare : il peut s’agir de rééquilibrages de portefeuilles, de clôtures de positions short, ou encore d’achats à bon compte par des acteurs qui estiment le marché survendu. Rien ne garantit que la tendance baissière soit terminée.
Le chiffre choc : 4,92 milliards de dollars sortis en quatre semaines. C’est plus que ce qu’avaient perdu certains fonds lors du krach de mai 2021.
Pourquoi maintenant ? Les hypothèses sur la table
Plusieurs facteurs semblent converger pour expliquer cette vague de désinvestissement.
D’abord, la macroéconomie. Les banques centrales, États-Unis en tête, laissent entendre que les baisses de taux pourraient être moins agressives que prévu. Or, les actifs risqués comme les cryptomonnaies souffrent traditionnellement quand le coût du capital reste élevé.
Ensuite, la prise de bénéfices pure et simple. Beaucoup d’institutionnels qui étaient entrés début 2025 à des niveaux autour de 60 000 $ pour Bitcoin réalisent aujourd’hui des plus-values colossales avec un cours dépassant les 86 000 $. L’envie de sécuriser les gains est humaine.
Enfin, un effet de saisonnalité ? Décembre approche, les gérants de portefeuille ont parfois tendance à faire le ménage avant la clôture annuelle. On appelle cela le « window dressing » : embellir les comptes pour les actionnaires.
Que nous disent vraiment ces flux institutionnels ?
Il faut garder en tête une chose essentielle : les institutionnels ne représentent qu’une partie du marché crypto, même s’ils pèsent de plus en plus lourd. Leurs mouvements sont surveillés comme le lait sur le feu car ils donnent une indication précieuse sur le sentiment des « smart money ».
Lorsque ces acteurs commencent à sortir massivement, deux lectures sont possibles :
- Ils anticipent une correction plus profonde et se mettent à l’abri.
- Ils allègent leurs positions après une année exceptionnelle pour verrouiller des profits, sans pour autant abandonner le secteur.
Les deux scénarios ont déjà eu lieu par le passé. Rappelez-vous fin 2021 : des sorties massives avaient précédé le grand bear market de 2022. Mais rappelez-vous aussi 2023 : des retraits importants en fin d’année avaient été suivis d’un rebond spectaculaire début 2024.
« Les flux institutionnels sont un indicateur retardé, pas avancé. Quand ils sortent tous en même temps, c’est souvent que le mouvement de foule a déjà commencé. »
Un gérant de hedge fund crypto, anonyme
Et les particuliers dans tout ça ?
Pendant que les institutionnels retirent leurs billes, que font les investisseurs particuliers ? Les données on-chain montrent… une étonnante résilience. Les portefeuilles de long terme (ceux qui détiennent leurs BTC depuis plus d’un an) continuent d’accumuler. Le nombre d’adresses non vides atteint des records.
Cette divergence entre institutionnels qui vendent et particuliers qui accumulent n’est pas nouvelle. Elle avait déjà été observée lors des grandes corrections passées. Elle illustre parfaitement la maturité croissante du marché : les comportements se diversifient, les cycles s’allongent.
Que retenir pour les semaines à venir ?
Personne n’a de boule de cristal. Mais plusieurs éléments méritent d’être surveillés de très près :
- La poursuite ou non des sorties la semaine prochaine
- Le comportement des ETF Bitcoin spot aux États-Unis (ils concentrent l’essentiel des flux)
- Les annonces macroéconomiques, notamment sur l’inflation et les taux
- Le niveau des 80 000 $ pour Bitcoin : un support psychologique majeur
Une chose est sûre : le marché crypto entre dans une phase de vérité. Après deux années de hausse presque ininterrompue, la moindre faiblesse est sanctionnée. C’est le prix de la maturité.
Les plus optimistes y verront une saine correction dans un marché haussier de long terme. Les plus prudents y verront le début d’autre chose. L’histoire, comme toujours, tranchera.
En attendant, une certitude : ceux qui sauront garder leur calme dans les prochaines semaines auront probablement de très belles histoires à raconter en 2026.
